Michel Ragon

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Les grands architectes qui ont créé l’environnement dans lequel vivent les habitants des cités neuves et des quartiers rénovés - c’est-à-dire bien sûr Gropius, Mies, Le Corbusier; c’est-à-dire le Bauhaus et le Stijl, la Charte d’Athènes et les CIAM - apparaissent aujourd’hui comme étrangement anachroniques dans la mesure où cet environnement a fait faillite.

Evidemment, les grands créateurs de l’architecture des années 20 nourrissaient d’autres rêves que ceux des cités-dortoirs, que ceux des déserts de béton, que ceux de la destruction de la ville au profit des parkings et des autoroutes, etc. Mais, néanmoins, toutes ces aberrations étaient contenues dans leur doctrine. Leurs sinistres descendants, leurs mauvais élèves n’ont fait que mettre en pratique leurs boutades.

L’un des plus grands étonnements de l’historien futur sera sans doute de s’apercevoir que, au moment où toutes les techniques faisaient des progrès gigantesques, l’architecture demeurait un artisanat, alors que l’urgence des locaux eût demandé qu’elle devienne une industrie de pointe. Or, la grande industrie construisait des voitures pratiques et bon marché pour s’évader de la ville, mais abandonnait la ville aux maçons, aux agents voyers, aux spéculateurs tous azimuts.

Il me paraît évident qu’étant donné l’ampleur des problèmes posés par l’architecture présente et future, étant donné que pratiquement rien n’est fait, que tout reste à inventer pour une civilisation urbaine de masse, seules des équipes pluridisciplinaires pourront peut-être résoudre les impératifs. La création architecturale devrait être à l’échelle des autres grandes équipes de création: celle du Concorde, celle des fusées lunaires, celles de la recherche atomique, etc.

Nous en sommes loin. On ne sait pourquoi? Il semblerait pourtant plus urgent, plus utile, plus social, plus prospectif, moins bête de donner aux hommes un habitat et un environnement qui leur conviennent, que d’envoyer quelques colonels dans la Lune1, que de faire voler plus vite un avion de Paris à New York, etc. Si l’avenir est aux grandes équipes de création, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de place pour une «architecture de chevalet», pour des architectes-artistes. Que quelques individualités fassent avancer l’architecture,

Die grossen Architekten, die die Umwelt, in der die Bewohner der neuen Städte und renovierten Viertel leben, geschaffen haben, d. h. Gropius, Mies van der Rohe, Le Corbusier - d. h. das Bauhaus, Stijl, La Charte d’Athènes und die CIAM -, scheinen heute seltsam unzeitgemäss, insoweit diese Umwelt Bankrott gemacht hat. Es steht fest, dass die grossen Architekturschöpfer der zwanziger Jahre andere Träume hegten als die von Betonwüsten, der Stadtzerstörung zugunsten der Parkings und Autobahnen usw. ... Aber alle diese Verwirrungen waren dennoch in ihrer Doktrin enthalten. Ihre düsteren Nachfolger, ihre schlechten Schüler haben lediglich ihre Launen in die Tat umgesetzt.

Der Historiker der Zukunft wird wohl am meisten erstaunt sein bei der Entdekkung, dass in dem Augenblick, da die gesamte Technik ungeheure Fortschritte machte, die Architektur ein Handwerk blieb, obgleich die Wohnungsnot verlangte, dass sie zur Spitzenindustrie werde. Die Grossindustrie produzierte jedoch praktische und billige Autos, um der Stadt zu entkommen, und überliess die Stadt den Maurern, Wegemeistern und Spekulanten aller Azimute.

Angesichts des Ausmasses der in der gegenwärtigen und zukünftigen Architektur gestellten Probleme, in Anbetracht der Tatsache, dass nichts getan wurde, dass noch alles für eine urbane Massenzivilisation erfunden werden muss, scheint es mir einleuchtend, dass einzig Teams, die aus mehreren wissenschaftlichen Zweigen zusammengesetzt sind, eine Lösung finden können. Die architektonische Schöpfung sollte auf gleicher Höhe wie die anderen grossen Arbeitsteams stehen: des Friedens, der Mondraketen, der Atomforschung usw. Wir sind weit davon entfernt. Weiss man warum? Es scheint mir jedoch dringender, nützlicher, sozialer, weitsichtiger, weniger dumm, den Menschen Behausungen und eine Umwelt zu verschaffen, die ihnen zusagt, als einige Obersten auf den Mond zu schicken1, die Fluggeschwindigkeit eines Flugzeuges von Paris nach New York zu erhöhen usw.

