Traductions françaises

Carlos Raul Villanueva Evolution et formation

On peut dire que l’activité exercée pendant des siècles par l’architecte - malgré toutes ses variantes historiques - si elle a apparemment résisté aux grandes commotions internes, a fini néanmoins par voir substantiellement altérée sa structure.

La première commotion se produisit quand, pendant la Renaissance, l’architecte réalisa, pour la première fois peutêtre de façon si claire, les privilèges subtils et difficiles que lui concédait sa condition d’artiste créateur. Dès ce moment, sa conscience professionnelle se trouva prise entre les contradictions croissantes de son esprit d’aventure, d’invention, d’originalité et la limite toujours plus nettement définie dans laquelle ses clients plaçaient le programme des nécessités. Ces contradictions commencèrent de rendre plus crucial le problème du dessin, en même temps qu’elles se déroulaient en un contexte bientôt pleinement artistique (doté de la pleine conscience de son état d’artiste); mais leurs conséquences allaient rarement au-delà des frontières des conditions personnelles individuelles du créateur. Le second événement de valeur essentielle est que l’architecte en arrive à se situer - dans le système économique industriel avancé au cœur des formules conventionnelles de la profession libérale.

D’abord artisan, puis artiste, maintenant intellectuel, l’architecte a incorporé des éléments d’insécurité, de non-conformisme et inclusivement de protestation ou d’utopie à son travail. Ces facteurs correspondent actuellement, dans le monde contemporain, à une contradiction réellement essentielle entre son rôle primordial de part intégrante d’un mécanisme économique qui le justifie et l’exige à la fois, et le développement secondaire de sa capacité d’analyser, d’exercer sa vision éminemment critique de la société. Pourtant, nous le savons, on ne peut être ensemble instrument aveugle et critique d’un même système sans tomber dans une grave contradiction: la contradiction majeure qui précisément frappe l’architecte, comme intellectuel et professionnel, dans le monde d’aujourd’hui. Dès lors, il ne s’agit pas d’une condition originale et 2

exclusive de l’architecte. Dans la société à laquelle nous appartenons, toutes les professions souffrent du même état, tous les intellectuels et tous les hommes qui se déclarent en non-conformité avec le processus de «chosification» qui les englue. Il arrive toutefois que l’architecte était prédisposé, plus que tout autre peutêtre, à se sentir touché par cette contradiction à cause des caractéristiques organiques du dessin qui le conduisent presque obligatoirement à émettre un jugement sur le monde et, partant, à en construire une vision critique.

Il ne paraît pas possible, pour le moment du moins, que la profession de l’architecte cesse de manifester cette inconfortable dualité. Tout au contraire, elle la maintient, l’accentue, la suscite chaque fois plus lucide dans une exigence historique rigoureuse. Puisqu’il en est ainsi, les structures universitaires qui forment l’architecte se voient confrontées avec l’obligation de permettre et de développer, à un degré encore inconnu maintenant, le concept de l’autonomie et celui de la cogestion, établis voici un certain temps en Amérique latine, et à présent convertis en revendications urgentes par les étudiants d’Europe. Ce qui s’ajoute toutefois est l’importante nouveauté de la relation entre autonomie et cogestion d’une part et, de l’autre, la fonction de critique externe de la société, que l’Université se doit de remplir. Du point de vue de la formation de l’architecte résulte alors l’indispensable nécessité de comprendre l’étroite relation de cause à effet entre une conscience historique adaptée à une solide position critique, ce qui donne du même coup à la formation historique un rôle extraordinaire, puisqu’elle a été conçue non pas de manière académique mais sous un angle fonctionnel.

La réalité pragmatique qui s’impose à l’architecte comme marque définitive de son action peut se cataloguer au moyen de quelques traits plus proéminents, à savoir: 1. La configuration définitivement urbaine de l’habitat humain.

2. La massification quantitative de la demande des produits architectoniques.

Ces deux déterminantes se combinent avec deux possibilités qui, actuellement, et chaque fois avec une force plus impérieuse, s’offrent à l’architecte: 1. L’usage intégré de la science.

2. L’usage abondant de la technologie de bases solidement industrielles.

Voici donc un peu en quoi tout le monde est d’accord: des difficultés croissantes que rencontre l’architecte pour satisfaire aux exigences de la société. Il ne s’agit pas seulement, tant s’en faut, des raisons de désajustement et de contradiction dont nous avons parlé, mais aussi de la forme empirique, intuitive et élémentaire qui rectifie encore la méthode de dessin de l’architecte. Les déterminantes et les possibilités antérieurement nommées doivent se conjuguer pour donner naissance à une structure d’enseignement basée sur une mise au point sérieusement scientifique: dessiner et développer une méthodologie scientifique inscrite à l’ordre du jour du travail de l’architecte.

