IS ur baniste defend sa capitale

Lucio Costa

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en vue du développement national — sidérurgie, pétrole, barrages, autoroutes, automobiles, constructions navales; elle correspond ainsi à la clef d’une voûte, et, par la singularité de sa conception urbanistique et de son expression architecturale, elle témoigne de la maturité intellectuelle du peuple qui l’a conçue, peuple voué à la construction d’un nouveau Brésil, résolument tourné vers l’avenir et qui se voulait maître de son destin.

Ainsi à mille mètres d’altitude et à mille kilomètres de Rio, qui a commémoré il y a trois ans son 4e centenaire, les Brésiliens, nonobstant leur réputation d’indolence, ont construit en trois ans leur nouvelle capitale.

Si elle a été construite dans un délai aussi extraordinairement court ce fut précisément pour en assurer l’irréversibilité, malgré les changements d’administration et de gouvernement. Et ce qui prouve sa bonne constitution, c’est qu’elle a déjà pu « résister » dans ces sept années d’existence, à cinq présidents, à une dizaine de préfets et à des évènements d’ordre politique et militaire imprévus.

C’est donc naturel que Brasilia ait ses problèmes, qui sont au fond les contradictions et problèmes propres du pays luimême, pays encore en voie de développement non intégré, et où la tradition récente d’une économie agraire esclavagiste et l’industrialisation tardive non planifiée, ont laissé l’empreinte tenace du paupérisme.

Le simple transfert de la capitale n’aurait pu, en effet, résoudre ces contradictions fondamentales, d’autant plus que de puissants intérêts acquis bénéficient de ce statu quo d’«anomalie chronique», qui, dans la périphérie de la ville, a déjà repris ses droits.

Photos Manchete

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M »1 Dessins du plan-pilote. 1957.

Je tâcherai, pourtant, de justifier ici uniquement la conception urbaine de Brasilia, car malgré ses problèmes d’ordre politique, économique et social, auxquels se sont ajoutés d’autres, maintenant, d’ordre institutionnel — la vérité c’est qu’elle existe là où quelques années auparavant il n’y avait que le désert et la solitude; la vérité c’est qu’elle est déjà accessible par autoroutes des points extrêmes du pays (de Rio Grande, au sud et de Pernambouc, au nord, les étudiants y vont en autocars pendant les vacances); la vérité c’est qu’au long de ces nouvelles voies la vie pousse et l’acti20

vité s’articule; la vérité c’est que ses habitants s’adaptent au style de vie nouveau qu’elle suggère et que les enfants y sont heureux, souvenirs qui marqueront leur vie pour toujours; la vérité c’est que ceuxlà même qui vivent dans des conditions anormales dans sa périphérie y sont mieux qu’auparavant; la vérité c’est que son architecture dépouillée et quelque peu abstraite s’inscrit naturellement au jour le jour de la vie privée et administrative, ce qui confère à la ville le caractère sui generis qui est son charme et son attrait; la vérité c’est que 1’« intériorisation » de la capitale

La petite-fille de l’urbaniste, Julieta, devant l’œuvre de son grand-père.

a contribué à amortir la crise politique, tandis que la crise économique et financière serait quand même advenue; la vérité finalement, c’est que Brasilia est vraiment capitale et non pas ville de province, car par son échelle et son intention elle correspond déjà, à peine née, et malgré toutes ses défaillances, à la grandeur et aux destins du pays.

D’ailleurs, elle a été conçue en fonction de trois échelles différentes: l’échelle collective ou monumentale, l’échelle quotidienne ou résidentielle, et l’échelle concentrée ou grégaire; le jeu de ces trois échelles donnera à la ville son caractère propre et différencié.

Pour le moment cette troisième échelle, qui correspond au centre social et de loisirs de la ville, n’existe encore pas. Ce centre sera constitué par deux grands enclos bâtis ayant chacun cinq étages de bureaux destinés aux professions libérales, et des cafés et restaurants au rez-de-chaussée, avec portiques et terrasses. A l’intérieur de ces enclos seront les boutiques, les « boîtes », les théâtres, les cinémas, desservis par un système compact de ruelles, petites places et loggias (ensemble déjà construit à deux niveaux dans l’enclos sud) destinées exclusivement aux piétons et accessibles aux voitures directement par la plate-forme monumentale, et aux poids lourds en contrebas, à l’extrême opposé.

Le foyer de congestion urbaine a été délibérément conçu pour faire contrepoint aux espaces dégagés des « superquadras » résidentielles au long de l’axe routier. La création de ces quadras, c’est-àdire, enceintes d’allées d’arbres disposées en grands carrés, a eu d’abord pour but d’articuler l’échelle résidentielle avec l’échelle monumentale, et d’ainsi garantir l’ordonnance générale de la structure urbaine; chaque ensemble de quatre de ces « super quadras » constitue une unité de voisinage avec les compléments requis — écoles primaires et secondaires, commerce, club, etc. Une des caractéristiques du plan était, précisément, de réunir dans chacun de ces espaces de voisinage les différentes classes sociales qui seraient ainsi intégrées dans tout l’ensemble urbain et non pas stratifiées en quartiers « riches » et quartiers « pauvres ». Par manque de vision et par ineptie administrative, cet aspect fondamental de la conception urbanistique de Brasilia n’a pas encore été réalisé. L’heureuse création de la Banque Nationale d’Habitation sembla être, au premier abord l’initiative appropriée à corriger ce défaut, mais, lamentablement, jusqu’à ce jour rien n’a été fait en ce sens et l’incompréhension persiste.

