Les châteaux de Gondar
Pierre-A. Emet'y
Gondar - Croquis de l’auteur 1.
2.
2.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
78
Château de Fasilidas Piscine de Fasilidas Château de Yassou le Grand Petit château de Fasilidas Bibliothèque de Tsadiq Johannes Chancellerie de Tsadiq Johannes Maison du belluaire Maison des Lions Maison des Chants de l'empereur Dawit Château de Bacafa Palais de l'impératrice Mentouab Bain turc Maison des épousailles Eglise Aitatami Queddous Micael Maison du chef de la cavallerie Eglise Guemja Biet Maryam Château du Ras Micae! Sehoul
L’intérêt des archéologues est de plus en plus attiré vers les civilisations qui se sont épanouies sporadiquement et durant des périodes relativement courtes sur le territoire de l’Afrique non-islamique, que ce soit les plus anciennes, comme celles de Zimbabwe ou, en Ethiopie le royaume axoumite, ou celles plus récentes d’Ife et d’Ibadan au Nigèria, de Kumasi dans le pays ashanti au Ghana, ou enfin celle de Gondar à quelques kilomètres au nord du lac Tana, en Ethiopie.
Les bronzes du Bénin des XVIe et XVIIe siècles témoignent de la présence des navigateurs, guerriers et marchands portugais, mais il ne semble pas que cette présence ait eu une influence quelconque sur l’épanouissement de la civilisation du Bénin.
A Gorjdar par contre, ou plus exactement dans la période prégondarienne, ces mêmes Portugais, religieux et soldats ont été les agents de cristallisation de la renaissance de la grandeur politique, économique et artistique de l’empire éthiopien, et cette période brillante de l’histoire a pu durer près de deux siècles. L’époque durant laquelle Gondar fut la capitale du royaume et le siège de la cour a été exceptionnellement pleine d’éclat, fastueuse et glorieuse, autant, si ce n’est plus encore, que l’avaient été les quelques siècles de la civilisation axoumite.
Les monuments encore dressés qui évoquent la splendeur passée de la ville et de la cour nous surprennent, tant par leur dimension et leur étendue que par la richesse insolite de leur architecture. Il n’existe rien d’équivalent en Afrique non musulmane et on ne peut mieux comparer cet ensemble de monuments très divers qu’à ce que devait être Carcassonne au milieu du XIXe siècle avant l’intervention de Viollet-le-Duc.
Certains, les plus importants, de ces palais et de ces châteaux ont été assez maladroitement confortés ou même restaurés dans un esprit par trop occidental durant la période d’occupation italienne.
A l’heure actuelle tout l’ensemble est encore debout, mais il ne se passe pas d’années où un pan de mur ou un balcon ne s’écroulent. Les monuments de Gondar mériteraient d’être protégés et sauvés, ne serait-ce que parce qu’ils représentent un cas absolument unique dans l’histoire de l’architecture africaine.
Vers 1540, les troupes de l’envahisseur arabe Mohamed Gragne balaient les hauts plateaux éthiopiens et obligent la monarchie à se retirer dans la province du Choa, aux bords du lac Tana dont les îles sont occupées par des établissements religieux coptes. Des guerriers portugais, sous les ordres de Dom Christophe de Gama combattent aux côtés de l’armée éthiopienne, et cette même année 1540 voit la défaite définitive et la mort de lTman Gragne sur les rives occidentales du lac. Les Portugais se consolident en Ethiopie, y attirent quelques missionnaires, tant portugais qu’espagnols. A la fin du XVIe siècle, l’empereur Sartsa Denghel construit à Gouzara le premier château flanqué de tourelles du type gondarien, dont il reste encore quelques ruines en pleine brousse.
De 1619 à 1621, le père jésuite Paez édifie la surprenante église de Gorgora, Maryam Guemb, ou le château de Marie, sur un promontoire qui domine la rive nord du lac Tana. Cette église était en pur style renaissant. Les ruines importantes qui subsistent témoignent de la somptuosité inattendue de sa décoration.
L’empereur Sousneyos se convertit au catholicisme dans cette église entre les mains du père portugais Alfonso Mendez.
En même temps il contraint son peuple à embrasser la religion romaine. Les excès des missionnaires poussent les populations à la révolte et en 1632 un soulèvement les chasse en même temps que les derniers descendants des capitaines portugais.
