« Aucune audace n’est fatale » R. Crevel.

#{. Le Hicoiais Philadelphia - Paris

Réflexions sur un monde qui se fait

L’Amérique s’ennuie. L’ennui, d’essence aristocratique, convient mal aux démocraties qui n’ont pour excitant intellectuel que les farces éculées du Pop Art, les drogues, et pour la majorité, le base-bail et les liqueurs fortes.

L’architecture est devenue une affaire de snobs. Les décrets mystérieux des initiés de Yale, ou d’ailleurs, décident de ce qui est « in », c’est-à-dire bien, de ce qui est « out », c’est-à-dire mal. Le malheur est que ce qui est généralement « in » est mal, sans pour cela que la réciproque soit vraie.

Le fonctionnalisme ne fonctionne plus.

Le rationalisme ne rationalise pas, et le formalisme ne formalise plus. Quant à l’informel, il descend vers l’informe. A part cela, l’architecture continue, comme nous tous, bien sûr, tant bien que mal.

Dans le domaine plus sérieux qui est le nôtre, ou 1’« esthéticisme » ne cause aucun ravage, le problème actuel est de savoir si les ordinateurs vont supprimer nos emplois.

L’Egypte ayant normalisé l’angle droit, verrons-nous bientôt toutes les autres relations angulaires normalisées par les « computers ».

Aux derniers résultats publiés, nous apprenons qu’une poutre standard, redessinée par le computer apporte une économie de 16%. Voilà qui fait rêver... encore que sans computer, le résultat soit prévisible sans autre outil qu’une règle à calcul.

Ce qui importe davantage que la réponse est la bonne méthode pour programmer la question. Mon impression personnelle est que nous commençons seulement à bien poser les questions.

En ce qui concerne les structures spatiales, notre développement intellectuel, le plus souvent basé sur un système de coordonnances rectangulaires, semble avoir quelque peu entravé notre connaissance de l’espace véritable où nous existons, qui est celui de la troisième dimension. Nos représentations graphiques nous trompent souvent, et la pureté géométrique ne devient apparente que grâce à un effort souvent disproportionné aux résultats atteints. L’avantage intrinsèque des computers électroniques est leur effroyable vélocité, mais ceuxci ne peuvent, comme chacun sait, qu’opérer avec des définitions précises où toute équivoque est écartée laissant de côté, bien entendu, la notion indéfinissable de l’esthétique incompatible à l’outil électronique.

Il devient donc de plus en plus évident que le problème de base de l’architecture est un problème de connexions, relevant de la discipline topologique et de la science des arrangements combinatoires, faisant intervenir, non plus des conditions statiques, mais aussi la notion temps et mobilité.

Que nous le voulions ou non, notre civilisation oscille vers le nombre et la complexité. Que nous puissions comprendre entièrement et sans équivoque le problème

mystérieux des formes, de leur nécessité et de leurs évolutions est assez peu probable, car nous sommes en présence de phénomènes se déroulant sur une échelle fabuleusement différente de la nôtre et dont nos sens ne nous donneront qu’une image imparfaite et qui, de ce chef, ne nous deviendront jamais entièrement convaincants ni familiers.

Nous devons toutefois nous efforcer de coexister avec ces phénomènes et tenter d’en donner une représentation cohérente et si possible prédicative.

Notre développement intellectuel ne fait que commencer, et, pour tout dire ce que nous appelons décadence témoigne seulement la substitution de valeurs nouvelles à des valeurs anciennes. L’Art véritable est la prescience d’un monde nouveau qui se construit avec une rapidité exponentielle.

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