Les églises monolithes de Lnliheln

Pierre A. Emery

Vue plongeante sur le 1er groupe des églises monolithes de Biet Emmanuel

Lorsque l’architecte Bernard Zehrfuss proposa à l’UNESCO pour l'extension de son palais à Paris, la construction de salles souterraines ouvertes sur un patio, il avait certainement à l’esprit le précédent et l’exemple des villas romaines enterrées à Bulla Règia en Tunisie. Il avait eu en effet maintes occasions de les étudier lors de ses séjours sur place.

Mais il est fort probable qu’il ignorait l’existence des églises monolithes d’Ethiopie, qui, bien que souterraines, procèdent d’une technique quelque peu différente.

Manifestement, ces églises sont souterraines en ce sens qu’elles sont édifiées au-dessous du niveau naturel du sol, sans pour cela être enterrées au vrai sens du mot, c’est-à-dire construites dans la terre. Les villas souterraines de Bulla Règia et les nouvelles salles du Palais de l’Unesco sont, elles aussi, construites au-dessous du niveau du sol, mais elles prennent jour sur un patio central à ciel ouvert, tandis que ce qui caractérise les églises monolithes est le fait que bien qu’elles soient souterraines, elles sont conçues comme n’importe quel édifice construit à l’air libre et prennent jour sur un espace libre intérieur.

En fait elles sont situées au fond d’un puits de vastes dimensions.

Enfin, au lieu d’être à proprement parler construites, et l’on peut parfaitement concevoir l’existence d’un édifice élevé selon les techniques traditionnelles au centre d’une vaste excavation, elles sont taillées et sculptées dans la masse rocheuse, ce qui leur vaut cette

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Plan général des trois églises monolithes de Golgotha Mikaël Biet Mariam et Medhane Aleni

Plan de l'église monolithe de Golgotha Mikaël

qualification de monolithes. Les auteurs de ces monuments étranges les ont exactement extraits du terrain, soit que l'église soit située entièrement au dessous du niveau naturel du sol, soit qu’elle soit taillée à flanc de coteau ou de falaise rocheuse. Dans le premier cas, une tranchée plus ou moins circulaire de cinq à sept mètres de largeur et de dix à douze mètres de profondeur est creusée dans le sol rocheux laissant un noyau central dans lequel l’église sera taillée. Dans l’autre cas, la façade principale de l’église est arasée à flanc de coteau ou de falaise et les trois autres façades sont isolées au moyen d’une galerie forée dans le rocher. Le tout forme une espèce de caverne dans laquelle l’église est rattachée à la masse rocheuse par le sol et le plafond. Suivant la configuration du sol, certaines églises tiennent à la fois de l’une et de l’autre de ces deux techniques.

11 est cependant curieux de constater que ce procédé exceptionnel n’a pas produit d’architecture réellement originale. Les monuments créés selon cette technique se réfèrent par tous leurs éléments, assises horizontales, pilastres, piliers, arceaux, couverture, à une architecture antérieure construite de pierre et de bois.

11 va de soi que ces monuments, d’une nature aussi exceptionnelle, posent une quantité de problèmes, que ce soit à propos de leur origine, de leur destination réelle, de l’époque à laquelle ils ont été exécutés ou du choix de leur emplacement. Aucune explication logique et irréfutable ne peut être donnée quant à leur exécution, et aussi quant à l’origine de leur décoration si riche et si variée. Quelle que soit la question posée, on en est réduit à des hypothèses, parfois vraisemblables, mais qui restent fragmentaires et ne peuvent entièrement satisfaire notre curiosité. Ces hypothèses nombreuses, auxquelles on se réfère constamment au cours de cet article, sont pour la plupart extraites de l’ouvrage de l’archéologue italien Monti Della Corte, et du livre luxueux et très documenté sur Lalibéla écrit par Mrae Irmgard Bidder, femme de l’ancien ambassadeur d’Allemagne Fédérale à Addis Abeba, édité chez Du Mont Schauberg à Cologne.

