Senegal

Les efforts actuels du pays sont concentrés sur le développement économique en priorité et l’on devra attendre encore un peu pour que architecturalement parlant , le Sénégal passe de la catégorie « sous-développé » à la catégorie « en voie de développement ».

Les réalisations actuelles peuvent se classer en cinq catégories: 1. Les paillottes et cases traditionnelles:

Certaines sont quelconques, d’autres telles que les « Cases Diolas » sont de vrais chefsd’œuvre qui méritent le nom de « maison ».

2. Les maisons et bâtiments de style dit « colonial » dont seul parfois le caractère

historique présente de l’intérêt.

3. Les réalisations liées à l’habitat moderne. Si les immeubles de rapport ne présentent aucune originalité, certaines villas ou immeubles de logements économiques ne sont pas dénués d’intérêt. Compte tenu des coûts extrêmement bas obtenus, l’on peut s’émerveiller de la qualité esthétique de certaines réalisations de la S.I.C.A.P.

(Société Immobilière du Cap Vert), de l’O.H.L.M. (Office des Habitations à Loyer Modéré) ou de la SCET-Coopération (dont l’architecte est M. Arsac).

4. Les bâtiments publics et monuments modernes dont l’architecture est sobre et solide mais ne témoigne pas d’une recherche approfondie.

5. Les bâtiments religieux : Eglises et Mosquées, méritent une place à part vu l’effort esthétique qui leur a été consacré. En particulier quelques grandes mosquées sont le plus beau fleuron de l’architecture sénégalaise; nous allons donc en parler plus longuement.

L’Islam sénégalais est dominé par les grandes confréries, internationales comme les Quadrya et les Tidjianes, nationales comme les Mourides et les Niassénes, ou régionales comme les Layennes. Les sources d’inspiration architecturales pour les mosquées sénégalaises sont triples: 1. Le style soudanais dont l'exemple typique est la grande mosquée de Mopti (République du Mali) et qui a surtout fleuri à l’époque précoloniale et coloniale dans les régions riches en argile (vallée du fleuve Sénégal).

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2. Le style hispano-mauresque importé du Maroc par lesTidjianesetremarquablement illustré par la grande mosquée de Dakar réalisée avec l’aide d’artisans marocains.

3. Un style original pseudo-oriental très répandu au Sénégal car adapté à la construction en parpaings de ciment majoritaire dans la zone arachidière.

Après quelques décades de maturation, ce style pourra être qualifié de «style sénégalais ». Il se caractérise par des minarets multiples de forme octogonale, en général deux grands face ouest et deux petits face est. Par ailleurs il n’y a pas de cour des ablutions mais une seule grande salle de prière. Le bâtiment des ablutions est un petit édicule placé à côté de la mosquée.

La décoration intérieure et extérieure est très variable et souvent d’une grande richesse, elle pourrait être appelée « baroque africain ».

Les trois plus grandes mosquées du Sénégal sont la mosquée centrale de Dakar, celle de Diourbel et celle de Touba. La première appartient au style marocain, les deux autres au style pseudo-oriental.

La grande mosquée de Dakar fait honneur à la valeur des entrepreneurs et maçons sénégalais qui ont réalisé le gros œuvre; aussi bien qu’aux artisans et ouvriers d'art marocains qui ont avec brio décoré le bâtiment.

Ce n’est pas à proprement parler une œuvre d’architecte, cette mosquée étant une copie de monuments historiques réalisés dans les siècles passés à Rabat, Séville et à Marrakech; l’architecte M.

Collet a adapté ce plan traditionnel.

Cette absence d’architecte a cependant eu une conséquence; l’on remarque une légère erreur de proportions dans la dimension du clocheton par rapport à celle du minaret.

