Gio Ponti Milan

Architecture Formes et Fonctions

Ces trois mots constituent le titre parfait d’une publication qui, par les deux derniers, formes et fonctions, se rapporte au premier, l’Architecture. Qui va prendre une forme, c’est-à-dire va « être », en vertu de sa fonction. C’est la naissance terrestre de l’architecture; c’est son but originaire au service de la civilisation; c’est son pourquoi. C’est sa raison d’être originaire.

Pourquoi appuyer tellement sur le mot originaire? Pourquoi ne pas simplement dire que c’est sa raison d’être et sa forme au lieu d'une forme? C’est que l’architecture est un art dont les valeurs formelles ont certainement pour point de départ la fonction génératrice qui légitime sa naissance : mais elle se dégage ensuite de cette fonction, ou destination, qui, dans l’histoire seulement, reste à en signifier l’origine.

Au fil des temps la fonction génératrice cesse même d’être fonctionnelle. Elle peut même devenir antifonctionnelle: car les besoins de l’usager et les impératifs de sa destination première vont changer. Comment s’expliquer alors que l’architecture perdure tout en abandonnant la fonction qui a marqué son origine? C’est que, lorsqu’elle est une œuvre d’art, elle traduit formellement la « fonction » par les lois appartenant à la perpétuité, ainsi que disait Palladio, c’est-à-dire les vertus d’essentialité et d’unité par lesquelles l’œuvre s’exprime indépendamment de la fonction.

Et c’est qu’ensuite elle « fonctionne », sur le double plan de l’art et de l’esprit au-delà, au-dehors du fonctionnement premier.

« La forme » en devient ainsi une valeur autonome.

Le fonctionnement est une obéissance à laquelle il est merveilleux de se soumettre, car le désir spirituel de sa perfection peut nous conduire tout droit à la synthèse, à la clarté, à l’ordre, à la rigueur, à la pureté, à l’unité, à l’essentiel: à l’expression de la « vérité de l’art » qui n’est pas la réalité de la fonction mais sa transposition dans une vérité illusive, qui est pourtant la vraie vérité, l’unique vérité de l’art

qui donne à l’œuvre, par ses dimensions vraies, son poids vrai, son immobile mobilité, sa forme authentique, pure, autonome, sa forme « perpétuelle ». Car elle, l’Architecture, n’existant pas si on ne la voit, et existant seulement si on la voit, est faite pour être regardée. Au bon moment, elle ne « sert » qu’à cela et de cela résulte sa fonction magnifique et pure, visuelle et perpétuelle. È fatta per guardala. En cela seulement elle existe indépendamment de sa fonction originaire et des fonctions qu’elle assumera ultérieurement. Elle existe et « fonctionne » aussi à l’état de ruine.

Elle parvient à sa fonction sublime, indicible, dans le silence de son chant. Et par les yeux cette vertu visuelle, ce pouvoir d’illusion créatrice de la réalité « de l’art », différente de la réalité réelle et pourtant plus réelle encore, — cette vertu visuelle donne à l’architecture soit puissance, soit légèreté par-delà son poids matériel, mouvement par-delà son immobilité. Elle lui confère sa vérité lyrique, définitive, unique, 55

celle qui la fait voir pleine d’élan tout en ne bougeant pas.

Dans l’échelle des valeurs de la célèbre formule vitruvienne qui définit les attributions de l’Architecture: « Firmitas, utilitas, venustas », les deux premières, qui apparaissent pourtant les plus positives et certaines, sont au contraire les plus précaires.

Aucune firmitas (nous devrions dire solidité mais que le mot latin a plus de beauté!) n’a résisté à l’alliance terrible des hommes et du temps. Aucune utilitas, même, n’a résisté aux changements des habitudes et des procédés et l’on dirait que plus la chose était totalement utile, plus rapidement elle est devenue inutile ou anti-utile.

