Baraquement préfabriqué à 2500mètres

Dans le cadre du problème du logement des ouvriers, la société Grande Dixence S. A., qui occupe pour la construction de son barrage du Val des Dix environ 1500 travailleurs, a dû faire face à de nombreuses difficultés. Si l’utilisation de baraques préfabriquées en panneaux de bois se justifie durant les années 1940-1949, étant donné la rapidité du montage, la simplicité des installations intérieures, et surtout la durée relativement restreinte de la construction des barrages, il n’en est plus de même pour les grands chantiers du Valais dès 1950.

Le programme de bétonnage du barrage de la Grande Dixence se déroulant sur quinze ans environ, les constructions de logements doivent offrir une résistance très grande au temps et aux forces de la nature. D’autre part, l’altitude à laquelle s’exécutent les travaux (2100 à 2650 m.), les difficultés de l’hiver en montagne, les transports, la topographie des terrains disponibles, sont autant de facteurs à considérer lors du choix d’un système de construction.

L’éloignement des endroits de travail et les difficultés d’accès entre les différents chantiers ne permettent pas de grouper en seul lieu les dortoirs et cantines. C’est ainsi que trois secteurs ont été établis : Prafleuri — où se trouve l’installation d’extraction des moraines, Biava -—- lieu de préparation des agrégats, et le Chargeur — centre de bétonnage du barrage. L’importance de chaque secteur est déterminée par le nombre d’ouvriers occupés soit 200 à Prafleuri, 300 à Biava et 1000 au Chargeur.

La position particulière de Prafleuri (2650 m.) n’a permis que la construction de baraques à panneaux de bois, lesquels ont été montés par tous les moyens disponibles au début des travaux, soit par tracteurs, soit à dos de mulets et même à dos d’hommes.

Les logements du chantier de Biava (2400 m.), plus rapprochés des accès par route, ont été conçus également en bois, mais l’étroitesse du terrain disponible dicta la solution la plus économique, soit la construction à plusieurs étages. Le système adopté consiste à préfabriquer les travées situées à 5 mètres les unes des autres, et à y fixer les parois et planchers construits sur place.

Les isolations des murs sont constituées par des matelas de fibres, les autres éléments sont de construction courante.

Pour le chantier du Chargeur (2140 m.), deux phases distinctes sont à considérer : celle du début du chantier, c’est-à-dire dès 1950, et celle de 1953-54. Au début des travaux, les premières équipes furent hâtivement logées dans des baraques préfabriquées à panneaux de bois. Par la suite, l’application des normes découlant de l’Ordonnance du 20 décembre 1949 du Conseil d’Etat du canton du Valais s’avéra difficile pour ces constructions, car les dimensions intérieures demandées, sur la base d’un volume d’air de 15 m3 par homme, ne concordaient pas avec le module des baraques d’où des pertes de places considérables. Cependant, nombre de ces constructions étant déjà montées, il fut résolu d’adapter celles-ci le mieux possible à l’ordonnance imposée. Ce travail fut long, pénible et coûteux. Il s’agissait en effet de démonter et déplacer la plupart des parois intérieures des baraques, pour que les pièces ainsi recréées puissent recevoir leurs nouveaux occupants à raison de 15 m3 par personne. Les installations sanitaires étaient également à refaire, selon des données précises, et devaient comporter eau chaude et froide, douches, W.-C., etc. en nombre suffisant. Inévitablement, le prix de revient de telles installations était énorme. Il fallait exécuter pour chaque baraque des accès, des amenées d’eau et d’électricité, des canalisations, des équipements d’eau chaude, des tableaux de distribution électrique, des installations de chauffage, etc... sans aucune possibilité de grouper ces différents éléments, les constructions étant trop éloignées les unes des autres. Ce travail terminé, il restait encore 450 ouvriers à loger.

C’est alors que fut envisagée l’étude approfondie d’un système nouveau, adapté aux désirs des autorités valaisannes en matière de construction, d’aménagement et d’exploitation des cantines ouvrières. L’idée d’un bâtiment s’imposait.

Nous étions en juillet 1953. La nouvelle construction était nécessaire pour le début de la campagne de bétonnage 1954, c’est-à-dire que l’étude, la mise en soumission et l’exécution devaient être menées à chef en l’espace de huit mois, soit pratiquement durant l’hiver 1953-1954. Sur la base d’un avant-projet et d’un programme de Grande Dixence, mandat fut confié à un architecte d’étudier les plans définitifs du futur bâtiment. Si la distribution des locaux n’offrait aucune difficulté, il n’en était pas de même des problèmes posés pour la construction elle-même, c’est-à-dire le choix des matériaux, leur possibilité de livraison rapide, leur pose en hiver.

