Ah! que la vie est chère! Au sens financier aussi bien que sentimental elle se situe haut, à vrai dire cependant pour les pessimistes invétérés seulement. Cette sorte de gens trouve la mort comparativement plus économique, une fois réglés les frais d’enterrement. Mais être malade, être affaibli, être patient est la sorte de vie la plus coûteuse, pour l’individu comme pour la communauté et le peu onéreux état de mort ne commence que longtemps après; quand déjà on a payé de belles sommes à la clinique, à l’hôpital pour des soins allant de la simple sollicitude aux produits Bayer Leverkusen.

Puisque déjà nous en sommes aux cliniques que nous saluons du fond du cœur en leur qualité de bienfaitrices de la santé à recouvrer, arrêtons-nous un peu aux cliniques-miracle qu’il faut avoir vues. En voici par exemple une, au jardin zoologique de Berlin-Friedrichsfelde. Chacun se devrait

de la visiter. «A quoi bon des parcs d’animaux exemplaires », dit le maître économe doublé d'un critique grincheux « Nous ne sommes pas assez riches pour ce genre de luxe. Etre réalistes, tel est notre devoir! » Il n’y a pourtant pas de meilleur endroit que le Zoo, justement, pour apprendre le réalisme. Une base de réalité véritablement humaine et sociale est proposée par le « bioréalisme », la vie dans sa vérité, la biologie effective. C’est elle que l’on cherche à découvrir dans les Zoos les plus nouveaux et non pas simplement le divertissement pur devant les ébats joueurs des oursons empotés et drôles. C’est même du réalisme comptant quand on voit la dépense clinique imposée par le passage aux rayons Rœntgen, avec un appareil spécial, d’une femelle pachyderme portante avant qu’elle se décide à mettre bas sans incident. Pour un éléphant, si l’on convertit en devises sa valeur sur le marché mondial il faut compter une vingtaine de milliers de DM. Un risque du même ordre serait couru par la direction d’un jardin zoologique qui négligerait la mâchoire d’un lion plutôt que de consentir à immobiliser, la gueule béante, le roi des animaux. Et si parfaitement que, pendant le plombage de ses dents, il ne puisse manifester que de ses cordes vocales. Il n’y manque d’ailleurs pas, avec la puissance majestueuse qui le caractérise.

Dans un jardin zoologique, le plus imposant n’est toutefois pas l’impressionnant bâtiment clinique où la maladie est au plus 1967

1927

Photo Shulman Photo Hesse

tôt diagnostiquée, étudiée, enrayée. Le bioréalisme le plus authentique se manifeste surtout parmi les organismes sains de cette bourgeoisie animale.

Par les soins d’un état-major de savants spécialistes du comportement des animaux, zoologues, biologistes les plus célèbres parmi les autorités scientifiques telles qu’il en existe dans le monde entier, Dathe à Berlin-Friedrichsfelde, Hediger à Zurich ou Grzimek à Francfort, pour ne nommer que quelques-uns des plus grands — chaque espèce animale est étudiée avec un soin attentif pendant des années et l’on passe en revue ses nécessités vitales les plus minutieuses et ses réactions psychosomatiques.

Ce n’est pourtant pas tout: ce trésor de connaissances est — ainsi qu’il convient à chaque entreprise de l’ère de la Science — APPLIQUÉ! Ici cela ne signifie pas tant de mètres carrés de cage, évalués selon la loi, par babouin et par morse, tant et tant de litres ou de mètres cubes d’eau où s’ébattre. Pas du tout. Dans les jardins zoologiques, l’ère des cages est périmée.

Il est passé le temps où le caricaturiste Heinrich Zille (qui d’ailleurs en 1921 fit rire tout Berlin avec un dessin humoristique de l’une de mes premières créations: des maisons à scène tournante pour utilisation alternée dynamique du local approprié) crayon en main dessina deux gamins de Wedding. L’un tire sur un petit char joujou un rat mort, son cher camarade de jeu qu’il veut enterrer. « De quoi est-il mort?» «Notre appartement est trop humide... »

Les humains ont eu parfois déjà la valeur de rats et dans certains quartiers de misère d’un monde commercialement élevé leur cours n’a pas beaucoup monté encore; des ménagères y semblent valoir un peu moins cher que les éléphants et les morses.

Quoi qu’il en puisse être il y a pour l’avenir de l’humanité un nouvel HUMANISME CONSTRUIT PAR LA SCIENCE. La santé publique est sans conteste le bien populaire le plus difficile à préserver. Le gaspiller est crime, où et quand que ce soit.

Plus encore: de nos jours c’est une sottise attentant à l’essence populaire, à sa force de production si sensible.

Nous devons le répéter sans cesse: l’architecture est l’habitacle à long terme de toute fonction humaine, une investigation durable de la vertu populaire. Notre atterrissage sur la lune le plus dispendieux en milliards est éphémère, susceptible de corrections, passager en comparaison d’un projet terrestre de cité immortalisé dans la solidité du béton.

La recherche expérimentale, si elle ne précède pas, doit du moins marcher parallèlement, exactement comme l’exécution exemplaire et la mise à l’essai. Quelle soif de savoir est consacrée à l’endurance biologique dans la fugace capsule d'une

fusée, et combien diminuée quant à la connaissance finement détaillée d’une classe d’école primaire, des centaines de milliers de fois répétée pour l’éducation des générations à venir. Très injustement le quotidien nous touche moins que l’exceptionnel à sensation. Le bus du petit matin est actionné ou retenu par une mécanique au maximum dépourvue d’égards et prend des virages tels que le sens de l’équilibre des passagers titubant vers la sortie est totalement perturbé. Ainsi constate-t-on une notable diminution de leur vitalité entre la table du petit déjeuner et la place de travail.

Dans les plans on recherche pour le moment à peine, et on applique encore moins, l’étude, la maîtrise et la guérison concertées des « méfaits de la civilisation » dans notre monde faillible, hasardeusement assemblé au gré d’unités de fabrication diverses.

Il vaudrait la peine de CRÉER EN EXEMPLE du moins cet environnement plus sain, afin de FIXER DES BUTS ET DE CHERCHER A LES ATTEINDRE.

Quel que soit le prix du premier cas isolé —et il sera supérieur à la multiplication dans le ressassé — les frais seront rendus supportables par une répétition massive du modèle réussi.