Pierre Jeanneret 22 mars 1896 — 4 décembre 1967

Gilles Barbey

Quelques architectes rendaient récemment hommage à un homme dont la personnalité et l’œuvre sont restées trop méconnues, malgré la qualité exceptionnelle de leur contribution. Le message délivré par Pierre Jeanneret, grâce à un travail acharné, sera certainement apprécié à sa juste valeur quand l’œuvre de cet homme modeste aura été plus largement diffusée.

Jeanneret étudie l’architecture à l’Ecole des beaux-arts de Genève entre 1913 et 1915. A l’époque, Genève est un milieu peu préparé à l’éclosion d’idées nouvelles.

Pourtant, quelques créateurs isolés ont réalisé des ouvrages dignes d’intérêt, parmi lesquels quelques ponts, banques et constructions industrielles... En général cependant, l’activité architecturale est encore soumise aux exigences d’une demande liée à la tradition culturelle du XVIIIe siècle. Les novateurs sont des indésirables.

Dans les pays latins, il existe quelques foyers de création où les idées nouvelles peuvent donner lieu à des œuvres de valeur: Barcelone, l’Italie du Nord, Paris... En France, l’initiative de quelques bâtisseurs a introduit le béton armé dans la construction. Les auteurs des premiers ouvrages en béton sont des ingénieurs, qui n’ont pas été marqués comme les architectes par la doctrine asservissante de l’Académie.

En construisant l’immeuble de la rue Franklin, le Théâtre des Champs-Elysées et l’église du Rancy, les frères Perret étendent l’ossature en béton armé audelà du domaine qui lui était jusqu’alors réservé. De massive qu’elle était dans son expression, l’architecture en béton va trouver un caractère de finesse, de légèreté et de subtilité. Pierre Jeanneret, qui collabore avec les frères Perret de 1921 à 1923, est aussitôt sensible à cette conception audacieuse et va s’imprégner de ces possibilités nouvelles. Le Corbusier, qui avait également travaillé auparavant à l’agence Perret, a d’ailleurs déjà affirmé dans le projet Domino l’incontestable avantage résultant de l’ossature en béton, qui va élargir le langage constructif.

Quand Pierre Jeanneret va rejoindre, en 1923, son cousin Le Corbusier, la porte est plus que jamais ouverte à des créations entièrement nouvelles. L’esprit critique avec lequel l’opinion publique va accueillir leurs idées sera simultanément un frein et un stimulant. Ainsi naît entre Le Corbusier et Pierre Jeanneret un dialogue

fécond, où accords et affrontements alternent. Le rôle de Jeanneret est triple.

Il est à la fois un interlocuteur constamment disponible pour Le Corbusier, le chef de l’agence, et le compagnon de Le Corbusier en dehors des heures d’activité au bureau. Les deux cousins pratiquent la gymnastique chez Albert Jeanneret, voient ensemble des expositions et des spectacles, partent pour des randonnées de découverte dans la nature.

Dans leur quête de vérité et dans la formulation de réponses appropriées aux besoins qu'ils analysent, ils sont unis par une entente profonde.

La fusion de leur sensibilité et de leur imagination donne naissance à un travail solide et varié. Les idées suggérées par l’observation des phénomènes autour d’eux se concrétisent aussitôt dans des propositions, où chacun apporte sa part propre. Cette mise en commun de leurs convictions respectives aboutit à des 81

chefs-d’œuvre aussi complets que la maison Savoy à Poissy, où il est difficile d’apprécier exactement quel est l’apport de l’un et de l’autre, tant le résultat est manifestement empreint d’unité de conception, de clarté et de vigueur. Au cours des vingt-sept années de travail en commun, PierreJeanneret et LeCorbusier ont uni leurs efforts pour donner lieu à cette création totalement homogène où chaque projet apparaît comme la conséquence naturelle et enrichie du précédent.

En 1940, le travail est devenu rare. Paris est occupé. Pierre Jeanneret et Le Corbusier sont contraints de se séparer pour poursuivre séparément leurs travaux.