Les églises monolithes d’Ethiopie sont plus d’une vingtaine, situées pour la plupart dans la province de Lasta Waag, région montagneuse de l’Ethiopie centrale. Neuf d’entre elles sont, soit à l’intérieur du village actuel de Lalibéla, soit à proximité immédiate. On en trouve sept autres dans un rayon d’une trentaine de kilomètres de là. 11 existe une église monolithe inachevée dans les monts qui dominent Addis Abeba au nord, et une autre enfin à une soixantaine de kilomètres au sud de la ville, entre la route de Wolysso et la rivière Awash.

J’ai eu le privilège de visiter très attentivement les églises de Lalibéla, qui depuis peu, sont infiniment plus accessibles, grâce à l’avion, à la jeep ou même à l’hélicoptère qu’elles ne l’étaient à l’époque où, pour s’y rendre, Monti Della Corte et Mme Bidder devaient prévoir une longue, coûteuse et inconfortable expédition. L’avion dépose le voyageur dans la plaine, et par un chemin que, dans tout autre pays du monde on jugerait impraticable à l’automobile, la jeep vous transporte en une heure dans les montagnes de Lalibéla, autrefois Roha, capitale du royaume Zagwé.

Le site est impressionnant et tient à la fois du village kabyle avec son environnement, du grand Canyon du Colorado et des montagnes sahariennes. Le village est important, composé de toucouls en pierres, ronds avec étage et escalier extérieur, le tout couvert par un toit conique en chaume. Ces habitations et ces greniers sont semblables à celles que l’on trouve dans la province du Tigré, au nord de l’Ethiopie, et elles contrastent agréablement avec la médiocrité de la maison urbaine ou rurale que l’on trouve dans presque tout le reste du pays. Naturellement les églises ne sont pas visibles, ce qui frappe, étant donné leur grand nombre au regard de ce qui n’est actuellement qu’un simple village. Une colline élevée surplombe Lalibéla, et de son sommet on peut apercevoir les deux groupes d’églises, dont on ne distingue que les toits au ras du sol, au milieu de vastes tranchées dont certaines communiquent entre elles par un réseau compliqué de galeries souterraines. Tous ces toits, dont la plupart à double et très faible pente, sont sculptés dans la pierre, et presque tous sont actuellement recouverts de tôle ondulée.

Le premier de ces groupes, pratiquement à l'intérieur du village, comprend l’église de Golgotha Mikaël, l’église de Biet Mariam dont la tranchée surplombe une chapelle située dans ce qui pourrait être le chœur de l’église de Golgotha Mikaël et enfin l’église de Medhané Alem, la plus grande de toutes les églises monolithes éthiopiennes. Les fosses de ces trois églises sont situées à la suite les unes des autres et les églises sont rigoureusement axées est ouest. Toutes trois sont du type excavé. Le deuxième groupe est d’un plan infiniment plus compliqué Ce groupe est situé sur une colline à proximité dü village, dont le relief est passablement tourmenté. Cette colline est entourée d’une tranchée d’une dimension exceptionnelle. A l’intérieur de l’espace délimité par cette tranchée sont taillées quatre églises à flanc de rocher, les deux églises superposées de Gabriel et de Raphaël, l’église d’Abba Libanos, l’église partiellement effondrée de Biet Merkurios, une église excavée, la plus belle et la plus curieuse de toutes du point de vue architectural, Biet Emmanuel, et enfin un couloir en forme de spirale, appelé Béthléem, la colline du Pain Sacré, ou enfin la Colline du Saint Cheval.

L’église de Biet Giorgis, le plus célèbre des sanctuaires de Lalibéla, car il a été popularisé par l’image et les timbres éthiopiens, est isolée dans sa fosse profonde creusée dans un terrain en pente.