Wenn die Zukunft den grossen Arbeitsteams gehört, soll das nicht heissen, dass es keinen Platz mehr für eine «StaffeleiArchitektur», für Architekten-Künstler gebe. Es besteht kein Zweifel darüber, dass in der Zukunft einige Persönlich-

The great architects who have created the environment in which the inhabitants of the new cities and rebuilt quarters live, are of course Gropius, Mies, Le Corbusier; i.e. the Bauhaus and the Stijl, the Athens Charter and the CIAM— they appear today strangely anachronic insofar as this environment is now bankrupt. Of course, the great creators of the architecture of the 1920’s nursed other dreams than those of dormitory cities, or concrete deserts, or the destruction of towns to make way for car parks and motorways, etc. But, nevertheless, all these aberrations were contained in their doctrine. Their wicked descendants, their bad pupils, have only put their whims into practice.

One of the greatest surprises of the future historian will no doubt be to perceive that at a moment when all techniques were making tremendous progress that architecture remained artisanal in spite of the fact that the urgency of the need for buildings demanded that it become an upto-date industry. At the same time, a huge industry was building practical and cheap cars so that the population could get away from the town, leaving it to the masons, the surveyors, to the speculators of all kinds.

It seems to me obvious that, given the range of the problems set by present and future architecture, and the fact that practically nothing has been done, that everything remains to be invented for a mass urban civilization, only the pluridisciplinal teams can perhaps solve the imperatives. Architectural creation must be on the scale of the other great creative teams: that of the ‘Concorde’, that of the moon rockets, those of atomic research, etc.. . . We are far from that.

Do we know why? It would seem moreover, more urgent, more useful, more social, more prospective, less stupid, to give men a habitat and an environment that is suitable for them, rather than to send several colonels to the moon1, to make an aeroplane fly even faster between Paris and New York, etc. If the future is with the large creative teams that does not mean that there will be no place for an ‘easel architecture’, for the architect-artists. That several individuals will cause architecture to advance in the future there is no doubt. However, one cannot bank on genius. Genius must be able to manifest itself, in abundance.

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Michel Ragon

dans l’avenir, nul doute. Mais on ne peut pas miser sur le génie. Le génie doit pouvoir se manifester, mais de surcroît.

keiten die Architektur weiterbringen werden. Aber man kann nicht auf das Genie setzen. Das Genie muss sich - zusätzlich äussern können.

9/12/13

Vos questions 9, 12 et 13 se conjuguent.

On ne voit nulle part l’application des théories nouvelles (c’est-à-dire postcorbusiennes et post-Bauhaus, post-CIAM et post-Charte d’Athènes) dans les réalisations urbanistiques récentes. Si bien que certains peuvent en effet s’interroger sur le caractère réaliste des recherches d’un Yona Friedman, d’un Paul Maymont, d’un Kurokawa, d’un Peter Cook, d’un Paolo Soleri, etc. et les traiter d’utopistes. Il se produit un étrange phénomène de récupération par la société, et qui ne touche pas seulement l’architecture. On commence par combattre les théories des novateurs, par les déclarer absurdes; puis on les récupère, mais en les rendant inoffensives.

Che Guevara devient une vedette de cinéma et Yona Friedman un professeur d’université américaine. Je veux dire que, après avoir trouvé les plans, projets, dessins et théories des «architectes prospectifs» de la plaisanterie, toutes les revues d’architecture du monde se sont mises à les reproduire et à les commenter avec de grands éloges. L’architecture de recherche est ainsi sanctifiée, exposée dans les plus grands musées, est l’objet de séminaires prestigieux, reproduite en couleurs après l’avoir été en noir. Et il existe ainsi deux architectures absolument parallèles, qui ne se rencontrent jamais: celle qui s’édifie et dont on dit le plus grand mal; celle qui «reste en plans» (c’est le cas de le dire) et dont on dit le plus grand bien. Ainsi, tout le monde est content. Il n’y a pas de maudits, pas d’oubliés, pas d’obscurs.

