REINHARD THOMA |  Etat de la mécanisation du chantier : 1954

Il est évident, même pour le profane, que la part de travail de la machine dans la construction devient de plus en plus grande et que chaque pas en avant aura tendance à faire disparaître les travaux strictement manuels du chantier moderne.

Un exemple très simple suffit à le démontrer : Le chargement des matériaux dans les carrières est de nos jours pratiquement effectué par la machine. D’après les calculs de l’Association Suisse des Entrepreneurs, le chargement de terre (mi-lourde) à la pelle et à la pioche, travail manuel par excellence, demande 1,8 heure de travail-manœuvre par mètre cube de terre. La pelle mécanique à godet de 500 litres lève 35 m3 de cette même terre par heure, avec deux hommes à son service. On arrive donc à la comparaison :

A la main:= 0,55 m3/h
A la pelle = 17,5 m3/h

Le rendement réel de la machine est donc de : ( 17,5 — 2 x 0,55 ) ÷ 17,5 X 100 = 94%

si l’on considère que dans le même laps de temps l’équipe de deux hommes de la pelle mécanique soulèverait 2 x 0,55 m3, soit 1,1 m3 de terre à la main. Cependant comme l’équipe de la machine n’exécute pas de travail manuel direct, il serait tout aussi juste de dire que la pelle a une part de travail de 100 %.

Cette comparaison n’était pas toujours pareille, Jusqu’au 18rae siècle les moyens les plus primitifs tels que le levier, la roue, le palan ou le simple treuil ont été utilisés pour multiplier les forces de l’homme ou de l’animal domestique. Quant une force de traction concentrée était nécessaire, on attelait. Sur des chariots ou des patins des masses considérables étaient déplacées par des attelages d’hommes ou de bêtes ; aucune amélioration de rendement par tête n’était réalisée ou presque.

Il manquait la machine.

Il en fut ainsi jusqu’il y a deux siècles, malgré la grande intelligence des civilisations égyptiennes, perses, grecques ou romaines, et durant tout le Moyen-Age, tandis que depuis quelque deux cents années cet état de chose s’est considérablement modifié. Ce saut n’a été possible que grâce à notre civilisation technicienne.

On avait connu pourtant des esprits clairs.

Léonard de Vinci, le génial inventeur du XVme siècle était en avance d’un demi-millénaire sur son époque, car il projeta, à côté d’innombrables machines, une série de grues tournantes extraordinaires, les mêmes que celles qui, de nos jours ont trouvé une utilisation dans la contruction sous les noms de grue à bras mobile, flèche mobile ou grue Derrick.

Ces dessins se trouvent dans le « Codex Atlanticus», ouvrage groupant près de 1500 projets de Léonard de Vinci et exposé à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan. Ce furent seulement les découvertes et les connaissances des siècles suivants qui conduisirent aux matières, aux sources d’énergie et aux machines d’entraînement qui étaient nécessaires à la réalisation de ces plans géniaux.

Durant les deux dernières décennies de très grands progrès ont encore été réalisés dans les groupes de machines suivants, ce qui entraîna de grands bouleversements dans les méthodes de construction : Les machines pour le terrassement : Pour le chargement, le transport, le réglage et spécialement conçues pour la construction des routes, des canaux, des places d’aviation et des remblais. Chacun peut se rendre compte que les véhicules sur voie ferrée (Decauville) doivent de plus en plus céder la place aux véhicules de transport sur chenilles ou sur pneus.

L’économie réalisée par l’utilisation des wagons et locomotives Decauville, grâce à leur entretien modeste, ne suffit pas à faire prévaloir ce mode de transport sur les véhicules indépendants montés sur pneus ou sur chenilles ; en effet, ces derniers par leur mobilité extraordinaire peuvent être mis en activité sur n’importe quelle partie du chantier. C’est ainsi qu’au cours des travaux d’aménagement de Kloten (aéroport) en 1947, on décida de remplacer le Decauville par un nombre important de tombereaux sur pneus.

Les engins pour galeries : Avant tout les perforatrices pour la roche avec têtes de coromant, les perforatrices en batterie pour le percement simultané de 3 à 5 trous, les marineuses. Dans ce domaine aussi, les Etats-Unis sont en tête, pour ce qui concerne les outils pneumatiques de toutes sortes.

Les installations de préparation, de fabrication et de distribution : Pour la construction des grands barrages et pour des rendements journaliers jusqu’à 6000 m3 de béton en 24 heures. (Au barrage de Grancoolee, USA, on est parvenu à un rendement de 15 000 m3 par jour ! ) Les machines pour le transport du béton : Avec des pompes à air comprimé ou à piston.