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Photos: P. A. Emery

Bas-relief à l'intérieur de l'église de Golgotha Mikaël

Cour de l'église de Biet Mariam. Chapelles et habitations des prêtres

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Eglise monolithe de Biet Mariam. Entrée de la Cour du côté de Golgotha Mikaël

Coupe longitudinale sur /’église de Biet Mariam montrant l'abside de Golgotha Mikaël

Coupe longitudinale sur l'église de Golgotha Mikaël

Les autres églises de la région, d’un accès plus difficile, Ganeta Mariam et Bilbala Cherkos, églises excavées, Bilbala Giorgis creusée à flanc de rocher, du même type qu’Abba Libanos, mais qui offre la particularité d’avoir son entrée principale sur la galerie souterraine latérale, Abatu Entzessa (les 4 animaux) mélange des deux types de monuments avec tranchée sur deux de ses faces, Imrahana Christos, taillée à l’intérieur d’une grotte de grande dimension, église richement décorée et dont les images retiennent particulièrement l’attention, et enfin la dernière de ces églises, Zemedu Mariam.

La surprise est grande de découvrir ces églises, de parcourir ce chemin si compliqué des sanctuaires qui offrent une architecture aussi inattendue qu’originale. On reste étonné par la variété de cette architecture, dont on ne découvre l’unité qu’à la longue. On pourrait cependant classer ces églises très grossièrement en trois types principaux, celles avec galerie de piliers extérieurs, celles avec assises horizontales, et celles plus dépouillées avec façades et fenêtres décorées d’arceaux. On éprouve quelque peine à admettre, si ce n’est à comprendre, une démarche architecturale aussi insolite et il est normal que l’on cherche une comparaison avec quelque chose de connu et de rassurant qui permette d’établir une filiation. Or le seul exemple de constructions monolithiques excavées est celui des temples hindous d’Ellora. Aucun point commun ne peut être trouvé entre les sanctuaires de Lalibéla et les monuments monolithes de Pétra en Jordanie, de Bamian, en Afghanistan et d’Urgüp-Gôreme en Arménie.

Biet Giorgis à la forme d’un bloc cruciforme aux branches égales, de 12 mètres de hauteur et 12 mètres de largeur, le tout ayant l’apparence extérieure d’un bâtiment composé d’un rez-de-chaussée et de trois étages soulignés par des bandeaux. L’ensemble n’est pas sans rappeler très étroitement ce que nous connaissons des palais de l’époque axumite. Les détails du rez-de-chaussée sont par contre très nettement axumites, portes et fenêtres rectangulaires ou carrées entourées de bandeaux droits aux saillies fortement accusées, marquées aux angles de pièces rectangulaires avançant sur le nu du bandeau et appelées « têtes de singe ». A ce qui pourrait être l’avant-dernier étage, les fenêtres ont une grâce toute mauresque ou ogivale et reproduisant très exactement le couronnement des étonnants obélisques que l’on peut encore voir debout à Axum.

Ganeta Mariam et Medhané Alem rappelleraient très vaguement un temple classique grec très fruste, avec toit à deux pentes, mais sans fronton, et colonnades de piliers carrés extérieurs. Comme seule décoration, un motif d’arceaux romans court tout le long de la corniche, cela à Medhané Alem seulement.

Biet Mariam n’est qu’un gros bloc rectangulaire avec toit à deux pentes, deux bandeaux courant le long des façades, trois porches en saillie avec des arceaux très romans d’aspect, des bas-reliefs extérieurs d’un travail délicat et habile, des fenêtres du type axumite barrées de svastikas, de croix ou de sortes de trèfles à quatre feuilles taillés dans la pierre. L’arri117

Plan général du groupe des églises monolithes de Biet Gabriel Rafaël, Merkurios, Blet Emmanuel et Aba Libanos

Plan de l'église monolithe de Biet Giorgios

1 Porche d'entrée de l'église de Biet Giorgos 2 Façade latérale de l'église de Biet Giorgos

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vée dans la tranchée extérieure et les chapelles taillées dans les parois de cette tranchée présentent les mêmes arceaux que les porches.