D’emblée, Grande Dixence, désireuse de gagner le plus de temps possible passa commande le 14 septembre 1953, de la carcasse métallique du bâtiment, étudiée par les soins de la maison Giovanola à Monthey. Selon les indications données par ce constructeur, les fondations en béton armé furent calculées dans nos bureaux et mises immédiatement en chantier. Nous étions le 20 septembre 1953. Le 25 novembre, les excavations et le bétonnage dès fondations étaient terminés. Entretemps, la maison Giovanola procédait au montage d’un derrick destiné à être utilisé pendant la durée du chantier du bâtiment. L’ossature métallique allait nous permettre de monter rapidement jusqu’au toit, dont la couverture assurerait contre les chutes de neige toute la construction intérieure. Il restait le problème le plus délicat, la fermeture des‘façades du bâtiment. Différents systèmes furent envisagés. Celui des revêtements en plaques de béton fut abandonné à cause de son poids et de l’impossibilité de cimenter les joints en hiver. Le système consistant à préfabriquer des éléments légers crépis à l’avance fut également écarté à cause des possibilités de gel des joints et des risques de dommages dus au transport. La troisième variante, la construction de panneaux entiers en tôle d’aluminium, l’emporta à cause de son montage entièrement à sec, de sa légèreté, de son incombustibilité, de sa parfaite isolation thermique et phonique, et surtout de sa rapidité de montage. Seules les faces des rez-de-chaussée et premier étage qu’il était possible de construire avant l’hiver reçurent un revêtement en plaques de béton préfabriqué. A fin janvier 1954, le bâtiment était fermé à la hauteur du sol du 2e étage. A l’intérieur, la construction des dalles en corps creux légers avançait à un rythme accéléré. L’installation de chauffage central au mazout avait déjà commencé. Il était possible d’utiliser le circuit de chauffage étage par étage, au fur et à mesure de la fermeture du bâtiment. Au début de février, l’entreprise de maçonnerie faisait débuter la construction des galandages intérieurs en planches de plâtre épaisses. La couverture du bâtiment était en cours et les installations sanitaires commencées. Le 22 février 1954, les premiers panneaux en aluminium, des parois extérieures, expédiés des ateliers Zwahlen et Mayr, à Lausanne, arrivaient au chantier ; le 14 avril 1954, le dernier panneau venait fermer définitivement le bâtiment. Le 25 avril, les premiers ouvriers des chantiers de bétonnage du barrage logeaient au tròisième étage de l’immeuble et le 25 juin le huitième et dernier étage était occupé.

Etant donné le caractère spécial de ce bâtiment, dû à l’exécution des parois extérieures en tôle d’aluminium, nous allons décrire la construction de ces dernières d’une façon plus détaillée, cette réalisation ayant suscité dans de nombreux milieux un vif intérêt.

La maison Zwahlen et Mayr, à Lausanne, .a bien voulu nous transmettre les renseignements techniques nécessaires et les détails d’exécution qui vont suivre.

Les panneaux normaux préfabriqués de 4,60 m. de large et 2,70 m. De hauteur sont constitués par un squelette en, tôle pliée supportant du côté extérieur la tôle ondulée en Aluman traitée par le procédé Alodine et du côté intérieur le Novopan qui donne la surface finie.

Entre les deux se trouve une isolation en laine de verre. Afin de bien marquer le rôle protecteur de la tôle d’aluman d’une part et celui d’isolation de la laine de verre d’autre part, il a été laissé au milieu un vide permettant la circulation de l’air. Il était donc indispensable de choisir un matériau imputrescible, pratique et bon marché pour protéger et maintenir la surface extérieure de la laine de verre ; l’emploi de plaques d’Eternit' posées dans des coulisseaux en métal léger a permis d’obtenir un très bon résultat. Ces dispositions sont visibles sur la vue d’ensemble figure 1, comme sur les vues de détail A, B, C, D, E, figure 2, 3, 4, 5 et 6.

On pouvait logiquement se demander si la laine de verre posée sous forme de matelas couturé, se comporterait convenablement, c’est-à-dire, sans tassement, pendant le transport. Pour élucider ce point, des essais ont été entrepris au Laboratoire d’essais des matériaux, section des métaux, de l’EPUL. Deux séries d’expériences ont démontré la tenue parfaite de l’isolation tant sous l’effet des vibrations que des chocs.

Les panneaux sont maintenus entre les filières en U de l’ossature métallique ; à la partie inférieure, ils reposent sur un joint en papier bitumé de 5 mm. d’épaisseur assurant l’étanchéité, alors qu’un espace rempli de laine de verre permet la dilatation du panneau à la partie supérieure. Ce système est nécessaire car les dilatations ou raccourcissements du panneau et de l’ossature métallique ne sont pas les mêmes. Le panneau, formé d’acier et d’aluminium, soumis aux variations très grandes de température, pose un problème délicat : ou bien les deux éléments sont liés l’un à l’autre d’une manière fixe, ou bien le déplacement relatif entre eux est possible. Dans le premier cas, des contraintes proportionnelles à la variation de température et à la différence des deux coefficients de dilatation thermique des matériaux s’établissent.

Etant donné que les éléments sont minces, le deuxième cas a été jugé préférable car il évitait le voilement de la tôle d’aluminium.

Des trous ont donc été percés dans la tôle, d’un diamètre surpassant celui des vis de fixation à l’ossature en acier. De grosses rondelles complètent le dispositif, en empêchant les têtes de vis de passer à travers la tôle d’aluminium.

