Architecture sans architectes dans le sud marocain

Blasé de toute recherche plastique, saturé d’inventions et de matériaux nouveaux, l’architecte moderne renoue volontiers avec le passé. L’architecture traditionnelle, « l’architecture sans architectes », n’est plus le domaine réservé des spécialistes et suscite un regain d’intérêt.

Cependant, ce retour aux sources est le plus souvent un tragique constat de carence. Ce siècle prédateur et utilitariste ne laisse rien subsister qui ne soit sanctionné par une rigoureuse logique économique.

Le Maroc n’échappe pas à la régie. Accroissement démographique, migrations rurales, évolution économique menacent l’un des hauts lieux les plus caractéristiques du patrimoine humain architectural.

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TYPES OJBEL- SARHO

D'HABITATIONS RURALES Tente Noualla Noualla améliore*

Ruelle et minaret à Amzrou (Zagara) vallée du Draa

Baraque

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Ksar en pis*

Dar en maçonnerie

Chaque signe représente 2.000 habitations.

La région communément appelée SudMarocain s’étend sur plus de 500 km d’ouest en est et sur une profondeur de 200 km en moyenne. Elle englobe des zones géographiques aussi variées que le Haut Atlas sillonné de hautes vallées, l’Anti-Atlas, petite chaîne basse et pauvre, et l’immense bande présaharienne, parsemée d’oasis, qu’arrosent irrégulièrement l’Oued Dra à l'Ouest, le Ziz et le Rhéris à l’est.

Toute cette région est principalement peuplée de Berbères, à l’execption des oasis du Djebel Bani et du Dra où subsistent les Haratin noirs, héritiers des esclaves ou des vassaux des royaumes berbères de jadis.

Le petit prince, de Saint-Exupéry, aimait marcher longtemps vers une source.

L’un des plus vifs plaisirs que rencontre le touriste audacieux et exigeant, dans ses pérégrinations, c’est la vue soudaine d’une vallée verdoyante en montagne ou d’une oasis cernée par les sables. Il faut savoir quitter la route principale, il faut savoir cheminer longtemps, sur une piste parfois malaisée, le plus souvent praticable, dans un univers minéral désolé, chaotique, paysage de fin du monde, pour être payé de la joie sereine du bruit de l’eau ou la douceur d’un feuillage.

Vallée encaissée ou oasis représentent en ces lieux l’essentiel du groupement humain.

Le commun dénominateur est l’eau, source de toute vie. L’image qui se présente au détour d’un flanc de colline se retrouve un peu partout. Dans la partie basse, si l’été n’est pas trop avancé, serpente un ruisselet.

En d’autres temps, le torrent qu’il fut a déposé de part et d’autre de ses berges le limon fertile, soigneusement retenu par des enrochements et des banquettes, passionnément cultivé. Les champs grimpent à flanc de coteau aussi haut que le permettent les seguias d’irrigation captées loin en amont.

Hors de la zone cultivable, sur le roc dénudé, se dresse la masse cubiste du village. Les constructions à rez-de-chaussée ou à étage, de plan généralement carré, se pressent autour d’une bâtisse plus importante et plus massive flanquée de tours d’angle crénelées, dominant le village de ses trois ou quatre niveaux. C’est la maison du Cheik ou du Caïd ou simplement d’un riche commerçant. En levant les yeux, il faudra de longs moments d’observation attentive pour découvrir T« Agadir » du village, grenier collectif, perché sur le piton le plus inaccessible, confondu avec la crête ou l’arête de la falaise; mimétisme constructif ingénieux. L’Agadir recélait les réserves, les récoltes et les biens les plus précieux du village. Chaque famille y possédait une seule pièce. Disposées en rangées étagées de part et d’autre d’un couloir central à l’air libre ou d’un noyau central clos, ces pièces ne sont souvent accessibles qu’à l’aide d’un pierre plate saillant sous le seuil, et faisant marche

5 Village en pisé, en bordure de palmeraie

6 Ksar dans la palmeraie

Petit châtelet de montagne à 5 étages Plan de maison forte dans la palmeraie de Tidrhest

Maisons à patio, groupées en agglomération fortifiée

Grenier-Marabout à la fois entrepôt et sanctuaire

O

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d’escalier avec les pierres des chambres voisines. L’espace exigu ne permettait pas d’autre solution. Selon la région, l’Agadir est en pierres sèches ou en pisé, de forme rectangulaire ou circulaire, toujours fortifié pour soutenir un siège et comportant, creusée dans la base, une citerne, à même le roc, qu’alimentent les terrasses. Mieux que les citadelles des chefs ou des riches, l’Agadir, à travers tout l’Atlas, symbolise la pureté d’une architecture admirablement adaptée à sa fonction, souligne l’aspect communautaire de la vie du village, et revèle encore à ce jour les exemples les moins galvaudés de l’art de la construction chez les berbères marocains.