Les machines pour la mise en place du béton : En particulier les vibrateurs à béton et pour un grain très grossier (grosseur 400 à 600 mm en Allemagne) les grands vibrateurs de surface ayant des poids variant de 3 à 10 tonnes et donnant des fréquences de l’ordre de 50 hz.

Engins pour la construction et l’entretien des routes : Ils ont été développés spécialement en Allemagne avant la guerre lors de la construction des autostrades ; ils sont montés sur chenilles ou sur rails de façon que les bétonnières, les distributeurs ainsi que les finisseuses pour béton ou macadam, montés sur pont mobile, puissent en même temps, niveler, distribuer, rouler et vibrer.

Les échafaudages tubulaires : Ils sont faits de tubes d’acier ou de tubes d’alliage léger. Vu leur usure négligeable et leur montage facile ils font disparaître rapidement les vieux échafaudages de bois du chantier moderne.

Les coffrages : Ils sont de plus en plus construits en métal.

Les moteurs d’entraînement des machines : On donne une nette préférence actuellement aux moteurs à refroidisement à air et aux moteurs Diesel.

■ Si de nombreuses machines ont atteint un très haut degré de perfectionnement, c’est-à-dire que leur travail offre le maximum de satisfaction, il reste cependant encore des groupes de machines qui ne travaillent pas avec la précision désirée. Il faudrait citer la plupart des machines pour la préparation des sables et graviers. A la suite des expériences qui furent faites dans la construction des barrages, la préparation du béton a passé au stade d’une véritable science. Ainsi la qualité du béton est en grande partie dépendante des propriétés des agrégats (sable et gravier) dont la granulation elle-même dépend de la roche à disposition. On peut dire que la résistance du béton peut varier de 20 % ou plus selon la qualité de la roche utilisée. Les grains isolés ne devraient être brisés qu’au minimum lors du concassage. On attend toujours la machine capable de réaliser un meilleur concassage. Il en est de même dans la préparation du sable, car les machines à broyer ne parviennent pas à produire un sable de la qualité du naturel. Une autre difficulté réside dans l’élimination des grains inférieurs à 0,2 mm, nuisant à la qualité du béton. Là encore la machine n’offre pas encore entière satisfaction.

Par la mécanisation de l’entreprise, la main est lentement remplacée par la machine, ce qui économise les forces physiques des ouvriers et augmente leur rendement. A côté de cet avantage social et économique, les conséquences de la mécanisation sur la technique ne sont pas négligeables, car de nombreuses réalisations sont matériellement possibles de nos jours que grâce à l’intervention des machines de chantier.

Leur influence sur l’économie est très grande : un immeuble moderne sans salles de bain et sans chauffage central est pratiquement introuvable. A l’aide des machines de construction l’aménagement des égoûts et de l’eau courante n’est plus un problème difficile.

Quant à leur influence sociale, elle n’est pas moindre, car elles secondent l’ouvrier et l’entrepreneur dans la plupart des travaux pénibles et dangereux. La protection contre les accidents de travail n’est plus un vain mot et pour le prouver il faut jeter un coup d’œil sur les statistiques de ces 75 dernières années : le nombre d’accidents mortels par m3 de roche extraite a une tendance heureuse à diminuer.

Lors du percement du tunnel du SaintGothard (1872-1881) on compta pour une extraction de roche de 650 000 m3 et la confection de 200 000 m3 de maçonnerie, 450 morts, tandis que lors du percement du Lötschberg (1906-1912), pour à peu près le même volume de rocher, 64 ouvriers ont péri.

La comparaison des deux ouvrages pour le nombre des blessés et malades est d’ailleurs encore plus éloquente. Pour donner un exemple de ces dernières années, il vaut la peine de citer que lors de la construction de la centrale de Handegg (II) entre 1947 et 1950 (150 000 m3 de roche extraite et 300 000 m3 de béton) 11 ouvriers ont perdu la vie.

Par la mécanisation de la construction on a obtenu de grandes augmentations de rendement.

Ceci est valable tout spécialement pour les travaux de galerie où la mécanisation est plus poussée. Si le coût de la construction est sensiblement le même qu’il y a 80 années malgré que les salaires soient 8 fois plus élevés, le rendement s’est par contre amélioré par une vitesse d’avancement toujours accrue. Un camion-tombereau moderne peut transporter jusqu’à 19 m3 de charge, soit 30 tonnes, tandis qu’un camion ordinaire à pont plat de 5 tonnes de charge utile, peut transporter péniblement 3,5 m3 de terre.

