Lucio Costa Rio de Janeiro

Formes et Fonctions

Indépendamment de la fonction, il y a, « in abstracto », et sous-jacente, une intention qui commande la création architecturale — soit un objet, un bâtiment, une ville — de sorte que l’adaptation de la forme à la fonction peut conduire — toutes données, par ailleurs, égales — à des résultats singulièrement différenciés.

Je vous donne un exemple historique brésilien: Au XVIIIe siècle l’extraçtion de l’or créa, dans la région de Minas, des conditions propices au développement de villes et de villages où toute l’activité artisanale se concentrait, tel qu’au Moyen Age, dans la construction d’églises paroissiales ou d’ordres Tertiaires.

Et bien, quoique dans la première et la seconde moitié du siècle les conditions du milieu physique et social fussent les mêmes, quoique le programme et le parti se soient maintenus invariables ■—• la pompe de l’office religieux catholique —, et quoique les matériaux et la technique mises en œuvre se conservassent identiques, — les résultats formels furent, pour ainsi dire, opposés. Et pourquoi? Simplement par ce que Yintention qui guidait la mise au point du problème, c’est-à-dire, « l’approach », avait changé.

Dans la première moitié du siècle dominait encore l’esprit d’ostentation et d’opulence à la Louis XIV, —- courbes et contrecourbes lourdes, de l’or, du bleu foncé, du rouge et du noir (1); dans la seconde période c’était déjà l’élégance et la grâce de l’esprit Louis XV qui prévalait: courbes et contre-courbes acquièrent de la souplesse, l’emploi de l’or se fit moins ostensif, le bleu devint clair, le rouge, rose, le blanc et le gris remplacèrent le noir (2). Cela montre que la relation forme-fonction doit être envisagée en tenant compte de Vintention qui commande le processus d’intégration formelle.

D’autre part, et encore indépendamment de la fonction spécifique de l’objet considéré, il y a deux conceptions formelles distinctes fondamentales : celle où l’énergie plastique semble converger vers un noyau virtuel; et celle où cette même énergie semble vouloir diverger.

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Or, il ne s’agit pas là uniquement du fatal mouvement de pendule qui veut qu’après une période d’obsession statique se suive une période d’obsession dynamique, dans un jeu permanent entre l’esprit appolinien et l’esprit dyonisiaque, entre classissisme et romantisme, etc. (Eugenio d’Or). A mon avis, il y a là aussi des raisons telluriques plus profondes; on peut même constater l’existence d’un axe mésopotamo-méditerranéen comme le berceau de la conception formelle statique, et un axe nord-oriental qui serait le berceau des différentes manifestations de la conception formelle dynamique (3).

L’idéal de clarté et de pureté formelle géométrique de la Renaissance a refoulé en Europe la conception formelle dynamique (gothique). Aujourd’hui, grâce à la technologie moderne qui permet des structures où la tension prédomine, on observe, un peu partout, le retour au dynamisme formel. Il y a même les prétentieux de l’art dit prospectif qui prétendent ensevelir, dès maintenant, avec son corps, l’œuvre de Le Corbusier. Ils oublient sa belle structure (gothique) du toit suspendu de la grande salle du Palais des Soviets, le Pavillon improvisé de « L’Esprit Nouveau » (1937) et le Pavillon

Philips de Bruxelles. Le Corbusier avait l’esprit ouvert à tous les vents. Dans sa première phase la conception statique prévalait, avec le contrepoint dynamique de sa peinture; après Ronchamp l’intégration des deux concepts s’établit. Intégration qui est le fondement même de l’art des temps nouveaux.

Il est juste de dire que ce thème est de grande actualité et qu’il intéresse les nouvelles générations d’architectes. En réalité des voies différentes s’ouvrent à elles et l’option se fait parfois difficile. Non seulement les structures ou les efforts de tension prédominent et auxquelles mention a été faite, mais, de même, les structures à poutres de béton précontraint — comme des pièces de bois géantes, et qui permettent une architecture de montage aux appuis concentrés et organisée à la manière de jeux d’enfants; et aussi: Le structuralisme savant qui, par sa soumission consentie

aux efforts, empêche, parfois, l’épanouissement du lyrisme architectural; et puis il y a encore le purisme rendu propice par la production industrielle, et l’idéalisme formel où le béton moulé est soumis aux caprices de l’invention. A titre de conclusion je dirai donc ceci: La forme doit être une résultante de la fonction, mais dans ce processus il faudra tenir compte de la pré-existence d’une intention plus ou moins consciente — de sobriété, de précision, de grâce, d’élégance, de dignité, de force, de rudesse, etc. — qui dûment dosée conduit à une variété presque infinie de résultats possibles, parmi lesquels se trouvent les résultats valables en vue du but envisagé. Et c’est précisément l’acceptation de ces nuances, c’est-à-dire, la reconnaissance de cet état d’esprit conducteur — indépendant de la fonction elle-même —, qui différencie la vie de la pétrification (mentale) mortelle.

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