C’est plus particulièrement dès cette année que Pierre Jeanneret trouvera dans une savante économie des moyens utilisés les fondements de la démarche architecturale qu’il poursuivra toute sa vie durant. La guerre a fait naître des besoins nouveaux. Les sinistrés et émigrés doivent pouvoir être relogés rapidement au prix de revient le plus bas. Au cours des années de guerre, Pierre Jeanneret imagine de nombreux systèmes, qui annoncent la construction préfabriquée, si largement diffusée depuis 1946. Maisons démontables, transportables, dépliables, extensibles: toutes les solutions d’urgence recherchées par Pierre Jeanneret avec l’aide de Jean Prouvé sont empreintes d’une ingéniosité remarquable. Témoin cette habitation sur un châssis roulant, dont les parois se rabattent instantanément, de manière à constituer une enveloppe continue. Mobilité, légèreté de l’assemblage et coût peu élevé, ce sont là de précieuses contributions à l’architecture. Pierre Jeanneret en est largement l’initiateur.

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Mais ce qui est admirable, c’est que l’économie de ces systèmes constructifs n’entraîne pas l’étiolement de l’habitation.

La recherche de la simplification n’implique pas l’indigence des formes. La solution architecturale n’est plus fonction des quantités mises en œuvre, mais plutôt du souci d’harmonie qui a présidé aux choix divers. Dans cette tâche, Pierre Jeanneret se réfère constamment aux besoins fondamentaux de l’homme: le besoin de protection, d’ouverture vers l’extérieur, de lumière et d’hygiène, d’intimité...

Le climat et la destination de la construction restent ses préoccupations de base.

La recherche d’une expression nouvelle n’est pas seulement la réponse à des impératifs d’ordre technique, mais davantage une suite de propositions désintéressées, élaborées avec une faculté d’invention peu commune. Ainsi, Jean Prouvé nous révèle des projets restés malheureusement inconnus, dans lesquels Pierre Jeanneret prévoyait la construction à une échelle monumentale de sols artificiels intégrés au site et viabilisés, permettant de bâtir librement et aux conditions les plus avantageuses grâce à l’industrialisation. Rien d’aussi révolutionnaire que cette idée n’a été réalisé depuis lors. Pierre Jeanneret s’est constamment préoccupé d’inclure la dimension d’économie dans tous ses projets.

A Grenoble, où Jeanneret est venu habiter en 1941 pour se mettre à distance d’un occupant qui faisait régner un régime d’oppression, son œuvre se poursuit dans la difficulté. La tension et la résignation auxquelles est soumise la population française encouragent le repli sur soi.

Pierre Jeanneret n’accepte pas cette forme de refoulement. Il déploie de plus belle son ingéniosité et, avec quelques amis, poursuit son travail patient et résolu. On construit peu ou pas du tout. Les possibilités de communication sont considérablement réduites. Pierre Jeanneret consacre ses facultés de créateur au mobilier. Les restrictions en matières élémentaires telles que le cuir, le caoutchouc, le métal et la colle n’empêchent pas néanmoins Pierre Jeanneret de façonner des meubles avec les moyens les plus rudimentaires. L’exemple du fauteuil composé de planches imbriquées en forme de X et maintenues à distance appropriée par des cordes servant d’accoudoirs, tout en maintenant souplement l’angle du siège, est bien caractéristique de la

démarche de Pierre Jeanneret. Loin d’être démuni en face de la pauvreté des moyens à disposition, il invente des possibilités nouvelles à partir d’un matériel sommaire qui lui permet de concrétiser son idée. C’est bien là le signe du créateur véritable que de ne pas se trouver paralysé lorsque la limitation est devenue impérative.

Le dynamisme et la modestie de Pierre Jeanneret, sa disponibilité surtout lui ont valu des amitiés d’une rare qualité ainsi que l’estime de ceux qui l’entouraient. Il savait mettre à profit ses observations pour les formuler dans un langage direct et généreux. Entre 1944 et 1951, Pierre Jeanneret reprend à Paris son activité d’architecte et d’urbaniste.