Biet Emmanuel, l’église la plus surprenante et la plus originale, offre un exemple accompli d’architecture axumite. Bloc rectangulaire avec toit à deux pentes comme la plupart des autres églises de Lalibéla, elle a l’aspect extérieur d’une habitation à trois niveaux. Des façades sont composées d’une alternance d’assises horizontales en retrait et en saillie, le tout contournant des pilastres fortement proéminent. On y retrouve les deux types de fenêtres caractéristiques de l’architecture axumite, mais cette église n’a d’autre décoration extérieure que le jeu sévère et savant de la modénature. Les assises en saillie et en retrait sont un rappel du mode de construction de la période axumite qui faisait alterner pour les murs les assises de pierre et les poutres en bois. Cet aspect se retrouve sur la façade de l’église d’Imrahana Christos, et d’une façon plus simple et dépouillée sur celle de l’église d’Abba Libanos.

Bilbala Cherkos, Sarsana Mikaël et Gabriel Raphaël présentent des compositions variées, mais à grande échelle, d’arcs axumites aveugles. Les autres églises ne sont que des ébauches assez frustes où l’on retrouve plus ou moins les différents éléments décrits ci-dessus.

L’intérieur de la plupart de ces églises rappelle, d’une manière frappante, l’intérieur classique des églises romanes, nef centrale avec voûte en berceau, une ou deux rangés de bas-côtés, piliers rectangulaires avec chapiteaux décorés, arceaux sculptés séparant la nef des bas-côtés, une coupole en bout de nef surmontant le Saint des Saints. Ces dispositions générales ont persisté dans les églises du culte copte abyssin jusqu’au XVIe siècle, époque à l’église de forme ronde ou polygonale à galeries concentrique a été adoptée.

La décoration des églises de Lalibéla reprend presque tous les thèmes fréquents de l’architecture chrétienne du Moyen-Orient, mais on ne peut s’empêcher d’être surpris par l’abondance des symboles astraux, soleil, lune et étoiles. Les fresques souvent très belles, mais difficilement visibles à cause de la pauvreté de l’éclairage, sont d’inspiration typiquement byzantine, voire romane. On y reconnaît l’origine de la longue tradition de la peinture religieuse copte d’Ethiopie encore vivante de nos jours. L’église de Golgotha Mikaël possède deux bas-reliefs sculptés représentant des saints qui seraient parfaitement à leur place dans l’une quelconque des églises romanes de France.

Quelle conclusion peut-on tirer de cette présence affirmée et indéniable d’influences aussi diverses, de cette richesse, de ce foisonnement de symboles, à la fois chrétiens et païens? On y retrouve la classique adaptation à la symbolique chrétienne de signes provenant du fond des âges qui ont survécu à des mutations religieuses millénaires. Pourquoi cette accumulation insolite d’églises chrétiennes à l’intérieur d’un périmètre aussi restreint géographiquement? Pourquoi ces groupements volontaires, si différents les uns des autres, dont le sens nous échappe? Pourquoi, pour la construction d’églises isolées, avoir choisi tel emplacement plutôt que tel autre? Pour quelle raison ces églises sont-elles construites sous la terre, bien qu’à l’air libre? Comment expliquer, alors que le type des constructions axumites est parfaitement connu, et que les églises monolithes font de constantes allusions à cette construction, que l’on ait employé une technique inhabituelle, sans précédent et aussi difficile à mettre en œuvre? Comment se fait-il que cette technique ait aussitôt un point de perfection qui provoque notre admiration, et que par la suite elle ait été aussi soudainement abandonnée? De quelle manière a-t-on pu réunir la masse nécessaire d’ouvriers, d’artisans et d’artistes pour entreprendre et achever d’aussi vastes travaux. Comment admettre que, l’art de la peinture murale copte mis à part, rien n’ait survécu de ce prodigieux foisonnement, de ce témoignage certain d’une civilisation?

