Aspects de l’architecture moderne

Extraits d'un exposé fait à l'Université de Lausanne le 4 février 1959 sous les auspices de la Société Académique vaudoise

II ne s’agit plus aujourd’hui de l’habituelle querelle des anciens et des modernes. Ces derniers ont tout naturellement gagné la partie.

La vie est toujours plus forte que les Académies.

C’est dans l’ordre des choses.

On ne se bat plus aujourd’hui pour ou contre les styles. Ce combat a épuisé ses derniers Don Quichotte.

Il y a 40 ans déjà que tout l’essentiel a été dit dans cet ordre de choses.

C’était alors l’épopée glorieuse des promoteurs de l’architecture moderne.

En 1920, ils étaient jeunes: — Wright en Amérique avait 50 ans.

— Mies à Berlin en avait 34.

— et Le Corbusier à Paris en avait 33.

Nous retrouverons tout à l’heure ce trio hors pair.

Rappelons-nous que leurs aînés, les précurseurs de l’architecture moderne avaient déjà sérieusement dégrossi les problèmes: Citons à titre d’exemple: — Sullivan et l’école de Chicago pour l’Amérique, — le Belge Van de Velde (émergeant et dépassant les tenants du Jugendstyl) et Behrens en Allemagne, — Tony Garnier, le créateur de la cité industrielle, Perret et Lecœur, en France.

Tous ces noms évoquent pour nous un monde nouveau!

Cherchons à mieux comprendre son contenu, cherchons à deviner ce qu’il y a derrière la façade, à saisir le complexe d’idées que contiennent en fait les carcasses des bâtiments, Jugeant mieux de leur visage, de leur physionomie, nous devinerons plus aisément leur caractère, leur esprit, pour peu qu’ils en aient!

Cette confrontation nous paraît opportune, car c’est un fait que le public s’intéresse de nouveau à l’architecture, à cet art si familier qu’on en vient à oublier que c’est un art: que des pierres, du bois, du fer mis en œuvre convenablement sont capables d’émouvoir.

L’intérêt est là, mais dans les idées émises règne la confusion.

Tentons d’y mettre un peu d’ordre.

Le moment nous semble d’autant plus opportun de faire le point, que la révolution, ou mieux, la mutation de notre art est virtuellement terminée. Nous nous trouvons présentement dans une période d’application pratique, à peine contrariée par une lente évolution.

Quelles sont les caractéristiques essentielles de l’architecture contemporaine? Comment en dégager l’essence, la beauté?

Comment en prévenir les excroissances malsaines qui accompagnent toute manifestation vitale?

Comment s’y prendre?

Comment rendre visible l’invisible?

C’est le rôle assigné à l’artiste par le peintre Paul KLEE Vouloir jouer au critique d’art est bien plus périlleux encore!

Pour ma part, j’ai choisi de rester prudemment sur terre et de ne pas me risquer dans le dédale de considérations trop philosophiques. C’est à une analyse comparative des œuvres architecturales les plus représentatives de notre époque que je vous convie Souvenons-nous d’abord que le style c’est l’homme.

Choisissons donc parmi l’immense cohorte des bâtisseurs de notre temps, ceux qui, par leur personnalité et leur œuvre s’imposent manifestement à l’attention.

Incontestablement, trois noms, trois concepts émergent, dominent toute la création architecturale de notre époque.

Mies van der Rohe:

dominé par: la raison

d'expression: structurale architectonique

de caractère: classique

Le Corbusier:

dominé par: les sens, le corps

d'expression: plastique

de caractère: composite

Frank Lloyd Wright:

dominé par: le sentiment

d'expression: picturale foncionnelle

de caractère: baroque

A eux trois, par leur œuvre architecturale et leur philosophie de l’art, ils répondent aux multiples aspirations artistiques de notre civilisation machiniste.

Identifiés à leur œuvre, ils occupent les sommets d’un triangle idéal qui peut servir de représentation synoptique pour les diverses tendances d’expression architecturale de notre temps.