Vladimir Bielooussov, Moscou

Evolution de la formation et de la position de l’architecte en URSS

■En URSS, le manque d’architectes s’explique par ce simple fait qu’il se construit chaque année plug ç[g

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Jamais encore notre pays n’avait connu un tel besoin d’architectes. Jamais non plus, il est vrai, on n’y avait réalisé une telle construction ni mis en valeur de nouveaux territoires à un rythme pareil.

On invite les architectes à venir exercer en Sibérie et dans le Grand-Nord, en Asie centrale et dans l’Extrême-Orient; dans les grandes agences d’études de Moscou, de Leningrad ou de Kiev, on leur assure d’excellentes conditions de travail, de bons salaires. Et néanmoins, le déficit en architectes se fait sentir partout, cruellement. S’il y a une telle demande, c’est que les architectes sont très nécessaires, c’est que pas une ville, pas un district, pas une localité rurale de quelque importance ne peut s’en passer.

Le rôle accru de la profession est sans doute une règle générale en notre siècle de transformations sociales et de révolution technique. En URSS, le manque d’architectes s’explique précisément par le développement impétueux que connaît le pays, par l’exploitation de nouvelles régions, ou par ce simple fait qu’il se construit chaque année plus de vingt villes nouvelles! Les chantiers s’ouvrent partout, partout on demande des spécialistes.

Le travail de l’architecte est indissociable de celui de la nation. C’est à lui qu’il revient de regarder de l’avant, de prévoir les éventuels changements de l’aménagement urbain ou de l’habitat.

Il porte une grande responsabilité pour l’utilisation rationnelle des finances de l’Etat, et, si ce n’est pas toujours sous une forme directe, c’est en tout cas sous celle de propositions intelligentes perpettant d’économiser le temps et d’accroître la productivité du travail.

Un exemple qui, à première vue, ne semble pas toucher directement à la profession: on sait qu’au cours du présent quinquennat l’URSS envisage d’augmenter sa production automobile de près de 4 fois pour les voitures particulières et de 1,6 à 1,7 fois pour les voitures utilitaires. Ce seul propos soulève pourtant devant les architectes une foule de problèmes entièrement neufs, allant des nouveaux types d’édifices industriels à

l’aménagement urbain, de la circulation automobile et pédestre au stationnement et au garage, etc.

L’architecte devient ainsi plus qu’un créateur, un homme public. Son travail ne sera valable que s’il sait présenter une conception rationnelle sous une expression technique et esthétique d’un haut niveau professionnel, ce qui veut dire que l’homme de la profession se transforme en un penseur, doublé d’un artiste et d’un ingénieur, d’un organisateur et d’un propagandiste. Voilà pourquoi les aspects idéologiques de sa formation font l’objet chez nous de la plus sérieuse attention.

Aujourd’hui, on ne saurait tout apprendre au futur architecte. La science et la technique se sont par trop différenciées.

Ce qu’il lui faut, c’est surtout une méthode de création, la faculté de penser dans l’espace, des connaissances suffisamment diverses pour en faire un homme averti des disciplines et des arts mixtes, en un mot un spécialiste de vaste culture.

On assiste actuellement à un intense processus de différenciation du travail de l’architecte. Si auparavant il exécutait lui-même tous les travaux d’étude, de calcul et de construction, maintenant la spécialisation s’étend non seulement à l’urbanisme et à l’architecture, mais également à la typologie des édifices.

L’architecte œuvre en équipe avec d’autres spécialistes, et l’on n’exige plus de lui un savoir universel mais un certain bagage de connaissances précises, en changement et en renouvellement perpétuels. C’est ce problème qui requiert toute l’attention de nos pédagogues et de nos architectes.

Prenons l’exemple des mathématiques.

Longtemps, on les a étudiées selon des programmes immuables. Aujourd’hui, quand la cybernétique entre dans les bureaux d’études, quand on demande aux architectes de savoir penser en mathématiciens, de savoir comprendre les avantages offerts par le calcul électronique, il a fallu réviser plus d’un programme, plus d’une méthode d’enseignement.

