Ma* place des enfants dans le logement
Claude Schnaidt
Il est généralement admis que pour concevoir un logement qui s’adapte au mieux à la vie de ses occupants, il faudrait connaître la catégorie socio-professionnelle à laquelle ils appartiennent, leur revenu, leur nombre, leur âge, leur sexe, leurs liens de parenté, leurs habitudes antérieures de vie, leurs relations intra-familiales et leur emploi du temps. A partir de ces données on pourrait définir la hiérarchie des besoins auxquels doivent répondre les fonctions du logement. Or il est très rare que l’on puisse consulter individuellement les familles qui occuperont les habitations qu’on construit. Si la sociologie était en mesure de répartir statistiquement les familles en un nombre restreint de types présentant un comportement similaire à l’égard du logement, il serait possible de prévoir une gamme de plans correspondants. Mais pour l’instant on n’y est pas encore parvenu. On doit se contenter d’approximations grossières basées sur la taille des familles et sur leur revenu.
Cependant les besoins ne diffèrent pas seulement d’une famille à l’autre. Ils varient aussi dans le temps. Le budget subit des fluctuations; les enfants naissent, grandissent et quittent la maison; le vieillissement psychologique des parents est plus ou moins rapide; les attitudes changent avec les transformations de l’environnement matériel et l’évolution du milieu social. A ce sujet les sciences humaines ne nous renseignent aussi que très imparfaitement.
C’est ainsi qu’on en est arrivé à l’idée du logement évolutif. Face aux difficultés rencontrées dans la détermination des besoins, il paraît en effet intéressant d’étudier des logements susceptibles de s’adapter à une grande variété de familles ainsi qu’à leur évolution propre. Depuis plusieurs années, des architectes proposent des solutions qui permettraient aux usagers de modifier à volonté la distribution de leur logement. Parmi ces projets, rares sont ceux qui ont pu être construits. La seule tentative d’envergure a été réalisée par l’architecte Halina Skibniewska dans la 94
colonie Sady de Varsovie. La plupart des autres projets n’ont pu aboutir à cause du coût élevé de leur exécution. Mais si ces solutions sont coûteuses, c’est que leurs auteurs ont voulu aller trop loin dans la variabilité.
De nombreux projets, par exemple, envisagent d’allouer à chaque ménage une surface d’habitation qui lui convienne au moment où il aura atteint son stade de croissance maximum. Or il est tout à fait exceptionnel qu’un jeune couple puisse s’offrir un logement qui répondra encore à ses besoins lorsqu’il aura trois enfants.
Il est peut-être plus fréquent qu’une veuve puisse entretenir l’appartementoùelle a vécu avec son mari et ses enfants, mais c’est souvent parce que le loyer qu’elle paie est meilleur marché que celui d’un logement plus petit dans un immeuble neuf.
Le cloisonnement d’un logement évolutif est démontable ou mobile. Il ne participe pas à la résistance de la structure. Au contraire, il constitue une surcharge onéreuse pour le gros-œuvre. Par ailleurs, des précautions particulières doivent être prises pour assurer un isolement acoustique convenable. D’autres frais supplémentaires sont entraînés par la nécessité de constituer une réserve d’éléments pour répondre aux variations de la demande.
Sans aucun doute, la flexibilité totale d’un logement coûte cher. C’est pourquoi il semble avantageux de rechercher une flexibilité partielle qui, si elle ne résoud pas tous les problèmes, aura du moins le mérite d’apporter une solution aux plus urgents d’entre eux. Un de ces problèmes concerne l’agencement de l’espace mis à la disposition des enfants dans les logements pour familles nombreuses.
Enumérons quelques données psychosociologiques relatives au comportement de l’enfant dans l’habitation. Si l’on ne dispose pas d’une cellule pour lui, un enfant peut coucher dans la chambre des parents jusqu’à un an. De un à huit ans, il peut faire chambre commune avec un autre enfant quel que soit le sexe de celuici. Pour jouer avec ses frères et sœurs,
il a besoin d’une aire de jeux d’au moins 8 m2. Il accomplit ses travaux scolaires dans le voisinage immédiat de sa mère, soit généralement hors du domaine réservé aux enfants. De huit à quinze ans, il peut partager la même chambre avec un autre enfant de son sexe. Il désire souvent s’ébattre à l’extérieur. Il doit toutefois pouvoir jouer à la maison avec ses camarades. Dès douze ans, il a besoin de s’isoler pour travailler à ses devoirs.
A partir de quinze ans, l’adolescent désire une chambre individuelle où il pourra se retirer et étudier. Il lui faut aussi un espace süffisant pour se réunir avec des jeunes de son âge en toute indépendance de ses parents.