Château de Fassilidas, vu du sud-ouest
80
Après la construction par l'empereurSousneyos d’un palais à Goumneghié, palais dont il ne reste aucune trace, son fils, l’empereur Fasilidas édifie, dit la légende, le premier monument de Gondar, qui sera la nouvelle capitale. Ce monument est connu sous le nom de « Bain de Fasilidas ». C’est une gracieuse villa, construite sur arc et sur voûtes au milieu d’une vaste piscine dans un parc clos de murailles fortifiées. A quelques kilomètres de là, il entreprend l’édification d’un imposant château fort de quatre niveaux flanqué de tourelles circulaires couvertes en coupole, le tout surmonté de terrasses aux murs crénelés, analogues à ceux que l’on trouve dans les châteaux portugais de Mazagran, au Maroc. Il trace l’enceinte de la cité impériale. Les douze portes de cette enceinte, auxquelles aboutissent des ponts franchissant un fossé, reçoivent des noms pittoresques.
Pendant plus d’un siècle les successeurs de l’empereur Fasilidas poursuivront son œuvre dans ce style insolite en Ethiopie dont on peut dire que l’aspect général reste féodal et européen, avec quelques détails qui rappellent l’architecture romane et d’autres vaguement renaissants. Certains de ces édifices frappent par une grâce et une élégance, produit d’une civilisation particulièrement raffinée, attestée par les récits de quelques voyageurs. L’un d’eux, le médecin François Poncet, envoyé par Louis XIV auprès de l’empereur Yassou le Grand en 1699, a laissé de sa mission une relation éblouie par le luxe et le faste de la cour éthiopienne.
L’écrivain Jean Doresse a admirablement analysé le phénomène exceptionnel et probablement unique que représente cette architecture gondarienne si intimement liée à la résurrection du royaume éthiopien.
On ne peut mieux faire que de le citer: « Le sujet le plus attachant en même temps que le plus aisé à saisir est celui du développement de l’architecture et de l’art gondarien ; car cette architecture et cet art ne furent pas ici une conséquence de la montée de l’Ethiopie vers une prospérité reconquise, mais, ce qui peut paraître un peu paradoxal, la cause première, l’incitation vers la grandeur et la beauté de l’existence, tant nationale que privée, alors même que cela suppose un effort considérable. De ce point de vue, il y a lieu d’attacher un intérêt particulier aux origines de l’art gondarien. Il est manifeste qu'il est sorti de sources étrangères; mais celles-ci n’ont jamais été sûrement identifiées. Et il importe plus encore de savoir dans quel cas cet art fut une imitation; dans quels autres cas il s’inspire librement des modèles qui lui étaient proposés; et, enfin et surtout, à partir de quel point il se mit à être une réaction authentiquement éthiopienne face aux apports étrangers. Cette analyse doit porter sur les principales étapes des constructions gondariennes (et prégonda-
Palais de Mentouab, vu de Vouest, dans le fond, le bain turc
Bibliothèque de Tsadiq Johannes. Dans le fond le palais de Yassou le Grand, vu de l'ouest
riennes) en mettant parmi les plus anciennes celles qui sont encore des œuvres étrangères, comme l’église baroque de Guemb-Maryam à Gorgora, du temps de Sousneyos; en plaçant ensuite, avec les plus grands palais, tous les ouvrages mixtes dans lesquels les plans et les lignes enseignés par l’étranger se sont accommodés de quelques solutions éthiopiennes (par exemple les balcons de bois dans l’architecture de pierre); en considérant en troisième lieu les époques plus tardives où l’Ethiopie reprend ses techniques propres de construction en bois tout en gardant dans le décor intérieur certains des procédés luxueux qu’elle avait appris entre temps. Dans le domaine de l’architecture religieuse, la réaction éthiopienne fut plus rapide que dans celui de l’architecture profane; l’on continue de construire des palais sur les grandes lignes enseignées par l’étranger alors que l'on se hâtait d’adapter les nouvelles techniques de la pierre aux formes circulaires traditionnelles des églises médiévales. »
Au temps de sa plus grande splendeur, Gondar a compté plus de 100 000 habitants, avec ses quartiers distincts, dont celui des musulmans, et celui des Falacha, mystérieux juifs éthiopiens, dont certains habitent encore un village proche de Gondar. L’énigme que pose la construction d’une ville de cette taille n’a jamais été clairement élucidée. On sait que le monument le plus ancien de la ville est bien postérieur à l’éviction des Portugais, dont il est probable que quelques religieux ont tout de même pu rester sur place. D’autre part, il y a tout lieu de supposer que quelques-unes des quarante églises qu’a comptées la ville existaient préalablement à sa fondation. Il est donc raisonnable de
penser que Gondar a été construite tant par des métis de Portugais que par des maçons instruits par eux, assistés vraisemblablement par des artisans levantins et indiens.
