Berto Lardera Paris

Formes et Fonctions Prendre à partie l’architecture...

opposer à ses espaces fonctionnels des espaces inventés, des événements chargés de lumière.

La forme, qui se justifie par elle-même, née d’exigences « autres » s’opposant ou s’intégrant aux rapports d’espaces intérieurs et d’espaces extérieurs qui constituent l’architecture.

Sculpture, point focal de l’architecture: de ce point partent les lignes-force qui marquent l’ensemble. Au Mans, la sculpture « Entre deux Mondes » IV relie un ensemble d’éléments hétérogènes: l’ancienne église de la Mission, les différents bâtiments du Centre Technique d’Etat (P. Vago, architecte), la route, une place de la ville, où la vie se déroule avec toutes ses manifestations, variables et inattendues.

Du choc entre forme inventée et forme fonctionnelle naît une nouvelle dialectique de l’espace — une tension aux aspects multiples et imprévisibles.

architecture + sculpture — comme àRacine dans le Wisconsin, aux Etats-Unis, entre la Maison Johnson, bâtie par Frank Lloyd Wright et la sculpture « Amour des étoiles » II — ou à Krefeld entre « Haus Lange », oeuvre de Mies Van der Rohe, et ma « sculpture » en fer de 1949.

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à Berlin, par exemple, où la sculpture « Aube » I est le point focal d'un ensemble d’architectures nées de conceptions et de besoins différents — les plus proches celles de Alvar Aalto, O. Niemeyer, P. Vago — sur l’immense place Hansa.

La sculpture sort du musée et de la maison du collectionneur pour entrer dans la vie.

Prendre à partie l’homme de la rue...

Nouveau public pour la sculpture: les millions et millions d’hommes — les oubliés — qui, ignorant ou presque les musées, avaient été séparés des expressions de l’art de leur temps.

Nouveau dialogue, avec l’homme de la rue, qui rencontre sur son chemin de tous les jours les œuvres qui témoignent de sa présence. La participation du spectateur aux rapports de volumes exprimés depuis la sculpture à deux dimensions (1942-1948), par des allusions optiques dans l’espace, devient ainsi une réalité plus vaste. D’autant plus que la technique du métal est celle qui sert aussi à bâtir le monde d’aujourd’hui.

Le fer, l’acier, le cuivre servent non pas seulement à des buts pratiques, à bâtir l’utile et le visible, mais aussi à bâtir les œuvres d’expression, à poursuivre les données invisibles et inexprimées du monde dans lequel nous vivons.

Prendre à partie les murs de l’architecture...

Transformer une exigence constructive et fonctionnelle en élément expressif. Crever le mur ou en aggraver la valeur : les éléments en cuivre en exalteront le poids — l’acier inoxydable ou l’aluminium y ouvriront des espaces. Cuivre + acier inoxydable — rapports d’espaces ouverts ou fermés.

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Les espaces intérieurs et extérieurs seront conditionnés par le parti pris.

L’exaltation plastique d’un mur créera la condition de vie des autres parois de l’architecture. En charger un de signification plastique amènera la détermination du volume délimité par ce mur, mais également les autres volumes de l’architecture en seront conditionnés. Les espaces intérieurs ou extérieurs acquerront des relations qui ne seront plus seulement fonctionnelles.

Fonction + forme — la vie de l’architecture sera donc plus complexe.

Prendre à partie le sol même...

relier l’architecture à la nature organique du sol — établir un rapport « autre » — permanent — entre l’humeur des saisons et ses variations et les espaces statiques de l’architecture. La sculpture au sol « Les Heures et les jours » I joue ce rôle dans l’espace vert autour de la maison V. Langen (architecte Lüneborg) à Meererbusch près de Düsseldorf.

Prendre à partie les grands ensembles d’urbanisme...

Sur les places et dans les rues — où la vie se déroule ou se déchaîne, fiévreuse et changeante, ou dans les espaces intérieurs des bâtiments, derrière leurs parois compactes, introduire une présence humaine et expressive — la sculpture.

Le « monument » auquel nous sommes habitués, célébratif ou non, exécuté mécaniquement, le plus souvent sans la participation du sculpteur, ne peut certes pas jouer ce rôle. Son image figée — inactuelle par son expression et sa technique — ne peut en aucun cas participer de la vie des ensembles urbains d’aujourd’hui. Détruire la fausse idée du «monument » — apporter à la vie des villes des expressions plastiques, où la présence du sculpteur ■— témoignage de ses recherches, de ses aspirations et de ses luttes — soit manifeste sur chaque millimètre de surface.

