William Lescaze

Avoir conçu, il y a de cela plus d’un quart de siècle, un bâtiment à usage commercial qui donne encore satisfaction à ses usagers et — chose bien plus importante de nos jours en Amérique — qui garde l’essentiel de son style, qui, en un mot, ne paraisse aucunement démodé en 1959, voilà, certes, un exploit mémorable.

Quand on pense aux changements considérables survenus dans le domaine architectural, on ne saurait qu’éprouver de l’admiration et du respect pour le génie d'un créateur de cette trempe. Ce créateur, c’est William Lescaze, architecte d’origine suisse (né à Genève en 1897), et l’on peut dire de son œuvre, le gratte-ciel PSFS, qu’il est l’un de ceux qui ont excité le plus d’enthousiasme dans toute l’Amérique.

Depuis lors, ce grand architecte a réalisé nombre de bâtiments à étages multiples, notamment le building Longfellow à Washington, en 1941, et l’immeuble 711 de la 3e Avenue à NewYork, en 1956. Tous ces édifices illustrent les fermes conceptions esthétiques et le goût constant qui a présidé à la création de leur ancêtre.

En fait, l’ensemble de l’œuvre menée à bien par Lescaze me semble manifester un point de vue authentiquement indépendant, développé d’une façon cohérente et constante au cours des années. Peu importent, pour l’artiste, les caprices et les vicissitudes de la mode. De tels résultats sont admirables et l’on ne peut que regretter qu’ils soient si rares. C’est une chose difficile pour l’Européen que de prendre conscience de la pression qui s’exerce sur les architectes américains, pression inexorable et parfois même complètement absurde dans le sens d’un changement perpétuel. On veut de la nouveauté à tout prix et peu importe si de telles innovations sont contraires à l’esthétique et même essentiellement dangereuses du point de vue social. L’exemple de l’automobile et des appareils ménagers est caractéristique. A peine un modèle est-il sorti d’usine qu’il est remplacé par un autre à peu près similaire techniquement, mais présenté d’une façon différente. Il n’y a pas, dans cet ordre d’idées, de perfectionnement véritable, mais une bougeotte insensée dont les conséquences sur le coût de la production et sur l’outillage se montent à une véritable perte de temps et d’argent. L’économie américaine ne tardera pas à se rendre compte du caractère désastreux de cet universel gaspillage. En ce qui concerne l’architecture, trop de nos collègues américains ont, soit par faiblesse, soit par opportunisme, succombé à cette néfaste pratique. C’est tout à l’honneur de William Lescaze d’avoir résisté énergiquement aux sollicitations de toutes espèces qui l’ont assailli. Pour ma propre génération, les premiers bâtiments qu’il a conçus constituent une sorte de « défense et illustration » de la nouvelle architecture américaine, si toutefois je puis risquer cette expression quelque peu littéraire. Par la suite, William Lescaze a élargi logiquement et fermement ses conceptions dont son œuvre courante apparaît comme la preuve irréfutable. Tout art est, selon l’expression des philosophes, une langue bien faite. Ce doit être, pour l’artiste, une source de grande satisfaction que d’avoir pu, en un temps déjà si ancien, constituer son propre langage, son propre mode d’expression et que cet idiome paraisse de nos jours tout aussi valable qu’il ne l’était jadis.

To have designed, over a quarter of a century ago, a commercial building which still functions beautifully and—what is much more important in America today—which still looks “stylish”— this is an accomplishment of no mean significance.

William Lescaze—born 1897 in Geneva, Switzerland—has done this: his PSFS was then, and still is, one of the most successful skyscrapers in the country. He has done several multistory buildings since then—among them the Longfellow Building in Washington (1941) and the 711 Third Avenue Building in New York (1956)— and they display the same strong and consistent taste as their predecessor. In fact, the whole body of Lescaze's work seems to me to display a genuinely independent point of view, coherently and consistently developed over the years, irrespective of passing fashion. Such a record is very admirable and, unfortunately, very scarce.

It is perhaps difficult for the European to realize how remorseless (and, very often, how completely senseless) is the pressure upon American designers for change. This demand for novelty at all costs, though always socially wasteful, is merely destructive when applied to the field of automobile or appliance design: but when applied to the

much more durable fabric of architecture, its effect is disastrous. Too many American architects have succumbed to the practice: it is to William Lescaze's credit that he has not. For my generation, his earliest buildings were among the first exciting statements of the new architecture in this country: his current work appears to me a logical and confident extension of them. It must be for him a source of great satisfaction to have evolved so early an idiom of expression as satisfactory now as it »vas then.

James Marston Fitch

Associate Professor School of Architecture Coiumbia University
Adaptation française Ch. A. Reichen