Il est chargé de l’étude de logements groupés, pour lesquels il détermine des conditions d’ensoleillement et d’éclairage très améliorés par rapport aux normes communément appliquées. Dans le projet Circulation verticale, pour VilleneuveSaint-Georges, dont les dispositions générales sont proches de celles de l’Unité d’habitation de Marseille, les décrochements successifs des planchers vus en coupe permettent au soleil de pénétrer jusqu’au centre du logis. Les murs disposés obliquement par rapport à l’alignement des façades permettent également, dans l’orientation est-ouest des appartements, une participation prolongée des pièces à l’ensoleillement du milieu du jour.

Cette même recherche, nous la retrouvons développée dans un sens différent au Centre technique de Béziers. Il s’agissait d’assurer de bonnes conditions de lumière et de ventilation naturelles, tout en protégeant les salles contre la chaleur excessive des mois d’été. Ces données climatiques impérieuses donnent lieu à une composition rigoureuse des masses de béton, contrastant avec les parties ajourées, conçues comme de vastes vitrages métalliques susceptibles de s’ouvrir sur toute leur étendue. De cette architecture vigoureuse et bien-fondée dans toutes ses composantes résulte un ouvrage de haute qualité.

Villeneuve-Saint-Georges Projets d’habitations collectives.

Projects for collective housing.

Entwurf von Sammelwohnungen.

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Photos de Pierre Jeanneret

Béziers Centre technique.

Technical centre.

Technisches Zentrum.

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Jeanneret voyage aussi aux Etats-Unis où il conçoit des sièges qui n’ont perdu aujourd’hui aucune de leurs qualités, puisqu’ils ont été inspirés par des réflexions sur la mécanique des mouvements du corps humain. Aucune concession à la vogue des formes n’a été consentie, si bien que ces meubles ont conservé de nos jours un caractère parfaitement contemporain. La richesse des idées de Jeanneret, alliée à la parfaite exécution industrielle américaine, a fait de ce mobilier des créations excellentes.

C’est l’intervention de Claudius Petit, ministre français de la Construction, qui renoue la collaboration entre Le Corbusier et Pierre Jeanneret. Chandigarh, la nouvelle capitale du Pendjab, va être édifiée. Et l’on ne peut imaginer mieux que confier cette tâche aux anciens partenaires de la rue de Sèvres. En 1951, Pierre Jeanneret part pour l’Inde, où il habitera de façon permanente jusqu’en 1965. L’œuvre qu’il y accomplira en l’espace de quinze ans, malgré les difficultés et le climat, est la meilleure preuve de sa forte personnalité.

Dans sa correspondance avec ses amis, il redit sans cesse son émerveillement devant la civilisation du nord de l’Inde dans ce qu’elle a de plus pur: la noblesse des contacts humains, la beauté de la nature, la richesse d’invention des traditions artisanales. L’architecture de Pierre Jeanneret s’inscrira désormais dans le contexte local comme un ensemble de réponses judicieuses à des problèmes éternels.

Il n’existe pas encore d’architecture, et pourtant l’architecture est partout, dans les masures en boue séchée des indigènes, dans la construction des charrettes, dans l’intérieur des logements où leurs habitants vivent à même le sol, en se servant d’un équipement sommaire mais totalement intégré au cadre. Jeanneret pénètre dans ces habitations, note la façon dont les femmes du Pendjab veillent à leurs devoirs domestiques, en disposant de supports à portée de la main pour tous leurs gestes.

Le climat reste la préoccupation essentielle de Pierre Jeanneret. Tout mode de vie y est indissolublement lié. Les vérandas et portiques devant les nouvelles habitations sont façonnés avec le respect d’une matière aux possibilités limitées et pourtant constamment renouvelées. La brique d’argile friable fournit à Pierre Jeanneret des possibilités sculpturales

Charrette à bœufs au Pendjab.

