L’architecture de Pierre-André Emery

Le développement rapide des nouvelles techniques de la construction a modifié fondamentalement l'aspect de l'architecture et les formes mêmes de ses structures. Des animateurs aux qualités étonnantes ont donné à leurs idées ce même rythme fulgurant et placé leurs concepts sur le plan d’une activité inédite dirigée vers des terres incultes où l’esprit moderne pourrait avoir un profond retentissement. C'est le cas, par exemple, du Vaudois Pierre-André Emery, pionnier de l'architecture rationnelle en Afrique du Nord.

L'Algérie est le principal champ d’action d'Emery. Seul; avec Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charles-Henri Breuillot; associé à L. Miquel et P. Bourlier, ou avec la collaboration de Pierre Girard, de M. Richter et de l'architecte japonais G. Banshoya, il a élevé un nombre considérable de constructions dans une vaste région où ont également déployé leurs efforts Albert Seiller, Marcel Lathuillière, Jacques Guiauchain, François Bienvenu, M.-J. Mauri, J. Ferrer-Laloe, Bize, Ducollet et Simounet.

Comme architecte, c'est en 1932-1933 que P.-A. Emery s'est imposé en Algérie, avec la villa Jean Contou à Kouba (Alger).

Comme urbaniste, en 1934, lorsqu'il dressa le plan régulateur de la ville de Nemours, en Oranie, en compagnie de Le Corbusier, Jeanneret et Breuillot.

Depuis 1945, Emery n’est plus un novateur isolé en Algérie; d’autres architectes de talent s'y sont manifestés, des jeunes doués prennent aujourd'hui la relève. Profondément défrichée par Emery, l'Algérie produit maintenant des œuvres de grande envergure qui comptent parmi les plus remarquables de l'architecture française moderne. Le groupe d’immeubles de I'« Aéro-habitat » d'Alger (1954), de Miquel, Ferrer-Laloe et Bourlier, est certainement ce qui s'est érigé de plus significatif depuis les « Unités d’habitation » de Marseille (19461952) et de Nantes-Rezé (1952-1955), de Le Corbusier.

L'Afrique ne possède pas une architecture moderne autochtone; elle a celle que les Européens lui ont dispensée. Ce sont eux qui, en partant de données fragmentaires, dégagées des coutumes, des caractères, des besoins et du climat, sont parvenus à en établir peu à peu les principaux éléments constitutifs. Dès lors, la vue d'ensemble de leurs réalisations est vraiment engageante. En Afrique du Nord, c'est en premier lieu à PierreAndré Emery que nous devons une architecture authentique, parfaitement adaptée au pays et rompant définitivement avec la pompe officielle et bâtarde des constructions des mauvais colonisateurs. Pour être souvent contrecarrée, l’architecture d'Emery n'en existe pas moins. Elle prétend même avoir des lettres de noblesse et influencer certains créateurs continentaux. Ce sentiment d'imagination et de droiture qu'on observe chez elle et qui s'exprime dans l'unité, se retrouve en effet assez rarement dans les édifices bâtis en France. Toutes exceptions mises à part, notre grande voisine a fait beaucoup mieux outre-mer que sur son territoire métropolitain.

Plus qu'une rencontre frappante, pour les architectes qui ont une conscience, l'exemple d'Emery est une véritable découverte. Partisan convaincu d'un dépouillement des formes qui doit servir à souligner, par contraste, la richesse des distributions intérieures, Emery révèle dans ce genre une extrême sensibilité et une souplesse attirante. On ne tarirait pas d'éloge, en examinant ses travaux, tant on prend plaisir à suivre le

fil conducteur qui a tracé des plans fertiles en assemblages et dont l'aboutissement marque singulièrement le modelage varié des façades. Ce qui, en surface, ne semblait être que le résultat mathématique d'une sévère opération de laboratoire, donne par contre, en élévation, l'impression de ne provenir que d'un sens aigu de la composition plastique.

Une union étroite d'objets différenciés s'accomplit dans l'œuvre.

La rivalité entre le passé et le présent ayant perdu toute signification, il n'est plus même besoin de recourir à la polémique pour défendre les conceptions d’Emery, tant l’échec de l'exhumation de la soi-disant saveur indigène et du folklore africain a été complet. Comment parler aujourd’hui de compétition, alors que seulement l'architecture d'Emery et celle de sa tendance sont parvenues à satisfaire aux nécessités d’une vie dont les modes ont changé ? Il n'y a plus à choisir. Entre des théories inexportables et des principes dont l'efficacité est désormais acquise, seuls ces derniers s’avèrent indispensables aux entreprises réellement ambitieuses. Sans songer aucunement à la contraindre dans un cadre obligé, mais au contraire à la placer dans une ambiance propice au progrès, l’architecture d’Emery favorise normalement le développement d'une société dont elle est le fidèle et meilleur interprète.

Alberto Sartoris