Les explications que suggère le livre de Mme Bidder sont ingénieuses et vraisemblables, sinon toujours probantes. Pour leur compréhension il paraît utile d’exposer brièvement que furent le royaume et la civilisation axumite, auxques il a été maintes fois fait allusion.

Outre quelques restes de palais et des ruines diverses ainsi que de nombreuses monnaies d’or et d’argent, les témoignages les plus connus que nous ayons de cette époque sont les grandes stèles monolithes d’Axum, sorte d’obélisques rectangulaires qui affectent la forme, non pas d’une maison, mais bien d’une sorte de gratte-ciel sculpté. Au rez-dechaussée, la porte, au-dessus, la représentation de très nombreux étages, et le tout est couronné par cette sorte d’arc gracieux que l’on retrouve à Lalibéla. Mme Bidder voit dans ces obélisques le symbole de l’ascension de l’âme de la terre au ciel. L’arc, tout comme la coupole des églises de Lalibéla, serait la représentation de la voûte céleste.

Le royaume d’Axum a duré environ dix-huit siècles, de l’an mille av. J.C. environ, à l’an 800 ap. J.C. Il s’étendait non seulement sur le nord de l’Ethiopie actuelle, mais comprenait aussi le sud de l’Arabie, le royaume de la reine de Saba. Il contrôlait donc la route de la mer Rouge, route de la civilisation, et entretenait de nombreuses relations avec tous les voisins, proches ou lointains.1 Au VIe siècle après J.C., les féodaux, ayant à leur tête une femme dont on ne sait que très peu de choses, se révoltèrent contre le roi d’Axum. Les provinces du Tigré et de Waag-Lasta se réunirent pour formes le royaume Zagwé. Le premier roi en fut Lalibéla, le roi prêtre, dont le nom signifie « celui qui possède les ruches» ou « celui qui commande aux abeilles », les abeilles étant les soldats. La capitale de ce royaume était Roha, devenu par la suite Lalibéla. On suppose qu’il y eut huit rois de la dynastie Zagwé.

Au début de cette dynastie nouvelle eut lieu l’invasion de l’Arabie par les Perses, et de nombreux chrétiens d’Arabie se réfugièrent à Lalibéla, centre vivant de la foi et de la religion. Ils apportèrent avec eux les techniques raffinées et l’art de l’Orient. La renommée de ce royaume Zagwé était certainement étendue, et Mme Bidder suggère que la lettre que le pape Alexandre III écrivit en 1170 au très saint prêtre Jean roi des Indes aurait été précisément envoyée au roi prêtre de Lalibéla, Jan signifiant prêtre. Ceci serait du reste confirmé par la relation d’un voyage effectué par un pèlerin allemand en Ethiopie en 1496.

On peut donc présumer que les églises de Lalibéla remontent à une période que l’on peut situer entre les VIe et VIIIe siècles. La légende attribue l’entreprise de Sarasna Mikaël au roi axumite Caleb, ce qui est peu vraisemblable, mais par contre il est possible que Bilbala Cherkos ait été l’œuvre de son fils.

Selon Mme Bidder, la dernière période de l’empire axumite correspondrait à une époque d’élargissement de la connaissance de l’univers, à une prise de conscience nouvelle du cosmos, dont il serait facile de trouver la preuve dans les témoignages laissés par les différents monuments axumites et en particulier par les églises de Lalibéla. Si l’on admet, comme cela a été dit plus haut, que les stèles obélisques d’Axum, qui datent de l’époque pré-chrétienne, et qui sont élevées à l’emplacement de la tombe, donc au lieu même de la résurrection, symbolisent le parcours de l’âme à travers la méditation vers l’illumination des corps célestes, les similitudes que l’on observe entre les dispositions et les détails de ces stèles et les dispositions générales et la décoration des églises de Lalibéla, particulièrement à Biet Giorgis, permettent de penser que ces églises revêtent une signification symbolique très proche de celle que l’on attribue aux stèles d’Axum. Dans ce cas les églises souterraines seraient très probablement l’expression du jaillissement de l’esprit hors de la matière, c’est-à-dire hors des entrailles même de la terre vers le ciel, vers la lumière, la liaison entre le monde souterrain et l’univers supraterrestre.