Oxcart in the Punjab.

Ochsenkarren in Punjab.

dont il saura tirer des effets puissants.

En prolongeant la toiture au-dehors, Pierre Jeanneret crée une zone de repos et de diversion entre l’intérieur et l’extérieur. L’ombre et la fraîcheur y sont appropriées aux rigueurs du soleil de midi. La ventilation transversale est résolue de manière à assurer le bien-être.

Ce même souci des solutions faites de simplicité et d’économie, Pierre Jeanneret le développe plus que jamais dans son activité en Inde.

Un sujet de surprise pour Pierre Jeanneret est l’absence de mécanisation sur les chantiers de construction. Après s’être évertué, en Europe, à trouver des systèmes réduisants l’intervention de la maind’œuvre, par conséquent du coût, il est soudain confronté avec la nécessité de mettre à profit d’innombrables contributions manuelles, là où la machine aurait pu se charger de la besogne. Ainsi, de gigantesques échafaudages de bois constituent, devant les constructions en cours d’exécution, une succession de plates-formes et de rampes, où stationnent les équipes de travailleurs, qui se passent de la main à la main les matériaux en formant une chaîne continue. La vision de ces chantiers, avec leurs groupements humains répartis à tous les niveaux, inspirera probablement chez Pierre Jeanneret cette recherche de l’échelle qu’il a respectée même dans ses réalisations les plus monumentales.

Intérieur d'une habitation au Pendjab.

Interior of a dwelling in the Punjab.

Inneres einer Wohnung in Punjab.

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Chandigarh

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Détail de construction d'une habitation familiale.

Construction detail of a family dwelling.

Konstruktionsdetail einer Familienwohnung.

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Chandigarh Habitations économiques pour fonctionnaires.

Cheap housing for civil servants.

Billige Beamtenwohnungen.

Habitations contiguës très économiques.

Very cheap contiguous housing.

Billige aneinandergrenzende Wohnungen.

Bâtiments de bureaux.

Office buildings.

Bürogebäude.

Photo Jean Mohr

Habitations contiguës en construction.

Contiguous housing under construction.

Aneinandergrenzende Wohnungen (im Bau).

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Bâtiment d’administration de Y Université de Chandigarh.

Administrative building of Chandigarh University.

Verwaltungsgebäude der Universität von Chandigarh.

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Pierre Jeanneret exécute avec les moyens disponibles sur place l’œuvre de Le Corbusier à Chandigarh, le Capitole, la Haute Cour, le Palais de l’Assemblée et le bâtiment du secrétariat. Le Corbusier ne passe en Inde que quelques journées par année et la correspondance échangée avec Pierre Jeanneret montre clairement l’enthousiasme commun et l’estime réciproque qui unit les deux architectes.

Si l’œuvre de Le Corbusier en Inde donne cette impression de totale aisance et de grande spontanéité, il ne faut pas oublier qu’elle a été obtenue grâce à un labeur acharné, dont Pierre Jeanneret est le principal artisan.

Jeanneret s’attache l’amitié et la confiance de Nehru et des membres du gouvernement, qui voient en lui un allié véritable.

La besogne afflue dans son agence et l'on ne comprend guère aujourd’hui comment il a pu réaliser, en un temps aussi court, tout ce qu’il a entrepris. Car son œuvre est d’une telle abondance qu’elle ne paraît pas à la mesure d’un seul homme, si bien entouré soit-il. Jamais ne s’y manifeste une impression d’essoufflement devant la tâche. La contribution est sans cesse renouvelée.

Les habitations réalisées par Pierre Jeanneret à Chandigarh et aux environs abritent toutes les catégories de la population. Quelle que soit la destination

Chandigarh Echafaudages de chantier Scaffolding on a site.

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Chandigarh Claustras de terre cuite sur une terrasse.

Terra-cotta screen on a terrace.