La décoration intérieure de la mosquée à base de céramique est une pure merveille; à l’époque contemporaine peu de pays peuvent se flatter comme le Maroc de posséder une élite d’artisans et d’ouvriers d’art capables d’un tel travail. Je connais suffisamment les monuments historiques d’Andalousie et d’Afrique du Nord pour affirmer qu’il s’agit là d’une véritable renaissance de l’art hispano-mauresque

La grande mosquée de Diourbel et celle de Touba sont les sanctuaires principaux de la secte « Mouride », la plus nombreuse, la plus dynamique et la plus spécifiquement sénégalaise. A Diourbel domine la recherche du détail dans la décoration, c’est un bon exemple de « baroque africain », mais le bâtiment témoigne aussi de beaucoup de grâce et d’élégance. A Touba par contre, la grande mosquée est une œuvre de prestige et de puissance; le bâtiment est énorme, le grand minaret gigantesque; l’on sent un peu trop que c’est le béton armé qui a permis cette réalisation. Le plus remarquable est la relation entre l’architecture de la mosquée et la brousse environnante, trois routes bitumées convergent vers Touba en s’achevant par des lignes droites de plusieurs kilomètres dans l’alignement des minarets (au nombre de cinq). Le minaret central domine la plaine et sert de repère au pèlerin en jouant le même rôle que la cathédrale de Chartres au-dessus de la plaine de la Beauce. Espérons que le Sénégal trouvera son Péguy pour chanter la mosquée de Touba.

Revenons maintenant à l’avenir de l’architecture au Sénégal. Le premier point à assimiler concerne la priorité donnée aux impératifs économiques dans les pays en voie de développement. Il est essentiel que les urbanistes et les architectes aussi éminents soient-ils restent pénétrés que, dans ces pays essentiellement pauvres, la conception des villes et des bâtiments doit allier le «beau» à l’économique. La civilisation occidentale a pris naissance en

Grèce. Ce pays a toujours été pauvre, ses ressources venant surtout du commerce extérieur et de l’artisanat d’art; cependant il étonne encore le monde par ses monuments et ses sculptures.

Si l’on réfléchit en « économiste », les sommes investies en monuments classiques par la Grèce antique sont très raisonnables comparées aux dépenses des Egyptiens ou des Romains. Autour de petites places, les agoras, sous quelques portiques soutenus par des colonnades, s’est élaborée la base philosophique de la civilisation occidentale. Le Sénégal ne sera probablement pas une des plus grandes puissances économiques de l’Afrique; mais il se flatte d’être en tête des nations négro-africaines pour le développement intellectuel et culturel; il ambitionne d’être la Grèce de l’Afrique.

Pour être cette « Grèce de l’Afrique » le Sénégal a investi des sommes relativement importantes en théâtres et musées; mais ces réalisations s’adressent à une élite restreinte. Pour aller plus loin Mr. Arsac a proposé dans le cadre de la « rénovation de Médina » la réalisation de centres d’intérêts, de véritables « agoras » sénégalaises. La Direction de l’urbanisme, en liaison avec les ministères spécialisés (Affaires Culturelles, Jeunesse et Sport, Education Nationale, Information et Tourisme) voudrait doter chaque ville moyenne et chaque quartier de Dakar, d’un centre d’animation polyvalent et pluridisciplinel qui permettrait aux masses

1. Projet d'une Cité des Arts M. Chesneau et Jean Véroia, architectes 2, 3. La Grande Mosquée de Dakar 4. Immeubles ultra-économiques de la SICAP à Dakar

populaires de se « cultiver le corps et l’esprit »; de ces masses pourrait sortir le ferment intellectuel d'une renaissance intellectuelle et artistique africaine.

Au point de vue architectural, ces centres devront être des modèles adaptés à l’esthétique et aux réalités économiques locales.

Les architectes qui les concevront devront donc se plonger dans la vie sénégalaise et se pénétrer de l’âme du pays; il ne faudra pas introduire sans discernement des modèles étrangers; les techniciens devront vivre longtemps dans les villes ou quartiers intéressés et ne pas se cantonner dans les hôtels modernes de la capitale.

Le Sénégal devant se construire avec et pour les Sénégalais, il est indispensable de former des architectes sénégalais qui seront associés aux architectes de l’Assistance Technique pour concevoir ces réalisations pilotes.

Je pense que cet objectif est à la mesure du Sénégal et nous sommes suffisamment tenaces pour l’atteindre.

E. Giroult