L’on retrouve à Lalibéla les séquelles et les manifestations de cultes antérieurs au christianisme dont les signes et les symboles se sont incorporés au culte chrétien. Ce fait viendrait à l’appui de la thèse de Mme Bidder et permettrait d’expliquer ce qui nous semble le plus obscur, la raison même de ce mode de construction original et le symbole exprimé par les groupements des églises.

A l’église de Biet Mariam se trouvent trois citernes que l’on présente comme des fonts baptismaux, ce qui n’a aucun sens, puisque le baptême se pratique par immersion dans la rivière Jourdain (Gior, soit Giorgis, le vainqueur du serpent, symbole de la rivière, de l’eau, et Adonaï, le Seigneur) qui passe à proximité de Biet Giorgis qui est reliée à la rivière par des galeries souterraines. A l’église de Gabriel Raphaël se trouvent également d’autres citernes, mais aussi, et là seulement, des vestiges de feu. Ne se trouverait-on donc pas en présence de traces d’un très ancien culte de l’eau, c’est-à-dire de la fertilité?

La légende du serpent royal d’Axum, transmise jusqu’à nos jours à travers l’histoire de la reine de Saba, le laisserait croire.

Les dispositions du premier groupe des églises, (Gabriel Raphaël, Merkurios, Biet Emmanuel, Abba libanos et la colline de Béthléem) deviennent claires si l’on admet que l’on y célébrait les résurgences d’un culte où l’on adorait ces trois forces, l’eau, la lumière et la terre, culte consacré à la lutte de l’eau et du feu, au monde souterrain d’où renaît la lumière après sa disparition du monde. Cette lumière apparaît dans le labyrinthe de la colline de Béthléem, elle est symbolisée par le cheval, et le nom même de cette colline est « l’étable du cheval saint ». Par ailleurs, le signe que l’on relève un peu partout dans ces églises est celui de Saturne, le soleil qui a sombré dans le monde souterrain.

Le second groupe des églises, d’une ordonnance plus claire et classique, est consacré au ciel, avec l’église de Biet Mariam, la seule où l’on retrouve à la fois le signe du soleil et celui de la lune. Ses chapelles extérieures sont consacrées à Denagel (la Vierge et peutêtre l’étoile Vénus) et au Maskal (la Croix).

De nos jours, la cérémonie copte du Maskal, la plus importante avec celle du Timkat (l’Epiphanie, le baptême) est célébrée à la fin de la saison des pluies. L’idée de la découverte de la Croix (Maskal) se confond avec celle de la réapparition du soleil, du renouveau de la lumière. La troisième église de ce groupe, Medhané Aleni, est entièrement décorée de symboles du ciel, et Mme Bidder y voit un rappel du culte d’Astar.

Enfin l’église isolée du Biet Giorgis, où il semble bien que l’on puisse trouver un exemple assez frappant de la mystique des nombres, symboliserait le mariage du ciel et de la terre, cela par sa conception en forme de croix, qui n’est pas nécessairement la croix chrétienne, sa situation propre et sa liaison avec la rivière Jourdain.

Les symboles du mythe solaire, tel qu’il fut célébré dans presque toutes les civilisations préchrétiennes, sont partout présents à Lalibéla, et surtout dans les extraordinaires médaillons qui forment la décoration intérieure de l’église d’Imrahana Christos.

Jusqu’à il y a quelques années, Lalibéla était pratiquement inconnue et peu accessible.

Il n’en est plus de même actuellement. On souhaiterait que ces rappels d’âges très anciens soient de nature à intéresser ceux que les explications souvent fantaisistes des prêtres ne sauraient satisfaire.

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