Les Portugais ont apporté l’art de la taille et de la pierre, oublié depuis l’époque axoumite, l’usage de la chaux, le cintre et les méthodes d’assemblage de la voûte.
Les coupoles qui surmontent les tours d’angle de plusieurs bâtiments présentent, par contre, des agencements identiques à ceux des églises coptes et nubiennes de la vallée du Nil. Par ailleurs elles ne sont pas sans rappeler les dispositions et l’architecture de certains palais du sud de l’Arabie.
La rampe d’accès extérieure qui conduit au premier étage du château de Fasilidas évoque, toutes proportions gardées, celle de la Citadelle d’AIep.
Le château de Fasilidas (1632-1667) achevé sous le règne de ses successeurs Tsadiq Johannes (1667-1682) et Yassou le Grand (1682-1706) est le monument le plus imposant de l’enceinte impériale. Une terrasse, actuellement effondrée, reliait le château de Fasilidas à celui proche de Yassou le Grand. Cette terrasse recouvrait une vaste excavation appelée piscine de Fasilidas et qui devait probablement servir de citerne.
Une des façades du château de Yassou est intacte, mais à l’intérieur, la voûte de la grande salle est effondrée et laisse voir les restes d’un travail curieux et original. La grande tour est surmontée d’une chapelle.
Un escalier extérieur hélicoïdal entoure les parois d’une tour tronconique. Face au château de Yassou, deux bâtiments d'une taille plus petite sont attribués à Tsadiq Johannes. Ils sont remarquables d’élégance et de raffinement. L’un d’eux est la bibliothèque, restaurée probablement avec un zèle un peu excessif, l’autre la chancellerie, dont il ne reste malheureusement que les murs extérieurs et la tour. Entre ces bâtiments et ceux relativement en bon état, situés à la partie nord de l’enceinte, quelques constructions, passablement dégradées résistent au milieu d’autres totalement effondrées. Ce sont les maisons du belluaire, celle des lions, celle dite des « Chants et de l’Allégresse » construite par l’empereur Dawit (1716-1721).
La partie nord de l’enceinte a été construite au XVIIIe siècle, sous le règne de Bécafa (1721-1730) et de sa veuve, l'impératrice Mentouab (1730-1775). Le plan de masse de tous ce groupe de constructions, de taille et d’importance très diverses, imbriquées les unes dans les autres, joue subtilement avec les différences de niveau des terrasses et des cours jardins. Ce groupe forme, en fait, la partie nord de l’enceinte.
Vu de l’extérieur, l’aspect de cette partie de l’enceinte conserve une certaine rudesse moyenâgeuse due aux tours et aux créneaux. A l’intérieur, la surprise est grande de trouver des palais et des constructions d’un aspect aimable et plaisant et d’un style, qui, comme celui de la bibliothèque, 81
rappelle curieusement la Renaissance. Ce sont le palais du roi Bécafa, avec ses vastes salles, ses écuries et sa grande cour trapézoïdale, le palais de l’impératrice Mentouab, villa à trois niveaux avec portes et fenêtres et balcons, dont les dispositions sont telles qu’on souhaiterait l’occuper comme la plus agréable des résidences secondaires si à la mode, tout comme le pavillon sur l’eau des bains de Fasilidas.
Face au palais de Mentouab, la charmante maison du chef de la cavalerie surplombe un grand patio jardin et domine une des principales portes de l’enceinte. On trouve encore dans cet ensemble les bains turcs et la maison des préparations nuptiales ou des épousailles qui datent du règne de Yassou le Grand.
Les édifices de l’enceinte impériale, pour intéressants qu'ils soient ne sont pas le seul attrait architectural et archéologique de Gondar. Sur une colline en face de l’enceinte, se trouve le palais du Ras Micaël Séhoul. Cet édifice, en remarquable état de conservation, fut construit probablement vers le milieu du XVIIIe siècle. Il rappelle en plus petit le château de Fasilidas, et il suffirait de supprimer quelques détails, maladroitement restaurés, comme les parapets de balcons en tubes de fer, pour lui rendre son aspect primitif. Il est utilisé actuellement comme palais de l’Empereur.