L’architecture prospective devient la bonne conscience d’une société qui s’en contrefout, mais qui lui donne pour la museler une place de vedette journalistique. Le terrain reste ainsi libre pour les affairistes, les constructeurs de villes nécropoles, les fossoyeurs de la civilisation.

M. R.

1 La satellisation des colonels demeurant néanmoins une perspective pleine de promesse heureuse.

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9/12/13

Diese Fragen gehören zusammen. Bei den neueren städtebaulichen Arbeiten sieht man nirgends die Anwendung der neuen Theorien (d. h. nach Le Corbusier, nach dem Bauhaus, der CIAM und der Charte d’Athènes), so dass manche sich in der Tat über den realistischen Charakter der Forschungen eines Yona Friedman, eines Paul Maymont, eines Kurokawa, eines Peter Cook und Paolo Soleri usw. sowie der Utopistenabhandlungen befragen können. Es passiert nun ein seltsames Phänomen der Zurückgewinnung durch die Gesellschaft, was nicht nur die Architektur anbelangt. Man fängt an, die Theorien der Neuerer zu bekämpfen; dann gewinnt man sie wieder zurück, macht sie aber gleichzeitig unschädlich.

Che Guevara wird zu einem Filmstar und Yona Friedman ein amerikanischer Universitätsprofessor. Nachdem sämtliche Architekturzeitschriften der Welt die Pläne, Projekte, Entwürfe und Theorien der «zukunftsgerichteten Architekten» als Scherz hingestellt haben, haben sie mit der Veröffentlichung und Lobpreisung derselben begonnen. Die Architekturforschung wird somit geheiligt, in den grössten Museen ausgestellt, ist der Gegenstand grossartiger Seminare. Sie wird in den schönsten Farben dargestellt, nachdem sie schwarz gemacht wurde. Somit bestehen zwei genau parallele Architekturen, die niemals Zusammentreffen: jene, die erbaut wird und von der man die übelsten Dinge sagt; und jene, die beim Plan stehenbleibt und die man aufs höchste lobt. So ist jeder zufrieden. Es gibt keine Verfluchten, keine Vergessenen, keine Unbekannten. Die zukunftsgerichtete Architektur wird zum guten Gewissen einer Gesellschaft, die darauf pfeift, ihr aber den Platz einer Presseberühmtheit einräumt, um sie zu knebeln.

Damit bleibt das Feld frei für Spekulanten, Erbauer der Friedhofsstädte und Totengräber der Zivilisation.

M. R.

1 Die Satellisierung von Obersten bleibt dennoch eine vielversprechende Aussicht.

9/12/13

Your questions combine. Nowhere does one see the application of the new theories (that is the post-Corbusian and post-Bauhaus, post-CIAM and postAthens Charter) in the recent town planning creations. So much so that certain people can in fact question the true character of the research of Yona Friedman, Paul Maymont, Kurokawa, Peter Cook, Paolo Soleri, etc. and treat them as utopias. A strange phenomenon of recuperation by society has been produced and it affects not only architecture. One begins by opposing the theories of the innovators, by declaring them absurd; then one recovers them and renders them inoffensive. Che Guevara becomes a film star and Yona Friedman a professor in an American university.

What I mean to say is that after having found the plans, projects, designs and theories of ‘prospective architecture’ a joke all the reviews of architecture in the world begin to reproduce them and to comment on them with much praise.

Research architecture is thus sanctified, exposed in the largest museums, is the object of prestigious seminars, reproduced in colour after having been in black and white. Thus there exist parallel architectures which never meet; that which is built and of which one says the worst; that which remains ‘a project’ (it is the occasion to say it) and of which one says nothing but good. Thus everyone is happy. There are no damned, no forgotten, no unknown.

Prospective architecture becomes the good conscience of a society which could not give a damn but which in order to muzzle the fact makes this architecture a star of journalism. The field therefore remains open for the sharks, the builders of cemetery towns, the grave-diggers of civilization.

1 The satellization of the colonels remains nonetheless a perspective full of promise.