Durchbrochene Mauer aus gebranntem Ton auf einer Terrasse.

de la construction, on y retrouve ce même souci du cadre propre à mettre en relief la dignité humaine. C’est la raison pour laquelle l’habitation d’un ministre ou d’un humble travailleur, tout comme sa propre maison, ont en commun cette simplicité née du désir de ne formuler que l’essentiel. Le confort ne réside donc pas dans le perfectionnement de l'équipement mais dans tout ce qui contribue à l’épanouissement des habitants: lumière, espace, beauté et harmonie des formes.

C’est cette volonté manifestée par Pierre Jeanneret qui fait que son œuvre ne se périme pas et qu’elle reste en accord avec la pensée temporelle de l’Inde, où l’Antiquité jouxte bien davantage qu’en Occident les temps actuels. Cette pérennité de l’architecture, il fallait beaucoup d’imagination pour la créer si résolument.

Pierre Jeanneret est tour à tour chargé de la construction de nombreuses habitations individuelles et collectives, d’écoles, de bâtiments universitaires, de centres administratifs... Il établit aussi des plans d’urbanisme en se fondant sur la nécessité de séparer le piéton de l’automobile, de créer des zones d’activité intense alternant avec des espaces récréatifs, de favoriser le bien-être de chacun en garantissant sa liberté d’établissement et de déplacement. Cette organisation n’est pas seulement consignée sur des plans,

mais vérifiée sur place, au fur et à mesure du peuplement des quartiers nouveaux.

L’arbre, l’herbe, l’eau entrent dans la composition architecturale en contribuant à constituer un cadre urbain vivant et harmonieux.

Lorsque va être confié à Pierre Jeanneret le projet du Mémorial Gandhi à Chandigarh, il parviendra à traiter cette œuvre avec talent et conviction. Le Gandhi Bawan est à la fois un témoignage au grand homme et un centre de référence à toutes les religions du monde.

Cette «sculpture habitée», surgie au milieu d’un plan d’eau, symbolise paix et équilibre, envol et éternité. Elle combine en trois espaces liés intimement les lieux de réunion et d’étude. La rencontre de l’angle et de la courbe, du plein et de l’ajour constitue un ensemble maîtrisé bien au-delà de la simple virtuosité plastique, pour revêtir un contenu symbolique élargi. Rien n’y est laissé au hasard et, pourtant, la composition est d’une totale liberté formelle.

Pierre Jeanneret est simultanément architecte et urbaniste en chef de l’Etat du Pendjab, directeur de l’Ecole d’architecture de Chandigarh et architecte actif.

Tant de tâches accumulées les unes avec les autres ne le privent pas d’occasions de se rendre disponible pour accueillir ceux qui viennent le voir. Son influence positive sur de nombreux étudiants est évidente.

Son goût de l’invention lui fait dessiner des bateaux qu’il utilise sur le lac de Chandigarh. Ses meubles façonnés avec du bois brut, du bambou, de la natte tressée, des paniers à céréales et des armatures à béton restent des créations étonnantes dont les prix de revient sont à la portée des familles les plus pauvres Il les dispose dans sa propre habitation et les offre à ceux qui en comprennent la beauté. S’il fallait en quelques mots résumer la démarche créatrice de Pierre Jeanneret, on pourrait dire: simplicité, économie, beauté et vérité.

Gilles Barbey

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Chandigarh Habitation d’un haut fonctionnaire de l’Etat.

House of a senior Civil Servant.

Wohnung eines hohen Staatsbeamten.

Chandigarh Théâtre de plein air à la cité universitaire.

Open-air theatre in the University.

Freilichtbühne im Universitätsviertel.

Photo Jean Mohr

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Chandigarh Gandhi Bawan. Mémorial Gandhi.

Gandhi Bawan. Gandhi memorial.

Gandhi Bawan. Gandhi-Denkmal.

Photo Jean Mohr

Intérieur de l'habitation de Pierre Jeanneret à Chandigarh.

Interior of Pierre Jeanneret’s house in Chandigarh.