La distribution de l’espace réservé aux enfants doit tenir compte de cet ensemble de conditions. Deux possibilités se présentent. Ou cet espace est assez vaste pour comprendre des chambres individuelles et une aire commune distincte destinée aux jeux des enfants et à la réception des adolescents; ou il se limite aux dimensions courantes. Dans ce cas, les exigences d’isolement — pour le sommeil et le travail — et de regroupement — pour les jeux et les délassements —• devraient être satisfaites par un dispositif mobile permettant une utilisation polyvalente de la surface disponible. Ecartons le cas du cloisonnement rigide. Il a fait l’objet d’études intéressantes dans le cadre de travaux sur le thème des logements à deux espaces de séjour. Les Cahiers du Centre scientifique et technique du bâtiment ont publié récemment certaines de ces études.
Quand on aborde le cas de l’agencement variable, il faut d’abord démontrer la nécessité de la variabilité. Prenons à cet effet l’exemple d’une famille de quatre enfants. Ces enfants peuvent être masculins ou féminins et nous avons vu, qu’en ce qui concerne leurs besoins, on pouvait les classer entre trois limites d’âge: de 1 à 8, de 8 à 15, plus de 15 ans. Du fait que chaque fille et chaque garçon puisse appartenir à l’une de ces trois classes d’âge, il ressort que nous devons distinguer 6 types d’enfants différents: filles de 1 à 8 ans (pF), filles de 8 à 15 ans (mF), filles de plus de 15 ans (gF), garçons de 1 à 8 ans (pG), garçons de 8 à 15 ans (mG), garçons de plus de 15 ans (gG).
Nous pouvons calculer combien de combinaisons résulteront de l’occupation de 4 places par 6 types différents. La formule C = (n + p-1)!
(n — 1) !. p !
où C = nombre des combinaisons possibles n = nombre de types p = nombre de places nous donne 126 combinaisons. En se référant aux conditions de groupement et d’isolement exposées précédemment, nous
pouvons déterminer la répartition de l’espace conforme à chaque combinaison.
Ainsi, deux chambres suffisent pour la combinaison (pG) (pG) (mG) (mG).
Trois chambres sont nécessaires pour la combinaison (pF) (mF) (gF) pG). Quatre chambres doivent être prévues pour la combinaison (mG) (gG) (mF) (gF).
Sur les 126 possibilités de répartition de 4 enfants selon leur âge et leur sexe, 25 sont à effectuer sur deux chambres, 71 sur trois chambres, 30 sur quatre chambres.
Comme les enfants avancent en âge, chaque logement doit pouvoir passer d’une possibilité de répartition à l’autre. Une famille de trois filles et d’un garçon, par exemple, peut se contenter de deux chambres d’enfants tant que le garçon et l’une de ses sœurs ont moins de 8 ans et l’aînée moins de 15 ans ((pF) (mF) (mF) (pG)). Une troisième chambre est nécessaire dès que le garçon à plus de 8 ans et l’une de ses sœurs plus de 15 ans ((pF) (mF) (gF) (mG)).
Une quatrième chambre s’impose quand deux des trois filles ont plus de 15 ans ((mF) (gF) (gF) (mG)).
Notons encore rapidement que pour une famille de trois enfants, on obtient 56 possibilités de répartition selon l’âge et le sexe. 34 d’entre elles peuvent être faites sur deux chambres, 22 sont à effectuer sur 3 chambres.
De ces considérations, nous nous sommes efforcés de tirer certaines conclusions pratiques dont on trouvera ici quelques exemples. Ces études ont été réalisées sous notre direction par les élèves de lre année de la section de construction de la Hochschule für Gestaltung à Ulm. Il s’agissait de concevoir une distribution variable de l’espace attribué aux enfants dans des habitations collectives. La grandeur de cet espace était imposée (36 m2 pour 4 enfants, 27 m2 pour 3 enfants) tandis que sa forme et sa situation dans le logement étaient laissées aux libre choix de l’auteur. La variabilité de l’aménagement devait être obtenue par un minimum d’éléments mobiles (cloisons coulissantes, pivotantes ou démontables, rayonnages, armoires). On remarquera surtout que dans un espace mesuré sur des normes relativement serrées, il a été possible de prévoir des surfaces qui conviennent tant aux jeux des enfants qu’à la récréation des adolescents. C’est un résultat appréciable pour ceux qui se préoccupent actuellement de trouver une meilleure localisation de ces fonctions.
Hochschule für Gestaltung, Ulm Abteilung Bauen Dozent: Claude Schnaidt Peter Ryffe Arthur Bartke Dick Goedhart
Eugen Krüger
Niklaus Hufenus
Odo Stocker
K. Christen
Horst Stümpp