L’asif (rivière) bordé d’oulili (laurier rose), l’Irherm (village) en bordure des terres cultivées, l’Agadir, perché sur la montagne, constituent le schéma type de l’établissement humain traditionnel de ces régions.

Toutefois, en dehors de ces quelques points communs, rien ne ressemble moins à un village qu’un autre village, à un Agadir qu’un autre Agadir, tant est infinie la variété du paysage et la souplesse et l’ingéniosité avec laquelle les constructions s’y adaptent. L’observation la plus superficielle fait apparaître, à quelques exceptions près, un trait commun à toutes les constructions berbères, la cour centrale ou patio. Largement ouvert sur le ciel dans la zone côtière et en piémont, le patio se resserre en altitude et à l’intérieur du pays ou se transforme même en pièce centrale en certains cas. Influence indiscutable du climat. Certains auteurs ont épilogué à propos d’une influence arabe ou méditerranéenne. Le dialecte berbère use d’emprunts latins, notamment pour tout ce qui a trait à la culture et à l’irrigation. Les spécialistes se sont accordés finalement pour situer en Asie centrale l’origine du plan à atrium ou à patio. Nous nous garderons bien de pénétrer, dans un domaine aussi sérieux et aussi délicat.

Nous ne retiendrons qu’une constatation capitale qui témoigne que le seul endroit où se retrouve une architecture analogue, par le plan et le décor, à celle des oasis et des vallées marocaines du sud marocain se trouve en Afghanistan, dans la province du Seistan. L’architecture berbère possède bien donc un caractère d’originalité, un particularisme qui lui confèrent un intérêt de premier plan. Quelques exemples rapidement analysés peuvent aisément convaincre de la valeur de cet intérêt.

L’architecture de l’Anti-Atlas se distingue par l’emploi courant de la pierre sèche.

La région est riche en schistes et en "grès qui fournissent de belles pierres plates bleues.

L’un des plus beaux exemples de cette technique de pierres appareillées et scellées à l’aide de pierres plus petites, enfoncées en coin, se trouve sur le plateau des Akhsass au sud de Tiznit.

Le plan des constructions varie en hauteur avec l’altitude. N’ayant qu’un niveau sur

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rez-de-chausée dans la région des AïtBaha, la maison atteint trois et quatre niveaux dans la région de Tafraout.

Le plan est plus ramassé. Autour d’un patio, véritable puits d’aération, s’ordonnent des pièces rectangulaires éclairées de petites fenêtres extérieures. L’usage des différents niveaux se différencie. Le rez-dechaussée est destiné au bétail. Le premier niveau aux réserves de grain et de fourrage.

Le deuxième niveau est destiné à l’habitation d’hiver et le demi-étage en terrasse, à l’habitation d’été. Le plan carré est souligné par l’apparition d’éléments défensifs tels que les tours d’angle. L’entrée principale est encadrée par deux piliers en contrefort et surmontée par un triple linteau en tronc d’arbre ou en pierres.

L’espace compris entre les deux contrefort est décoré d’incrustations de pierres plates noires, disposées en damiers ou en motifs géométriques du plus heureux effet. Ce type de décor ne se trouve que dans les villages qui bordent la vallée des Ammeln, autour de Tafraout.

Les Agadirs de l’Anti-Atlas sont remarquables a l’emploi très répandu de la pierre sèche. De plan généralement géométrique, de volume très dépouillé, leur architecte intérieure est d’un effet plastique saisissant. La région des Ait Baha recèle les plus beaux exemples de ce type de contruction, notamment dans la tribu des Idouska N’Tsila et des Idouska Oufella.

Agadir dou T’Gadirt et Agadir N’Tasguint représentent deux très beaux exemples par leurs dimensions importantes et l’harmonie simple de leurs proportions. Tizourgane perché sur un piton conique, au bord de la piste qui mène des Aït-Baha à Tafraout, est un remarquable exemple de village fortifié.