Mais en dépit de la prolifération des nouvelles disciplines, une chose reste invariable : les heures de dessin, de sculpture, de peinture, les heures d’étude sur projet et sur maquette. C’est le même phénomène que dans la formation des musiciens qui se consacrent à la composition, en somme. Et pour que les élèves n’aient pas à travailler deux fois

plus d’heures que n’en comporte la journée, nos pédagogues cherchent de nouveaux moyens mettant à contribution les techniques les plus modernes, comme l’enseignement programmé, le cinéma, la bande enregistrée, etc. Certes, la vie apporte d’elle-même ses corrections, et l’un des plus importants changements de ces dernières années a été l’ouverture de facultés spéciales dans quelquesunes de nos écoles supérieures: facultés d’urbanisme, d’habitat et d’équipement civique, d’architecture industrielle, de construction rurale. Il est vrai que certains architectes ne sont pas encore convaincus que ce soit là la bonne solution.

De fait, le problème est des plus complexes. L’élève formé par la faculté doit non seulement être un architecte au sens le plus large de cé terme, mais aussi un spécialiste en un domaine précis, ce qui décuple aussitôt sa valeur. A titre d’exemple, on peut citer le cas de jeunes ayant terminé leurs cours à la Faculté d’urbanisme de l’Ecole d’architecture de Moscou et s’étant attelés aussitôt à de très sérieuses études pour le Grand-Nord.

Par ailleurs, une équipe sortie l’an passé de la même faculté a remporté le concours pour le Siège du Praesidium de l’Académie des sciences de l’URSS, une confrontation ayant réuni les plus grands noms de l’architecture soviétique.

Voilà qui montre que la formation spécialisée n’empêche pas les jeunes de disposer d’une gamme de possibilités très variées qui leur permet d’exercer dans n’importe quel domaine de l’architecture.

Un facteur important du développement futur de l’enseignement peut être, à mon avis, une liaison plus étroite entre l’instruction, d’une part, et le travail d’étude expérimentale et de recherche, d’autre part. Dès maintenant, nos écoles supérieures sont devenues d’importants centres scientifiques où enseignants et élèves réalisent un vaste travail de recherche et d’expérimentation. Cela s’est aussitôt

répercuté sur la qualité des projets de cours et de diplômes que les élèves exécutent sous la direction et avec les conseils de pédagogues expérimentés, dans un esprit strictement scientifique.

On peut citer encore l’exemple de ce projet de diplôme proposant une ville souterraine pour le Grand-Nord, dans lequel l’auteur avance, au-delà des questions de pure composition, ses propres suggestions touchant aux délicats problèmes de sociologie et de psychologie, de transport et de climatisation suscités par les conditions climatiques et géographiques très particulières de ce site exceptionnel. La soutenance du diplôme a duré deux longues heures, les débats ayant attiré la plupart des enseignants et un nombre important de spécialistes exerçant dans le Grand-Nord.

Il faut dire que l’opinion publique suit avec un vivant intérêt l’évolution de l’enseignement de l’architecture. Les revues publiques des travaux de diplôme sont devenues une tradition. Une fois par an, une des grandes villes de l’URSS où fonctionne un des trente-six établissements supérieurs donnant une formation en architecture sert de théâtre à une session de la présidence de l’Union des architectes de l’URSS. C’est alors l’occasion d’examiner les meilleurs projets d’élèves, de dresser le bilan des travaux de toutes les écoles, de distribuer des prix et des diplômes aux élèves les plus méritants.

J’ajouterai, pour conclure, que l’actuelle promotion sociale de notre architecte, le vaste travail de formation des spécialistes de demain, ce sont là des facteurs qui me paraissent ouvrir les meilleures perspectives au grandiose programme de construction actuellement en cours en URSS et, au-delà, à tout l’avenir de notre architecture.

vice-président de l’Union des architectes de l’URSS, professeur à l’Ecole d’architecture de Moscou.

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