Quelle que soit la solution donnée à ce problème, elle ne pourra être obtenue sans une pratique éminemment expérimentale et d’investigation dans l’enseignement.

J’ai la conviction que c’est sur ces thèmes qu’il faut concentrer l’attention de la profession en ce moment.

Des intérêts fondamentaux sont en jeu, qui exigent la définition d’objectifs précis.

A l’échelle mondiale, il est temps de déclarer en péril la profession d’architecte.

Une tâche énorme nous attend, et nous disposons des outils les plus adéquats.

Ne perdons plus de temps.

\

I'

Giancarlo De Carlo La pyramide renversée (extraits du livre de même titre paru aux éditions De Donato, Bari, 1968)

Dans l’Université, la première séparation fondamentale apparaît entre enseignants et étudiants. Les premiers sont ceux qui savent et les seconds ceux qui ne savent pas. Mais que savent et ne savent pas, en réalité, les deux parties opposées? Naturellement le «savoir», mais ce n’est qu’un aspect de la question. Les étudiants, outre à ne pas maîtriser le «savoir», ignorent les motifs pour lesquels ils devraient l’acquérir. Ils ne connaissent pas ni ne doivent connaître la structure et les formes desdits motifs. Ils ne participent pas, ne discutent pas, ne décident pas. Ils sont des passagers occasionnels, étrangers à une institution qui devrait être faite pour eux et dont l’existence est justifiée seulement par leur présence.

Une autre série de parois sépare les enseignants entre eux. Il y a les assistants volontaires et les ordinaires, les chargés de cours, les professeurs ordinaires et extraordinaires, les directeurs et les recteurs. Ici, les séparations sont horizontales et leur stratification forme une pyramide dont les angles se confondent dans le haut avec une bande obscure. Pour un observateur extérieur, la pointe devrait être proche et concrète. En réalité, il n’y a pas de pointe. Au-delà de la bande indéchiffrable, les arêtes divergent et pénètrent dansTes structures de l’Etat. Là, nous avons les convergences et les entrelacements les plus imprévisibles, car c’est là que l’Université trouve les liens les plus mystérieux et les plus indissolubles avec le système.

D’ailleurs, en Italie tous les enseignants universitaires Sont fonctionnaires, exception faite des assistants volontaires et des chargés de cours, spermatozoïdes qui cherchent fébrilement un ovule qui leur donne une figure concrète. Les parois qui divisent ces enseignants sont hiérarchiques, donc perméables en hauteur. Il y a pour tous une possibilité d’ascension, même si elle est faible. Mais le facteur déterminant de cette ascension n’est pas la valeur scientifique, parce que l’ascension est le produit d’une initiation complexe et cruelle, qui a comme aboutissement l’acceptation du système ou la connivence forcée avec lui. La montée a lieu à travers des pàssages parfaitement calibrés, qui filtrent l’indépendance, le courage de ses opinions, la loyauté scientifique et humaine. Tous ceux qui sont arrivés aux niveaux les plus hauts portent intimement la honte des capitulations temporaires ou définitives, même ceux qui par dureté naturelle ou par hasard ont réussi à conserver leur dignité. La règle du jeu ést parfaite, car c’est un jeu sans fin comme celui des perles ou le poker.

Personne ne peut se considérer comme étant au sommet, parce qu’il n’y a pas de sommet. La motivation de jeu est aussi

parfaite puisqu’elle réside dans le «pouvoir». A chaque étape franchie, il y a un nouveau privilège et une nouvelle prime en «pouvoir», inaliénables et absolus.

Exemple: en Italie, un professeur ordinaire ne peut être démis de ses fonctions même si une sénilité précoce l’empêche d’enseigner, même s’il néglige sa charge pour se vouer à des intérêts privés, même s’il utilise les assistants et les étudiants comme main-d’œuvre pour ses travaux extrascolaires, même s’il exploite sa fonction pour obtenir des gains financiers ou de prestige supplémentaites. Gâteux ou capable, profiteur ou désintéressé, il a en tout cas la prérogative de manœuvrer les filtres qui protègent sa position contre la pénétration depuis les niveaux inférieurs.

Tous sont amenés par l’automatisme du système à ces opérations de défense, tous sont entraînés, même en dépit de leurs convictions personnelles, dans l’engrenage des manipulations abstraites et des alliances honteuses.

Au travers de ces processus automatiques compromettant la volonté des personnes, l’Université, devient un centre de pouvoir qui n’a rien à voir avec les exigences de l’enseignement et de la culture, un sousproduit de ces centres de pouvoir qui sont à l’intérieur de l’Etat ou gouvernent celui-ci du dehors.