Avec un fleuret en acier forgé on peut faire un trou de 50 centimètres dans le granit : ensuite il faut donner le burin à la forge pour l’aiguiser. Par contre un fleuret à tête de métal dur peut tenir 30 à 40 mètres dans la même roche avant d’être meulé. Si l’on s’imagine que pour chaque attaque il est nécessaire de disposer de 20 à 30 burins de rechange, on peut facilement admettre que la confection de ces taillants spéciaux est une amélioration capitale pour la construction.

Si l’on parvient à percer un trou de 15 cm en une minute dans le granit avec la perforatrice épaulée, le rendement augmentera à 40 centimètres/minute si l’on fixe la machine sur un affût, et de cette façon le mineur sera beaucoup moins fatigué. Mais si la perforatrice est montée sur un chariot, la performance ira jusqu’à 70 centimètres par minute, même avec des fleurets de plus gros diamètre.

De nos jours il faut deux fois moins de temps pour construire un barrage qu’il y a 25 années :

Barrage de Barberine I 1920-24 | 200 000 m3 béton | 4 étés

Barrage de Handegg I 1949-50 | 280 000 m3 béton | 2 étés

Dans la construction des galeries, les avancements journaliers ont augmenté considérablement :

Tunnel du Gotthard  I 1872-81 | 3,01 mètres par jour

Lötschberg  I 1906-12 | 6,09 mètres par jour

Galeries du Gauli  I 1948 | jusqu’à 19,3 mètres par jou

Dans notre exemple de rendement d’une pelle mécanique à godet de 500 litres, on trouve les éléments permettant de calculer combien de fois la machine en question travaille plus vite qu’une équipe de manœuvres, à supposer que sur la place d’attaque de la machine 8 ouvriers au maximum pourraient travailler :

17,5 ÷ (8x0.55) = 4 fois

ESSAI DE CLASSIFICATION LOGIQUE

1. Engins pour le terrassement, l’excavation et la planie :

Pelles sur chenilles ; pelles sur pneus ; pelles à godet ; pelles en fouille ; pelles à cables et installations de scraper ; bulldozers ; scrapers ; chargeuses sur chenilles et sur pneus : élévateurs à godet ; rouleaux à pieds de mouton ; dames à explosion ; vibro-dameuses.

2. Engins pour l’extraction de la roche :

a) Engins à air comprimé : Compresseurs ; tuyaux pour l’air comprimé et accessoires ; tuyaux souples et armatures ; réservoirs à air comprimé ; perforatrices ; brise-béton ; marteaux-pic ; jumbo ; burins ;
fleurets ; pellettes ; fleurets avec métal dur ; machines à aiguiser les burins ; marineuses ; pompes et treuils à air comprimé.

b) Marteaux perforateurs et brise-béton avec moteurs à explosion.

c) Installations de ventilation :
Ventilateur, tuyaux et accessoires.

d) Constructions métalliques pour galeries.

e) Explosif, mèches et détonateurs.

f ) Equipement pour mineurs :
Lampes ; casques ; appareils de charge.

 

3. Installations de transport

a) Véhicules à roues et à chenilles : Tracteurs ; dumpers ; camions basculants; engins de transport avec élévateur ; véhi cules à moteur électrique ; — à explosion;
remorques basses.

b) Matériel Decauville : Locomotives ; wagonnets ; wagons plats ; rails ; aiguilles ; croisements ; plaques tournantes

c) Grues et engins de levage : Grues à tour ; petites grues ; grues sur pneus et sur chenilles ; Derrick ; grues à câbles ; téléphériques ; monte - charges ; treuils à main ; treuils à moteurs ; treuils hydrauliques ; palans.

4. Installations de gravières :

Elévateurs à benne ; distributeurs ; tamis ; machines de lavage ; concasseurs, rubans transporteurs ; élévateurs à godets ; silos et bouches à silos.
 

5. Installations pour le béton :

Pompes à béton ; installations de dosage (à poids et volumétriques) ; bétonnières à chute libre ou à mélange forcé ; bétonnières à chute mions ; guniteuses ; machines à injection de
ciment ; installations pour le bétonnage des galeries ; vibrateurs internes et de surface ; tables vibrantes ; dames à air comprimé ; japonais ; bennes à béton ; silos ; coffrages
pour galeries ; polisseuses de planches.

6. Machines pour la construction et l’entretien des routes :

Rouleaux compresseurs ; défonceurs ; chariots d’épandage à goudron et bitume ; installations pour la préparation du macadam; appareils de chauffe pour route ; plaques vibrantes ; finis seuses; machines à sabler et gravillonner; machines à tracer sur les routes ; machines à déblayer la neige ; finisseuses à béton.

