MARC J. SAUGEY | Relations entre architectes et réalisateurs

Réponse de la section suisse à un des thèmes du Congrès de l’U.I.A. à Lisbonne.

L’évolution ultra-rapide des dernières décennies a placé, une fois de plus, l’architecte et sa profession à une croisée de chemins délicate.

Le problème de construire est devenu si vaste, si complexe, que la position de l’architecte, « assis sur son tas de briques avec des moyens artisanaux », comme l’écrit Gropius, est devenue intenable.

Le moment est venu de choisir :

MISSION OU DÉMISSION

En suivant la route conventionnelle actuelle, nous ne serons bientôt que des collaborateurs ou des modélistes.

Un nombre toujours plus grand d’entre nous a compris ce dilemne, conçu des nouvelles données de l’art de bâtir et essaie de résoudre les problèmes d’économie, de réalisation, même d’inventer.

Mais les positions sont faussées par les canons conventionnels. Les recherches ne paient pas.

Le plus grand travail engendre le plus petit gain.

Parallèlement, une nouvelle position sociale et professionnelle de l’architecte doit être recherchée, conforme à l’immense bagage requis pour l’exercice de son activité. Il faut repenser le terme « architecte » qui aujourd’hui doit être une trilogie : artiste, technicien, homme d’affaires, et non le dessinateur sophistiqué au sommet d’un phare éteint. On doit arriver à la suppression des querelles d’écoles gratuites et stupides qui sapent peut-être les dernières positions des conventionnels, allouent peut-être une publicité concrète à certains architectes contemporains, mais démonétisent incontestablemnt la profession dans son ensemble.

La solution doit être recherchée dans un resserrement des diverses fractions de la profession par l’affirmation de la vie et de son évolution et, en pleine objectivité, par l’encouragement sous les formes les plus diverses des éléments actifs, chacun comprenant et réalisant l’idée de corps. Il faut mettre l’accent sur le côté complet du bagage de la profession (art, technique, finance), sans quoi une œuvre quelle qu’elle soit ne pourra être totale.

Cette question revêt une grande importance dans les appréciations entre architectes. Ses résultantes vis-à-vis du public, des entreprises et industriels sont toujours à porter au passif de notre profession. Il y a tout d’abord une lutte à gagner entre nous tous pour un état d’esprit unifié. Cette position implique impérieusement l’acquisition des connaissances indispensables propres à permettre à quelquesuns un rôle d’émulateur, d’engendreur d’enthousiasme, de créateur ; une attitude de compréhension morale et technique pour les autres.

Nous nous sommes déjà laissés dépasser sur le chemin de l’évolution et ce n’est pas en reniant un rôle séculaire que nous pourrons reprendre les rênes de chef d’orchestre et de coordonnateur. C’est à l’architecte qu’est dévolu le rôle de démontrer toutes les possibilités, les ressources, les visions, les organisations nouvelles que les bonds de la science et de l’industrie permettent. Notre sens d’anticipation, notre imagination, bases même de l’art de construire, doivent ainsi nous replacer à la position privilégiée antérieure. Nous ne devons jamais oublier que « demain a toujours raison » alors qu’aujourd’hui, en face de bien des problèmes, nous sommes contraints à des positions de néophytes.

Le client avisé sait aujourd’hui que l’architecture contemporaine paie, commercialement parlant (le Lever House à New-York en est un frappant exemple).

En conclusion, par tous les moyens, tant à l’intérieur de nos organisations professionnelles qu’à l’extérieur, l’idée doit se dégager que toute construction est une réalisation totale englobant les facteurs les plus divers : sentiments artistiques, conception technique, matériaux adéquats, réussite financière, tant budgétaire que d’exploitation, organisation rationnelle, etc.

Pour en être digne, il faut résolument se plonger à nouveau dans la vie et écarter certaines règles désuètes de bienséance. Notre indépendance n’a rien à risquer à une telle décision, au contraire ; une politique de présence ne peut qu’être favorable. Il faut individuellement et corporativement multiplier les contacts avec les autres organisations du bâtiment et de l’industrie et leurs membres ; connaître ainsi les procédés nouveaux, les mises en œuvre, les matériaux, les possibilités, d’une façon approfondie ; en confronter localement, régionalement, internationalement les résultantes à l’intérieur de notre profession par l’intermédiaire des associations, des commissions ou des délégués ; arriver ainsi à une unité de vues relative aux problèmes étudiés, de façon à permettre la création d’un fichier vivant. Les recommandations et les directives qu’il renfermerait constitueraient un poids incontestable vis-à-vis de l’industrie et des entreprises. L’architecte, même pour une seule œuvre, pourrait approcher, mettre au point en commun des méthodes, des matériaux, avec les entités importantes de l’industrie, celles-ci sachant en cas de réussite, que le marché international pourrait être atteint. Le succès de quelques nouveaux matériaux mis sur le marché depuis peu de temps et poussés par quelques architectes seulement, prouve que dans ce domaine nous représentons une grande force inexploitée.

Les codes d’honneur de nos associations devraient être modifiés, assouplis et permettre une activité générale professionnelle plus grande. L’industrie s’adjoint de plus en plus, comme administrateurs ou conseils, des avocats sans qu’il en résulte, vis-à-vis de leur Ordre, une déchéance. De même, l’acceptation par un architecte d’un poste identique devrait être considérée comme un renforcement de notre profession et non comme une faute. Des entités morales intermédiaires, comprenant architectes, entreprises et industriels encourageant recherches, vulgarisation, réalisant même, devraient avoir notre approbation.

L’architecte trouverait ainsi la juste récompense à ses efforts, ses recherches, ses inventions qui représentent une activité complètement indépendante de ses prestations normales.

De plus en plus, le parti, la conception, les volontés d’expression découleront des mises en œuvre et des produits de l’industrie. Au contraire d’une déchéance, nous pourrons exprimer autant que par le passé et, avec un langage plus varié encore, la vie et la beauté. De même, une politique d’indication, d’orientation, d’éducation, doit également être pratiquée vis-à-vis de la main-d’œuvre en plein accord avec les organes compétents, syndicats, etc. Le problème de l’art de construire s’enfonçant toujours davantage dans les phases de production, notre présence à toutes ces positions clés ne doit pas être critiquée ou tolérée, mais s’impose.

Le programme d’enseignement des ateliers et des écoles doit être sans retard adapté à ces impérieuses contingences. Le problème de la formation de l’architecte complet devra être traité spécialement sur le plan psychologique. Des cours d’analyses techniques et industrielles, de technique financière de législation pratique, de l’art des rapports avec la clientèle, devront être instaurés. De même, le problème des stages pratiques, intégré plus intimement à l’enseignement, pourra être résolu dans un sens plus vivant et profitable.

Un cycle d’histoire s’achève, nous sommes déjà en retard pour nos tâches de demain.