Nous pourrions citer des exemples innombrables à ceux qui croient encore au mythe de l’Université pure et juste. Aucun ne serait d’ailleurs plus persuasif que le fait'incontestable qu’au cours des dernières années les recteurs ont dû à plusieurs reprises faire appel aux forces de police pour chasser des locaux les étudiants en révolte. L’autonomie de la communauté universitaire sanctionnait depuis des siècles la reconnaissance de son droit à contester librement le système. L’appel audit système afin qu’il rétablisse par la violence un ordre autoritaire constitue l’éclatante démonstration de la précarité de l’équilibre communautaire. En outrq, il rend évidents les liens entre le corps enseignant et les forces du pouvoir. Celui-ci a besoin de cadres, mais il veut les prélever dans une Université docile. D’ailleurs, il ne tient pas particulièrement à cette source. Bien au contraire, il préférerait avoir recours à des institutions nouvelles, correctement instrumentées dès le départ. Elles offriraient de meilleures garanties que l’Université, contrôlée mais inquiète et ouverte en partie à l’appel de la contestation. Il n’y a rien de nouveau ni d’invraisemblable dans le projet de création d’une nouvelle organisation de l’instruction supérieure. Elle comprendrait un secteur didactique pour la préparation des cadres opératifs, confiée à une Université déclassée et décentralisée, et un secteur de recherche confié aux monopoles industriels, donc doté de tous les instruments techniques et de tous les moyens économiques nécessaires. Les imaginatifs pourraient se demander si ce n’est pas là le dessein qui ressort dû trop bref chemin que l’Etat a parcouru ces dernières années vers la solution de l’Université de masse. C’est bien cette suspicion qui est à l’origine de la révolte des étudiants. Les premières revendications de 1960 ont concerné l’aspect quantitatif du problème: distribution territoriale des centres universitaires, nombre insuffisant des places d’étude et de travail, carence des moyens didactiques, inexistence de logements pour étudiants et de services sanitaires et de sport, etc. On a aussi attaqué les retards dans la distribution des bourses et des présalaires, considérés comme moyen fondamental pour atteindre le droit aux études stipulé dans la Constitution.

Il est intéressant de relever que, dans cette première phase, les thèses estudiantines correspondaient aux programmes politiques de la gauche officielle italienne.

Pour les deux parties, la solution des problèmes quantitatifs incombait à l’Etat.

Mieux encore, elle n’était considérée possible qu’après une rigoureuse concentration de tous les instruments de l’instruction au sein de l’organisation étatique, qui aurait éliminé radicalement toute possibilité d’initiatives extérieures à l’Etat.

Toutefois, la deuxième phàse, celle des derniers mois, que-nous pouvons appeler qualitative, a dépassé le simplicisme de la première. La gauche politique continue certes à adhérer aux luttes universitaires, mais plusieurs groupes d’étudiants commencent à se demander si la gauche, au lieu de se battre pour une étatisation générale, ne ferait pas mieux en promouvant des alternatives radicales aux structures existantes, en d’autres termes si son action, malgré les indéniables réformes de détail qu’elle a amenées, n’a pas en définitive contribué à renforcer le système.

La question posée découvre un problème brûlant, puisqu’il englobe d’une part l’évaluation du vrai désir de la gauche officielle, d’autre part le sens véritable de la révolte des jeunes, qui a explosé partout et non seulement dans les universités, ni seulement en Italie. C’est le double problème du vieillissement des structures politiques traditionnelles et de là naissance de nouveaux modes d’action politique qui se situent en dehors des luttes pour le pouvoir et compensent le refus des instruments conventionnels avec la protestation absolue et irréductible.

Dans l’histoire récente de la révolte universitaire, les facultés d’architecture ont joué un rôle particulier. Nous allons tenter de le définir par des notes très concises.

*

3

Bref rappel des faits En décembre 1963, peu après le début de l’année académique, les étudiants des cours de composition de la Faculté d’architecture de Milan entraient en grève.

Quelques semaines auparavant, ils avaient demandé aux professeurs d’ouvrir un large débat sur le contenu des programmes, car ils considéraient inactuels et abstraits les thèmes d’exercices imposés.

Face à un refus, ils passèrent à l’action et occupèrent la faculté en février 1964, après une série(de promesses et de menaces. Les étudiants de tous les autres cours se joignirent à eux. C’était la première fois qu’une Université italienne était occupée par les étudiants. Quelques mois après, l’exemple était suivi par Turin et par Rome. Enfermés dans les locaux, les étudiants commencèrent à examiner leurs problèmes tout seuls. Bientôt, les thèmes fondamentaux surgirent et firent paraître négligeables les prétextes initiaux. On commença à parler de la définition des tâches de l’architecte au sein de la société, du type de préparation que la faculté doit lui offrir, de la modification de la structure de la faculté, de la suppression des cloisons entre les cours, de la transformation des instituts en organismes destinés à promouvoir la recherche, du rajeunissement des cadres pédagogiques, de la participation, avec pouvoir de décision, des étudiants à la gestion culturelle de l’école.