La venustas, elle, gagne toujours. Cette venustas que l’on croirait, parmi ces attributions de l’Architecture, la plus incorporelle et fragile est, au contraire, la plus durable. Elle supplante la firmitas car l’homme, par de continuelles restaurations (« restitutions » comme l’on disait si bien chez nous), secourt la belle architecture en danger. Il est soucieux de lui conserver la venustas en dehors de sa fonction originaire et des fonctions nouvelles qui seront dévolues à l’architecture, jusqu’à ce qu’elle parvienne enfin à la fonction supérieure de n’être plus qu’à regarder. C’est là sa mission finale, éternelle sur le plan artistique, qui nous remplit d’une émotion indicible (pour nous servir d’un mot de Le Corbusier). Les choses qui n’appartenaient qu’à l’utilitas restent dans l’histoire, témoins des mœurs et des usages. Les choses qui appartiennent à la venustas restent à jamais vivantes. La beauté est toujours moderne. Tout est simultané dans le domaine du grand art.

Ce que je viens de dire n’est qu’une introduction à un discours sur le présent, qui occupe entièrement mon esprit.

C’est que notre époque est, dans l’histoire de l’humanité, la plus grande pour l’architecture. Elle est la plus grande par la merveilleuse technologie, par la possibilité d’emploi de tous les matériaux, anciens et modernes, proches ou lointains, par les matières et par les procédés inventés, du 56

béton à mince épaisseur au béton précontraint, par une technique extraordinairement développée dans la mise en œuvre d’éléments de grandes dimensions, par les matières plastiques répondant à toutes nos exigences: couleur, surface, proportions, légèreté, cohésion, résistance.

Elle est la plus grande par la rapidité de la construction.

Elle est la plus grande par les moyens et l’importance des œuvres qu’elle va réaliser.

Elle est la plus grande par la hauteur de ses buts sociaux, un habitat décent à tout être humain pour qu’il y vive avec les siens, pour la pratique du travail collectif, pour le travail, pour l’assistance, pour la santé, pour les sports, pour la “ connaissance de la Terre », le tourisme, en sa beauté et en son histoire.

Elle est la plus grande par les moyens qu’elle va tirer d’une économie définie et de l’organisation, —- sans plus glorification du Pouvoir fondé — du pouvoir par l’injustice envers les déshérités, — d’un individu, d’une famille, d’une classe. L’architecture est aujourd’hui l’œuvre de l’homme pour l’homme et non plus pour un homme.

Elle est la plus grande par la possibilité offerte aux architectes d’une information culturelle et technique immédiate, simultanée, arrivant de tous les pays du monde, par une extraordinaire bibliographie et par une facilité de déplacement qui permet la plus rapide vérification « sur place » en n’importe quel point du globe.

Elle est la plus grande par la présence en notre époque, de génies, de maîtres, de personnalités, d’écoles, de mouvements artistiques dans tous les arts, — littérature, théâtre, musique, danse, sculpture, — d'une vitalité extraordinaire, d’une extension totale et simultanée dans un monde peuplé d’événements d’une grandeur sans précédent. Et pourtant, si notre époque est la plus grande pour l’architecture, elle n’est pas la plus grande de l’architecture.

Pourquoi?

Pourquoi tant d’occasions offertes à l’architecte, à l’urbaniste, en un âge d’or en devenir, ont-elles été jusqu’ici perdues?

C’est que la vocation suprême de l’architecture est de créer des œuvres d’art conçues pour les regarder ou aussi de s’exprimer en simplicité et en sincérité en d’autres œuvres d’art nées de l’ambiance.

Cette signification historique est présentement négligée au profit de « l’affaire bâtiment » qui pousse d’un côté à la vulgarité, et de l’autre au refus de toute expression.

On a perdu à la fois la conscience et l’ambition, l’orgueil, le courage des merveilles à faire, possibles et nécessaires, pour que cette époque d’extraordinaire civilisation industrielle et technique se révèle aussi, par des formes pures, hardies, lyriques, une civilisation de l’esprit.

C’est parce que nous avons tout le reste (technique, organisation, facteur économique, etc.) que je rappelle : que c’est dans la forme que l’on retrouvera la signification de l’architecture moderne.

Platon disait que la philosophie est la science qui enseigne aux hommes comment se servir de leur savoir. L’architecture moderne est en présence de son moment philosophique: enseigner aux hommes le moyen de se servir d’elle afin d’exprimer spirituellement le plus haut degré de la civilisation.

L’Architecture qui un jour dédia ses monuments à la gloire du Pouvoir doit créer maintenant, par l’ensemble de ses œuvres, un témoignage de civilisation, un monument de civilisation avec des « images de beauté » offertes à nos yeux.

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