7. Machines et outils pour la voie ferrée :

8. Engins pour la construction dans l’eau :

Pompes à piston ou centrifuges ; pompes à membranes ; pompes à main ; dragues flot tantes ; scaphandres ; pilons pneumatiques.

9. Echafaudages :

Echafaudages en bois ; accessoires ; pièces d’assemblage ; échafaudages en tube d’acier ; échafaudages tubulaires en métal léger .

10. Outillages divers :

11. Appareils spéciaux :

Perforatrices et marteaux-pics électriques ; outillage pour travailler la pierre.

12. Appareils à air comprimé divers :

13. Machines pour les tuileries :

14. Accessoires divers :
Câbles ; cordes ; chaînes, etc.

L’entrepreneur trouve tout d ’abord dans la machine le moyen de construire à meilleur compte. L’économie réalisée sur la main-d ’œuvre est considérable et les délais sont beaucoup plus courts.
Vu le rôle prépondérant des machines de chantier, l’entrepreneur est de nos jours obligé de choisir avec beaucoup de soin les machines appropriées à un travail donné et c’est seulement s’il procède avec méthode qu’il pourra disposer d’un parc de machines et d ’outils lui permettant de faire face aux travaux exigés. S’il ne se soumet pas à ces règles élémentaires, il risque des pertes de temps et d’argent.

Il serait indiqué pour l’entrepreneur de préparer avec des soins attentifs son installation en tenant compte des moindres facteurs. Ceci est particulièrement nécessaire aux entreprises
se spécialisant dans la construction des routes, des canaux, des galeries et dans le terrassement en général, car ces dernières sont beaucoup plus mécanisées encore que celles du
bâtiment. On devrait toujours appliquer la machine adéquate à un travail donné. Lors de l’établissement d ’un projet d’installation, l’entrepreneur doit normalement tenir compte des facteurs suivants :

1. Importance du travail.
2. Temps à disposition.
3. Situation géographique, saison, temps, topographie et particularités de l’emplacement.

La bonne marche d’une installation dépend des moindres détails d ’organisation du travail. Il suffit qu’une machine ne fournisse pas son rendement normal pour que l’on constate un fléchissement du rendement général: une machine mal proportionnée au travail demandé ou défectueuse peut en être la seule cause. L’importance du travail d ’un chantier peut s’évaluer grossièrement par l’appréciation des matériaux utilisés ou déplacés :

Quantité en m3 terre, gravier, rocher, déplacés.
Quantité en m3 béton et maçonnerie.
Quantité en t. fer, etc.

En outre on doit savoir quels matériaux sont livrés préfabriqués sur le chantier (poutres, cloisons, éléments, etc.) puis quelles matières sont préparées d ’avance (béton, sable, gravier).
Le temps à disposition pour le traitement des divers cubages en présence sera donné par l programme de construction. Ensuite il faudra décider en combien de jours se feront les ter
rassements ou la préparation du béton defaçon que l’on respecte un programme journalier de tant de m3 par jour ou par heure.
Il est prudent de prévoir un supplément de temps pour rattraper les retards dûs aux in tempéries et incidents de travail.
C’est ainsi que l’on arrive à établir le rende ment de chaque machine prise à part. D’autres données très importantes sont la location du matériel et la disposition des diverses
installations et machines selon la topographie du terrain. Seulement après un examen des lieux, du délai, de la situation et de l’alti tude, on peut faire un choix judicieux des machines. Les installations ne doivent être ni trop petites, ni trop grandes, car dans les deux cas le résultat financier pourrait s’en ressentir d ’une façon fâcheuse. Il ne vaut pas la peine, par exemple, de transporter une pelle mécanique sur les lieux de fondations d’une villa (2 à 300 m3 de terrassements) étant donné le prix et les difficultés du transport. Il est également superflu d ’immobiliser une
bétonnière sur un tout petit chantier car pour de petites quantités la préparation du béton à la main est tout à fait indiquée.

La décision d ’acheter ou de louer des ma chines de construction est également d ’impotance pour l’entrepreneur bien organisé. Si durant toute l’année il peut placer ses ma
chines sur des chantiers, sans grosses interruption de travail, l’achat s’impose. Au contraire, s’il ne les utilise qu’occasionnellement, il est plus rentable de louer les machines. Pour terminer, il faut signaler qu’il existe une assez bonne documentation pour les entrepreneurs et ingénieurs désireux de connaître les produits qu’offre le marché et qu ’il serait presque indispensable pour eux de la consulter.