Inneres der Wohnung von Pierre Jeanneret in Chandigarh.

Meubles dessinés par Pierre Jeanneret.

Furniture designed by Pierre Jeanneret.

Von Pierre Jeanneret entworfene Möbel.

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Propos d’urbanisme

La classification des voies de circulation doit être faite en tenant compte des différentes vitesses et de la destination de ces voies.

C’est de la meilleure disposition des bâtiments et de leur meilleure orientation que doit dépendre le tracé des voies de circulation, et non comme dans nos vieilles villes, où les bâtiments sont alignés parallèlement et symétriquement de chaque côté des voies existantes. Ce dernier système est l'expression caractéristique d’un urbanisme périmé.

«Dans un urbanisme moderne, il n'y a plus une façade principale sur rue et une façade arrière. H y a quatre façades dressées dans l’espace et dont chaque face doit avoir la même importance. A Chandigarh, lorsqu’on me parle de front elevation et back elevation, je suis immédiatement inquiet. Il y en a une cinquième constituée par les terrasses des constructions basses, vues des constructions plus hautes.

Une ville doit être divisée en secteurs dont les dimensions doivent permettre à chaque habitant de pouvoir satisfaire à ses besoins journaliers, sans avoir recours à des transports mécaniques.

Chaque secteur devra posséder une surface de verdure suffisante afin que le centre de la ville ne soit jamais étouffé malgré l’extension constante de la ville; cela afin d'éviter le mal de toutes nos vieilles villes.

Celles-ci ont rejeté chaque année un peu plus loin leur ceinture de campagne, sans se préoccuper de créer de nouveaux centres intérieurs de verdure. Un village, si compact soit-il, entouré de ses champs, est viable; mais si ce village s’agrandit et se transforme en une ville, en conservant à peu près les mêmes tracés du petit village, cette ville est destinée à mourir de congestion.

»La majorité de nos villes anciennes sont dans ce cas, et l’urbaniste doit démolir et construire en hauteur pour améliorer la circulation et créer des zones de verdure.

C’est donc à toutes ces éventualités futures que l’effort de l'urbaniste doit se porter, et jamais, dans le tracé d'une ville moderne, les prévisions à longue vue ne seront exagérées.

Dans le tracé d’une ville moderne, à part les espaces à réserver à la circulation et aux zones de verdure qu’il faut prévoir très suffisants, il faut toutefois s'efforcer de réduire sa surface. A Chandigarh, si pour la première étape de 150000 logements nous n’avons pas pu obtenir la

densité que nous aurions désirée, cela provient de ce que l’Inde est en ce moment encore pauvre en argent et en possibilités techniques.

» En effet, ces secteurs d’une dimension de 1200 sur 300 mètres sont limités par de grandes voies de circulation rapide de transit au travers de la ville, qui ne desservent aucune habitation. C’est la clé de l’urbanisation de Chandigarh dont Le Corbusier est le créateur, qui, pour la première fois, a pu réaliser un tel système grâce à la compréhension des promoteurs et responsables de cette cité. Tous les croisements de ces grandes voies de circulation rapide, qui entourent les secteurs, ont une réserve d’espace suffisante pour qu’en temps utile ces croisements, actuellement à un niveau, puissent être à deux ou trois niveaux. Cela permettra une circulation continue, sans l’intervention d’agents de police ou de feux rouge-vert-jaune, comme dans nos vieilles cités.

«La dignité des piétons est respectée dans les secteurs et, d’autre part, d’un secteur à l’autre, elle sera assurée par des passages souterrains ou subterrains qui ne seront jamais reliés aux croisements de trafic rapide. »

Notes manuscrites de Pierre Jeanneret 95

Chandigarh Monument pour l’âge atomique, Université du Pendjab ( en construction).

Monument to atomic age, Punjab University (under construction).

Atomzeitalter-Denkmal, Universität von Punjab (im Bau befindlich).

Photo Jeet Malhotra

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