PIERRE MAILLARD | Chaussées et liants plastiques

Il peut être intéressant de reprendre quelques points de l’historique de l’utilisation des liants plastiques dans la construction de chaussées.

On croit communément que l’apparition de l’automobile créa le problème du revêtement anti-poussière. Cependant, bien avant celle-ci, des produits naturels à base de liants plastiques avaient été utilisés dans la construction routière. Les premières utilisations que l’on en connaisse remontent à l’antiquité où les Babyloniens construisirent des routes avec une infrastructure réfléchie et bien construite, le revêtement étant constitué par des briques jointoyées à l’aide d’un mastic d’asphalte naturel.

Nous n’avons ensuite plus de trace de l’utilisation massive de liants plastiques pour la construction de chaussées, et c’est vers le début du XIXe siècle que l’emploi de liants bitumeux pour la construction de routes prend son essort.

Ceci en résultat des recherches faites pour lutter contre le bruit, la poussière et l’usure des chaussées, spécialement dans les villes.

C’est ainsi que l’on exécuta pour la première fois des revêtements en asphalte coulé à Paris, en 1800, et en Angleterre, en 1836.

On peut citer à ce propos un passage de M. Polonceau, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, qui, dans sa « Notice sur l’amélioration des chaussées en cailloutis, des accotements des routes et des chemins en terre », décrivait le procédé suivant : « Nous pensons que l’on peut rendre les chaussées encore plus parfaites en étendant sur leur surface un enduit d’un ou deux centimètres de goudron épais, soit végétal, soit minéral ou provenant de la formation du gaz ; cet enduit doit toujours être étendu par un temps chaud et sec, sur le dernier lit de pierre, et recouvert immédiatement de la dernière couche mince de débris de cassage ou de gravier, ou même de sable qui peut alors être employé sans aucun inconvénient ; on roule ensuite au cylindre comme à l’ordinaire. Le goudron, attaché aux pierres supérieures, et rendu compact par la pénétration du sable et du gravier, forme, avec ces substances une pâte liante, flexible et véritablement imperméable, et par conséquent très propre à adoucir le roulage, à diminuer le broiement de la pierre et à arrêter entièrement la filtration des eaux. » Ce procédé fut appliqué avec succès vers 1840 aux Champs Elysées, ainsi que le précise une brochure sur les bitumes et leurs emplois, que Polonceau écrivait à cette époque et dans laquelle il s’expliquait ainsi : « Depuis un an et demi que les accotements des Champs-Elysées sont exécutés, il n’y a été fait aucun entretien, quoiqu’il y passe de 5 à 6000 voitures par jour, tandis que, depuis cette époque, on a regarni dix fois de cailloux des parties voisines sur lesquelles, en outre, il y a eu constamment des hommes employés à enlever les boues et à balayer la poussière formée par le broiement des pierres d’entretien. » « On ne sait pourquoi cette méthode a été abandonnée. » On assiste ensuite, tant en Allemagne qu’en Angleterre et en France, dans la période allant de 1860 à 1870, à une recherche plus poussée de l’utilisation des liants naturels, en ce sens qu’au lieu d’appliquer directement le liant selon la méthode préconisée par M. Polonceau, on cherche à préfabriquer le gravier enrobé. Les Anglais et les Français tentent d’enrober des matériaux pierreux par des goudrons bruts, et d’appliquer le produit ainsi construit sur des chaussées préparées.

Ces applications sont assez limitées et ne sont utilisées que dans des localités. L’apparition de l’automobile soulevant des nuages de poussière émeut tant les populations que les hygiénistes, que les ingénieurs. Le Dr Guglielminetti, que l’on surnommera le Dr Goudron, fait une série d’essais sur la Rivièra Française et dans les environs de Paris. On commence à ce moment à utiliser les déchets de la distillation du pétrole. La guerre de 1914-1918 interrompt les recherches et c’est en 1919 que l’application des matériaux enrobés par du goudron est recommandée et dirigée par une circulaire du Gouvernement français dans ce pays. On voit apparaître le nom de Tarmacadam qui désignera ce produit.

L’augmentation du trafic automobile, donc de la consommation de l’essence, pousse à utiliser les résidus de distillation dans la construction routière.

Les qualités remarquables du bitume sont rapidement reconnues et ses avantages par rapport au goudron en font le premier produit de construction routière. On l’applique à chaud, en traitement superficiel, on cherche scientifiquement l’enrobage des gravillons ; dès 1924, il apparaît sur le marché pour les applications à froid émulsionnées. Cette utilisation du bitume est encore appliquée de nos jours en pénétration et en semi-pénétration.

La technique de distillation du pétrole s’améliorant, apparaissent aux environs de 1930, des bitumes fluxés qui permettent une meilleure manipulation. Dans chaque pays on étudie la normalisation de la construction des revêtements à base de bitume, et l’on arrive, aux environs de 1935, à travailler très scientifiquement les liants plastiques.

La guerre de 1939 à 1945 freine les applications en Europe, mais permet la mise au point dans les laboratoires, tant européens qu’américains, de solutions assez nouvelles, et dès 1947, apparaissent sur le marché des quantités de produits et de systèmes nouveaux pour la construction, des revêtements de chaussées et même de la fondation de celle-ci, ayant pour base les bitumes provenant de la distillation du pétrole, soit sous la forme d’émulsion, soit sous la forme de Cutback.

Après ces quelques points historiques, il peut être intéressant de donner, en conclusion, un tableau établi à fin 1951, et donnant pour la Suisse, la comparaison entre les chaussées en revêtement à base de bitume, et les autres revêtements, soit routes en béton, pavages et chaussées liées à l’eau.

Revêtement sur les routes cantonales Etat à fin 1951

Revêtements bitumineux: 8 880 239m / 92,44% | 54 262 912 m2 / 91,71%

Autres revêtements: 725 919m / 7.56% | 4 899 553 m/ 8,29%

Total: 9 606 158m / 100% | 59 162 465 m / 100%

On constate donc l’importance énorme de l’utilisation du bitume dans la construction des routes en général, et dans notre pays en particulier.

Md.