Cet axe routier-résidentiel est une autre des particularités de Brasilia; d’ordinaire l’échelle généreuse et la technique impeccable des autoroutes s’arrête aux portes de la ville et se dilue dans une trame dégradée d’avenues, de boulevards, de rues. A Brasilia, la route conduit au cœur même de la ville et se poursuit d’un bout à l’autre et dans les deux sens — nord-sud et est-ouest — sans perte d’élan. Tandis que dans les quartiers, l’automobile, à peine entrée, instinctivement ralentit et au lieu d’être bannie, s’incorpore, apprivoisée, au rythme familial quotidien.

D’autre part, les niveaux différents des voies, latérales de cet axe routier, sa légère courbure gradative et le fait que dans l’aile nord il plonge et se redresse d’accord avec la topographie locale, animent la perspective des grandes masses bâties, structures dégagées du sol et de gabarit intentionnellement bas (six étages) pour établir l’indispensable contraste avec le centre urbain.

Quant à la partie administrative et collective de la ville, en soi, son axe monumental, elle se caractérise par différents niveaux établis en paliers successifs: 1) le terrain agreste; 2) le terre-plein triangulaire où siègent les trois pouvoirs autonomes de la démocratie, espace aménagé avec l’épurement d’un « Versailles du peuple »; 3) l’esplanade des ministères et le centre culturel; 4) la grande plate-forme où croisent à trois niveaux les deux axes de la ville; 5) le parvis de la Tour de TV. Cet échelonnement en plateaux découle des terrassements imposés par ce croisement à trois niveaux, et rétablit ainsi une tradition millénaire dans l’urbanisme contemporain.

L’insouciance des tabous et l’indifférence aux « modismes » en vogue ont permis d’intégrer — grâce à l’ordonnance verte des quadras et puisqu’il s’agissait d’une capitale — les « vieux » principes des CIAM et l’amoureux souvenir des belles perspectives savamment axées de Paris en un tout organiquement articulé. Normalement urbaniser c’est créer des conditions pour que la ville devienne — le temps et l’élément surprise intervenant; tandis qu’à Brasilia il s’agissait de prendre possession du lieu et de lui imposer — àia manière des conquistadores ou de Louis XIV — une structure urbaine capable de permettre, dans un délai très court, l’installation d’une capitale. Au contraire des villes qui se conforment et s’ajustent au paysage — dans la savane déserte et à l’encontre d’un ciel immense, comme en pleine mer — la ville a créé le paysage.

Quoiqu’il s’agisse encore d’un archipel urbain — le centre de la ville n’existe pas et il y a des vides partout — tous les Brésiliens, même ceux qui habitent les vieilles métropoles de Rio et Sao Paulo, en y arrivant sont déjà saisis par la suggestion d’être vraiment dans leur capitale.

En ce qui concerne son expression architecturale, Brasilia obéit à un concept idéal de pureté plastique, où l’intention d’élégance — ferme et dépouillée — est toujours présente. Quoiqu'il s’agisse d’une conception formelle libre, et, en ce sens, opposée au concept strictement structural de l’admirable Nervi, par exemple, et quoiqu’elle ait subi des restrictions plus ou moins préconçues de la part de critiques comme Zevi, par exemple — Brasilia, aussi bien par sa planification que par son architecture, correspond à une réalité et à une sensibilité brésiliennes, et représente de la sorte — quoique de filiation intellectuelle française — une contribution native valable que le temps consolidera.

La Place des Trois Pouvoirs, place ouverte à la manière de la Concorde, est la seule place contemporaine digne des places traditionnelles.

Il y a trois ans (lorsque la ville n’était pas encore verte) la directrice du fameux Musée des Carrosses, de Lisbonne, témoignait: « Brasilia » a été pour moi une profonde expérience. D’abord un grand choc: le soleil ardent, la terre rouge, sans végétation — comme une forêt de formes géométriques; ville fantôme! Mais après, je compris son austérité et je sentis l’atmosphère tranquille créée par cette ville qui est en vérité celle dont l’homme moderne a besoin pour se rencontrer soi-même. Brasilia est une purification de la vie inhumaine que nous vivons dans la plupart de nos villes contemporaines. C’est une ville qui nous révèle comme hommes de notre temps.

Nous devons être ainsi comme cette ville ouverte à tous les vents — monumentale et humaine, simple et grandiose, ascétique dans la pureté de ses formes réduites à l’essentiel. C’est une ville mystique par son climat de détachement ».

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