A 2 kilomètres au nord de la ville, au sommet d’une colline, l’abbaye fortifiée de Debra Berhan Seillassié a été construite par
A droite château de Fassilidas, à gauche celui de Yassou le Grand vu de l'ouest
L’enceinte impériale contenait encore deux églises, l’une ruinée, détruite et reconstruite dans le style traditionnel éthiopien sur un plan circulaire, Guemjabiet Maryam, le Trésor de Marie, l’autre, Attatami Queddous Micael, Saint-Michel le Beau, présentant beaucoup plus d’intérêt. Cette église, qui est actuellement quelque peu défigurée par la ruine de certaines de ses parties, fut construite par l’empereur Dawit III. Ce fut et c’est encore, un des monuments les plus caractéristiques de l’architecture religieuse de cette époque.
C’était primitivement une basilique à trois nefs, couverte en terrasse, à laquelle on accédait par un portique composé de quatre arcades flanqué de deux tours rondes.
82
Yassou le Grand, sur le plan rectangulaire que l’architecture religieuse copte abandonnera quelques années plus tard. Le site est romantique à souhait et on y pénètre par une porte d’enceinte pleine de grâce et d’originalité. L’architecture de l’abbaye n’a d’autre intérêt que ses dispositions exceptionnelles pour le pays, mais, mise à part la beauté du lieu, son attrait réside surtout dans les peintures intérieures qui décorent l’église, peintures vraisemblablement conservées intactes depuis leur exécution et qui sont parmi les plus anciennes et les plus intéressantes que l’on puisse- voir dans ce pays si riche en peintures religieuses.
Plus loin de la ville, et tout à côté des bains de Fasilidas, s’élève un monument isolé, assez curieux d’aspect, sorte de kiosque sur arcades, appelé « la tombe du cheval ».
Non loin de là une curieuse construction domestique, dont les détails sont pleins d’intérêt, tombe en ruine. C’est la maison « des poules ».
Au moment de son veuvage, l’impératrice Mantouab fit construire sur une colline à quelques kilomètres à l’ouest de Gondar l’importante abbaye de Gousquam où se trouve son tombeau. Au centre d’une double muraille fortifiée, s’élève l’église circulaire de Débra Tsehaye, l’église du soleil avec ses gradins concentriques et son toit conique qui reposait sur une galerie circulaire d’une quarantaine d’arcades. Une tentative malheureuse de restauration de l’église en béton, probablement insuffisamment armé, a provoqué l’effondrement d’une partie de l’église. Par une porte ouverte dans l’enceinte sous l’habitation du prêtre, on accède aux ruines du palais et de l'oratoire de l’impératrice Mentouab, pans de murs encore debout et de belle apparence, surplombant l’abîme, avec les traditionnelles tours gondariennes encore presque intactes. A l’intérieur, de vastes salles dont les planchers se sont écroulés.
Les détails et ornements des portes et fenêtres témoignent du même étrange raffinement que l’on peut observer dans les autres palais de la souveraine. Les vestiges d’un bas-relief représentant un éléphant surprennent cependant et donnent l’aspect exotique qui convient à ce décor d’une Renaissance très attardée.
Au cours des siècles, les monuments de Gondar ont résisté aux incendies et aux tremblements de terre. En 1867, puis en 1888, Gondar a été pillée, d’abord par les soldats de l’armée de l’Empereur Théodoros en lutte contre un corps expéditionnaire anglais, puis par des derviches envahisseurs. Les restaurations effectuées par les troupes du génie de l’armée italienne ont probablement sauvé certains de ces monuments, défiguré ou détruit d’autres. Depuis vingt-cinq ans, il ne semble pas qu’il ait été fait grand-chose pour sauver Gondar qui est un des plus grands attraits du tourisme éthiopien. Son accès est facile et confortable. Mais il faut craindre que dans quelques dizaines d’années Gondar malheureusement ne soit plus qu’un souvenir et un morceau de pierrailles.
Pierre-A. Emery
Photos de l’auteur
Entrée du château de Fassilidas, vue de l'ouest
83