Suisse
La Cité du Lignon, Genève Le Lignon est un événement. Il est la place des Vosges et la place Vendôme de notre temps. H faut le dire bien haut, car H est à craindre que l'on n'accorde pas à cet événement l'attention voulue et qu'on ne lui reconnaisse pas la signification qu'il comporte. Le Lignon est ce que l'on appelle un «grand ensemble», terme extrêmement et souvent justement décrié. Aux yeux du grand public, le grand ensemble type, c'est Sarcelles, avec tous ses défauts actuels.
Encore que je souhaiterais que l'on reparle de Sarcelles dans vingt ans sans passion, et qu'on restitue très exactement Sarcelles dans le contexte qui fut celui de son origine.
En tant que « grand ensemble », le Lignon parait bien être, à ma connaissance, le premier groupement «de grandeur conforme», cela pour reprendre une terminologie cohérente.
En 1947, Le Corbusier invente l’unité d'habitation de grandeur conforme, ce qui correspond à la recherche de la dimension la plus favorable pour un groupement de logements urbains, dans les conditions les meilleures et pourvue des équipements nécessaires. Dans son esprit, ces unités sont susceptibles d'être juxtaposées, comme il le prévoyait pour les plans de Meaux et comme le seront celles actuellement en construction à Firminy.
Mais il est difficile d'affirmer à priori qu'une telle juxtaposition d'unités constitue à son tour une unité nouvelle cohérente ayant dans la vie urbaine une dimension sociologique précise. Nous vivons à une époque qui est, en quelque sorte, celle de l'urbanisme en pièces détachées.
Presque tous les éléments de la panoplie existent, parfois à titre expérimental ou de prototype. Que /assemblage en bon ordre de ces éléments épars soit difficile ou presque impossible, là n'est pas la question. Il importe surtout de savoir qu'ils existent.
Le Lignon semble bien être la pièce qui manquait à ce vaste jeu de construction. La solution qu'il propose
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n'est pas unique et H est encore trop tôt pour décider si c'est la meilleure.
D'autres, tel J. Bossu, poursuivent des recherches analogues en y appliquant un talent, un tempérament personnel et un esprit différent, ce qui est excellent.
Mais le Lignon a le mérite immense d'exister, de pouvoir être testé, expérimenté, d'apporter une réponse positive à la controverse stérile du « grand ensemble».
Là ne sont pas ses seules qualités.
Pour les reconnaître, H suffit de percevoir ce qui le distingue de tout autre groupement de même importance, ce qui précisément fait son exceptionnel intérêt.
Le principe même de son plan de masse assez rigide n'est pas particulièrement original. Utilisé avec moins de sûreté, il conduit facilement aux pires erreurs, à une systématisation sans esprit. Appliqué avec une maîtrise parfaite sur un terrain difficile, // est la manifestation évidente d'une volonté lucide et courageuse.
De ia lucidité, il en faut pour poursuivre une idée jusque dans ses extrêmes conséquences. Le courage et la ténacité sont nécessaires pour faire comprendre et admettre que le Lignon ne comportera que trois immeubles. Le premier, peu élevé, se développe très librement et selon les accidents du terrain, d'un seul tenant sur un kilomètre. Cet immeuble enveloppe le terrain et s'oppose à deux tours rectangulaires et jumelles qui dominent la falaise du Rhône.
Les façades de ces trois immeubles sont composées en tout et pour tout de deux éléments, le mur-rideau unique dont les composantes toujours identiques sont répétées quasi indéfiniment, pourrait-on presque dire, et la coursive horizontale qui module le volume. Deux éléments qui sont les étalons de mesure d'une dimension nouvelle et inusitée. Audace, raison, économie et somptuosité. Le faîte de la façade se détache d'une ligne nette, correcte sur le ciel, sans bavure de cheminées ni de cages d'ascenseur.
On éprouve au Lignon le même plaisir que l'on ressent devant un gratte-
ciel parfait, le Seagram Building, par exemple, et cela pour des raisons identiques: unité, clarté, simplicité et respect d'une échelle. En plus, la rigueur des volumes élevés en opposition à la souplesse (on voudrait employer le terme de «flexibility» si souvent mal traduit) des parties horizontales de la composition, la sévérité, le jansénisme même de l'application d'un module, le tout concourt à une indéniable grandeur.
Dans la grammaire de l'urbanisme moderne, le Lignon réunit les données du chapitre de l'habitation.
Il ne s'agit pas de plagier cet exemple, ce qui aboutirait à en retirer sa qualité, mais bien de comprendre les raisons qui en font déjà un classique de l'architecture et de l'urbanisme de notre temps.
Pïerre-A. Emery
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