Les • panneaux normaux comprennent deux fenêtres dont les châssis, soudés par résistance avec étincelage, sont en Unidal protégé par oxydation anodique. De cette manière, l’ensemble des éléments exposés aux intempérie? est parfaitement « inoxydable ».

Tous les contacts entre aluminium et acier, et bien que le risque de corrosion électrolytique soit pratiquement inexistant, ont été évités par une peinture bitumeuse ou par des bandes de papier bitumé. Une fenêtre sur deux comprend un volet d’aération visible sur la figure 8, représentant la vue intérieure d’une chambre.

Comme on peut s’en rendre compte, l’aspect intérieur est réjouist

sant et procure intimité et chaleur ; il est à noter que chaque chambre a reçu une teinte générale différente, jaune, bleue, rose, grise ou ocre rouge. L’impression de fini est encore accentuée par l’emploi de verres « Thermopane », assurant une très bonne isolation. Des volets en Aluman coulissant derrière la tôle de revêtement permettent l’obscurcissement pendant le jour ou la fermeture complète du bâtiment en cas de non-utilisation (figure 9).

Les panneaux de raccordement sont constitués de la même manière que les autres, par contre leur largeur n’est que de 420 mm. et la tôle de protection est plane au lieu d’être ondulée. Cette construction donne à la façade un maximum de caractère.

La liaison des différents panneaux entre eux est constituée par deux couvre-joints réunis par des entretoises et vissés l’un à l’autre par l’intermédiaire de celle-ci. Pour éviter le pont thermique entre l’extérieur et l’intérieur, les entretoises sont en matière isolante synthétique ; de plus, l’espace laissé vide a été rempli de laine de verre avant la fermeture. Cette disposition permet de corriger certaines inexactitudes toujours possibles dans le squelette métallique et laisse un certain jeu pour la libre dilatation des panneaux.

Grâce aux possibilités extraordinaires procurées par le filage des profilés à la presse, les couvre-joints ont été choisis selon la forme correspondant le mieux à leur fonction ; pour l’extérieur, deux rainures ont été prévues pour recevoir un système d’étanchéité en caoutchouc synthétique tandis qu’à l’intérieur le œuvre-joint servant uniquement de fermeture, a une force s’amenuisant sur les bords afin d’éviter toute aspérité susceptible d’augmenter le risque de détérioration.

La fixation des panneaux à l’ossature mérite quelques mots ; posés depuis l’extérieur, les panneaux s’appuient sur les filières sous l’action directe du vent ; pour les charges verticales, ils reposent sans autre sur la charpente. Pour la succion du vent et les efforts éventuels venant de l’intérieur, des fixations par vis ont été nécessaires. Comme il s’agit d’éléments minces, le constructeur a choisi des vis M 8. La grandeur des efforts peut prêter à discussion. Alors qu’une succion généralisée due au vent de 100 kg./m2 en pleine face est certainement exagérée, elle peut atteindre deux à trois fois cette valeur dans les régions localisées au voisinage des arêtes. Il a été tenu compte de ce fait dans les constructions exécutées. Les efforts intérieurs éventuels dus aux chocs accidentels ont été estimés au maximum à 300 kg. pour un panneau.

Par leurs dimensions et partiellement par leur constitution, les panneaux sont vulnérables pendant le transport. Ce dernier a donc été étudié avec soin. Les panneaux terminés (sans fenêtre) ont été placés au nombre de dix dans un grand châssis en profilés acier.

Le chargement pesant 3800 kg. a été saisi par un palan et déposé à l’endroit voulu. Le transport par camion s’est effectué sans encombre, grâce aux traverses en bois qui, dans le châssis, séparent chaque panneau de ses voisins et empêchent ainsi toute détérioration Le montage, n’a posé aucun problème particulier. Le derrick utilisé pour la construction du squelette métallique ,a permis la mise en place des panneaux sans trop de difficultés. Une cadence de pose de dix panneaux par jour a pu être obtenue. L’expérience a montré que la plus grande difficulté réside dans le soin à apporter dans la pose elle-même de telle manière que le panneau ne subisse ni chocs ni déformations. Il s’agit là d’une simple éducation de monteurs par ailleurs habitués à la pose d’éléments lourds et invulnérables.

Les études et les dessins d’exécution des parois en aluminium ont été effectués par Zwahlen & Mayr S.A. à Lausanne, ainsi que la construction des panneaux avec fenêtres et des vitrages, Giovanola Frères S. A., à Monthey, ont exécuté les panneaux sans vitrages, ceux de raccordement, ainsi que le montage de l’ensemble des panneaux. Tous les profilés Unidal comme les tôles en Aluman ont été livrés par la S. A. pour l’Industrie de l’Aluminium, à Chippis.

La société Grande Dixence S. A. est heureuse d’avoir pu faire participer à la construction de l’important bâtiment qui s’élève dans le Val des Dix, à plus de 2000 m. d’altitude, des maisons choisies parmi les meilleures du canton du Valais et de la Suisse romande.

Les travaux ont été menés à bien en plein hiver, par des équipes très courageuses auxquelles va notre reconnaissance et celle des ouvriers des chantiers qui bénéficieront de cet effort magnifique.