Plus à l’est, sur la route qui longe l’Atlas et le Sarho, abondent les exemples d’une architecture dont la silhouette largement popularisée par le tourisme est plus familière que celle de l’Anti-Atlas. Le Ksar des vallées du Todra, du Dadès, de Skoura est une construction d’une tout autre échelle par ses dimensions et son décor.

Le plan est carré le plus souvent. L’utilisation des niveaux est différenciée des réserves inférieures jusqu’à la terrasse habitée à la belle saison.

Les quatre tours d’angle à créneaux dominent la construction de haut, accentuant le caractère défensif. Les ouvertures sont étroites et bordées d’élements décoratifs. Les Ksours se caractérisent par ce décor très particulier et par le monde de construction en terre banchée. Le sommet des murs est orné de dessins géométriques plats ou en relief. Les motifs en damiers ou cruciformes dominent, obtenus par la disposition des briques crues. Les murs très épais à la base montent en s’amincissant. La couleur extérieure demeure celle de la terre damée et se fond admirablement dans le paysage.

L’intérieur des pièces est blanchi à la chaux.

3 1 Village à Ait Toutline (Haut Atlas) 2 Village fortifié dans une anfractuosité rocheuse (vallée du Rhéris) 3 Kasba (vallée du Dadès) 4 Détail de Kasba 5 Damage du pisé (au fond le Rhat, Haut Atlas)

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Photos : Mas, Papini, C. Beuret, Challet, Ben Embarek, Hicks, A. Krafft

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1 Village fortifié (Tizourgane) 2 Agadir (Ait Balia)

3 Village fortifié (Tizourgane, Anti-Atlas)

Le plafond des salles de réception est souvent orné de dessins géométriques de couleurs vives.

L’oasis de Skoura, celle de Tinerir offrent de très beaux exemples de villages et de Ksours groupés en bordure de la palmeraie.

Dans celle-ci, plusieurs étages de culture assurent la subsistance des habitants qui n’ont pas émigré. Au sol, un découpage minutieux de champs irrigués porte plusieurs récoltes l’an de maïs ou de légumes.

Au-dessus s’étale la végétation de quelques arbres fruitiers, grenadiers ou amandiers, que surplombe la haute tige des palmiers dattiers. A la lisière de la palmeraie, à flanc de montagne, se distinguent les groupements de Ksours aux volumes prodigieusement imbriqués. Le jeu des ombres brutales accroît la richesse des nuances ocres que souligne encore la nappe vert cendré de la palmeraie et le bleu violacé de la montagne.

Il faut savoir quitter la route, traverser la palmeraie et escalader le sentier qui mène à l’un des villages. Quelques vieillards habillés de laine prennent le frais.

La porte cloutée gravée par le temps, les marches de pierres usées, la vue de l’eau dans une séguia en contrebas, tout est naturel, tout est vrai et propre à ravir le cœur et les sens. Le drame est que tous ces ensembles, qui font l’essentiel de la richesse touristique de la région et son principal attrait, sont menacés par une double évolution. L’exode provoqué par l’accroissement démographique et l’insuffisance des ressources dépeuple le pays de ses éléments actifs. Une désaffection certaine à l’égard de ces immenses et vieilles habitations apparaît. La fragilité des matériaux rend plus efficace la dégradation du temps.

Revenus enrichis de la ville, les habitants font éclater le village en direction de la route. La sécurité, les exigences de l’automobile favorisent cet éclatement. De nouvelles techniques, des matériaux et des décors étrangers à la région sont importés sans discernement et contribuent à dénaturer un équilibre séculaire. Si des précautions d’études et de sauvegarde des plus beaux exemples de cette architecture n’intervenaient à brève échéance, le Maroc serait menacé de perdre un patrimoine historique d’une inestimable valeur. Il n’est, hélas, pas exagéré de dire que l’importance d’un tel problème se situe aussi sur un plan international.

Mourad Ben Embarek

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1 Mur en pierres sèches (Ait Baha) 2 Porche en pierres sèches (Tafraout, Anti-Atlas)

3 Détail de porte (Ait Baha, Anti-Atlas)

4 Intérieur d'un Agadir, pierres servant d'escalier (Ait Baha, Anti-Atlas)

5 Porche d'une maison en pisé.

Ammeln, Anti-Atlas)

(Vallée des