Kunio Maekawa, Tokyo
Photo Maud Krafft
"La décadence psychologique des architectes eux-mêmes qui ne regrettent pas de se jeter comme «marchandises commerciales» dans la société moderne11 12
La formation des architectes La formation des architectes d’aujourd’hui se trouve en face d’une double difficulté: premièrement, elle n’est possible que par les architectes eux-mêmes, malgré toutes les institutions bien établies de l’éducation contemporaine; deuxième difficulté, celle de trouver des architectes adéquats dignes de leur profession libérale, à cause de la crise sociale qui ébranle la base même de la profession.
En architecture, la technique et l’esprit sont indépendants l’un de l’autre. La technique de l’architecture moderne existe entièrement en dehors de la personne de l’architecte, comme une technique autonome et objective, tandis qu’en d’autres arts, comme la peinture et la sculpture, la technique se trouve toujours dans la personne de l’artiste lui-même, étroitement liée à l’esprit de l’artiste.
La technique de l’architecture est donc accumulative et transmissible, et, par conséquent, elle peut être enseignée dans le cadre de la présente institution de l’école d’architecture, mais le problème de l’esprit en architecture est complètement hors de sa portée.
La formation des architectes n’est possible que par les architectes eux-mêmes, mais ce qui est tragique aujourd’hui, c’est qu’il n’est pas facile de trouver l’architecte digne du nom de la profession libérale.
La profession d’architecte était considérée, à côté de celles d’avocat et de médecin, comme une des professions les plus éminentes depuis longtemps; malheureusement, il paraît qu’elle a abandonné ce prestige d’être libérale pour devenir commerciale dans la société moderne. Les architectes du monde moderne paraissent n’être plus conscients de l’indispensabilité de leur statut libre pour leurs activités créatrices, qui sont les bases mêmes de leur existence.
La raison pour laquelle la profession de l’architecte a été considérée libérale réside dans le fait qu’elle avait toujours une double responsabilité : l’une pour son client comme le fournisseur du concept technique et artistique, et aussi comme le représentant de l’intérêt du client; l’autre pour la communauté comme créateur de l’environnement public. Pour accomplir cette double tâche, il lui a fallu garder son statut libre, l’architecture étant après tout la masse des décisions de l’architecte dans l’état libre de son esprit.
Aujourd’hui, cette liberté de l’esprit de l’architecte est en grand danger; non seulement parce qu’il est menacé par le présent régime de la société industrielle, mais aussi par la décadence psychologique des architectes eux-mêmes, qui ne regrettent pas de se jeter comme «marchandises commerciales» dans la société moderne et ne sont plus conscients de la nécessité de l’esprit libre pour son existence.
Il y a déjà une quarantaine d’années qu’Elie Faure a écrit que, après cent ans d’éclipse à peu près totale, l’aube de l’architecture moderne était annoncée, mais elle semble déjà tombée dans une étape de décadence. Les architectes contemporains sont divisés en deux catégories : ceux qui répètent des travaux routiniers sans aucune réflexion ni répugnance, et ceux qui font les choses les plus honteuses au nom de l’individualisme, prétendu prestige de la société actuelle. C’est ainsi que l’architecture moderne est déjà tombée dans une sorte d’académisme à moins d’un demi-siècle de sa naissance.
Comment peut-on espérer la résurrection de l’architecte libre? Rappelonsnous que, au commencement des mouvements de l’architecture moderne, les prédécesseurs de l’architecture moderne du XXe siècle ont commencé leurs mouvements comme une critique de leurs environnements architecturaux. En ce moment critique de l’architecture, je crois qu’il n’y a que cet esprit libre de la critique de l’architecte qui pourrait donner jour à la nouvelle architecture contemporaine.
Photo: Ministère de la construction, Paris
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