Sculpture — expression réelle d’une vie « autre » dans la mécanique des ensembles urbains.

Dans la suite prévisible des structures urbaines créer un événement à structure imprévisible, dont la dynamique intérieure se manifeste différemment suivant la variation permanente de la lumière. Au mouvement réel et incontrôlé de la vie d’une ville opposer la dynamique intérieure de la sculpture, dans laquelle la lumière circule différemment à chaque moment de la journée. Seule cette dynamique intérieure —• qui exclut le mouvement prévisible dans ses différentes phases des sculptures mobiles, mais qui l’exprime à l’état potentiel — peut introduire un événement vital dans la suite ininterrompue des espaces fonctionnels des villes et établir, entre eux et leur cadre naturel, de nouveaux rapports.

D’ailleurs, dans un système d’urbanisme équilibré, les «espaces verts » et le feuillage de leurs arbres expriment déjà perpétuellement l'idée de mouvement. Une sculpture mobile serait — dans ce cadre et dans la variation permanente de la lumière — une incongruité. Par contre, elle jouerait certainement un rôle dans un espace intérieur de l’architecture, surtout par rapport à une source fixe de lumière.

La dynamique intérieure d’une sculpture peut, dans un cadre d’urbanisme, créer un nouveau terme de rapport entre les espaces fonctionnels des architectures, les espaces

verts et leurs mouvements et le flot de vie de artères et des places des villes...

Puisque, enfin, la période de l’architecture strictement fonctionnelle, excluant un rapport direct avec peinture et sculpture, paraît révolue, on pourrait prévoir une double évolution, également possible, des formes fonctionnelles dans l’espace: architecture — lieu de rencontre de formes nées d’expressions et de besoins d’ordres différents •— prévue donc pour comprendre peintures, sculptures et les différentes expressions plastiques de notre temps — architecture — forme inventée, comme une grande sculpture, dont la structure dans l’espace serait conditionnée par une fonction déterminée—une forme fonction.

Dans ce dernier cas, on ne peut pas imaginer un agrandissement et une simple adaptation d’une sculpture plus ou moins traditionnelle aux besoins d’une fonction quelconque. Malgré la présence d’artères et de locaux intérieurs, ces sculptures démesurées resteront des expressions théoriques et simplement gigantesques.

C’est par des systèmes constructifs répondant aux techniques de notre époque

Berto Lardera, sculpteur

Forme et Fonction 11.

Fer 1964/1965.

Portrait: Photo Anthony Krafft

et par des rapports d’espace engendrés par une fonction déterminée, que l’architecture — forme fonction — pourra se manifester réellement et devenir une expression vitale — une « sculpture habitable » comme je l’ai appelée pour l’un de mes projets en 1952.

En effet, on imagine mal une sculpture, même parmi les œuvres valables d’aujourd’hui — dans l’esprit de Arp par exemple— agrandie et vidée à l’intérieur pour des besoins de circulation et de séjour qui ne répondent aucunement à la structure d’origine.

La même remarque s’applique, peut-être avec plus de pertinence encore, à l’expérience d’une immense forme organique — une femme gigantesque par exemple — adaptée à des besoins fonctionnels.

La drôlerie d’un « happening » de ce genre rendrait l’expérience peut-être plus supportable que le sérieux ridicule de certaines sculptures plus directement naturalistes adaptées à des besoins fonctionnels, mais le résultat final sera le même.

L’architecture — ou la sculpture formefonction — seraient probablement concevables en tant qu’événements exceptionnels dans des cadres d’urbanisme strictement organisés, dans une suite organique de bâtiments rigoureusement et parfaitement bâtis, suivant les techniques constructives les plus évoluées.

Ces « événements » — constituant des lieux de réunion, centres d’expositions, maisons de la culture, théâtres, etc. — seraient donc des expressions vitales, des centres de rayonnement d’une nouvelle société, comme l’étaient autrefois — au Moyen-Age par exemple — les palais des seigneurs, les cathédrales, etc.

Ainsi pourraient naître les villes d’avenir.