De tous ces thèmes, reliés entre eux par une logique interne qui les rendait inséparables, deux seulement furent pris en considération par les conseils de faculté les plus avisés, tandis que les autres rejetaient le tout en bloc. Pour calmer le ‘désir de participation, on inventa les commissions paritaires et, pour colmater les brèches surgies dans le corps enseignant, on recruta quelques nouveaux professeurs provenant d’autres Universités ou de la profession. Ces deux expédients furent efficaces durant un certain temps.

En effet, alors que la révolte s’étendait en 1965 et 1966, les facultés d’architecture patientaient dans l’attente d’un renouveau et se perdaient en controverses bureaucratiques.

Après cette période, les problèmes de* fond resurgirent. La lutte recommença en 1967. Encore unç fois, elle partit d’une série de contestations adressées aux secteurs plus défectueux et dépassés de l’enseignement, pour se transformer ensuite en une action revendicative globale contre le pouvoir des conseils de faculté.

Les Facultés de Milan, de Turin, de Naples et de Venise furent occupées par les étudiants et furent toutes évacuées après intervention des forces de police, sauf celle de Milan. A Venise, ou l’occupation avait été plus longue et plus irréductible qu’ailleurs, l’intervention policière ne fut pas .sollicitée par le recteur, mais par un mouvement néo-faciste qui se faisait appeler «Ordre nouveaù», mais qui voulait en réalité conserver l’ordre 4

ancien partout où il existait, donc particulièrement dans l’Université.

Les parties opposées et leurs rapports actuels Les étudiants ne sont pas une classe sociale. Même si une partie de leurs revendications a une base économique, leur condition est celle d’un groupe hétérogène destiné à une fonction sociale spécifique. Leur vrai problème n’est pas telle: ment de conquérir une sécurité économique, mais plutôt d’éclaircir les objectifs de leur fonction, les raisons pour lesquelles ils devraient l’assumer, les manières dont ils pourraient l’exercer. La condition absolue de cet éclaircissement est qu’il soit effectué par les étudiants eux-mêmes. En effet, c’est seulement ainsi qu’ils auront la garantie que les objectifs ne seront pas inhumains, les raisons accablantes, les manières agnostiques. En d’autres termes, qu’ils ne deviendront pas des instruments durant la préparation à leur fonction sociale et que leur vie aura un sens humain.

La question est donc posée en termes d’«affranchissement» et entre dans le phénomène plus vaste de l’extension des droits civiques. Sur cette nouvelle frontière, toute la jeunesse est en mouvement, des Etats-Unis à l’Europe, en passant par la Chine. Elle lutte pour conquérir une autonomie d’expression qui lui a été toujours refusée au nom de la plus ancienne affirmation du principe d’autorité: la prédominance incontestée des anciens dans le gouvernement de la société. Partant de bases différentes correspondant à la variété des conditions idéologiques et politiques de chaque pays, le mouvement converge vers un objectif identique : l’affirmation du droit des jeunes à contester les comportements d’une société qui faillit ruineusement sur le plan humain au moment où elle atteint le sommet de l’efficience productive.

Dans leur lutte contre les conseils de faculté, les étudiants architectes ont cherché, peut-être avant les autres, des formes d’organisation et de comportement qui se sont révélées révolutionnaires, mais concrètes justement à cause de leur nouveauté. Les associations estudiantines traditionnelles, caractérisées par des tendances politiques calquées sur celles des partis, avaient eu une influence fondamentale dans les premiers temps de la révolte. Elles assument maintenant peu à peu une fonction essentiellement organisatrice, donc marginale. L’assemblée plénière des étudiants est l’organe souverain. Les commissions représentatives sont limitées au strict minimum.

Dans beaucoup de facultés, le président de l’assemblée est remplacé chaque jour, tout comme les délégués chargés des contacts avec les enseignants ou avec le milieu extérieur. Cela provoque retards et confusions mais éloigne le risque de cristallisation du pouvoir, engendre participation et prise dé conscience, donc

liberté. Les étudiants sont en effet persuadés que, contrairement à ce qu’on leur a appris, la liberté est plus importante que l’efficience. Dans une faculté d’architecture qu’ils avaient occupée, ils s’étaient organisés en groupes libres, très semblahles aux clubs jacobins. Il n’y avait pas de honte à passer d’un groupe à l’autre, si l’on changeait d’opinion au cours du débat. Dans une autre faculté, les étudiants avaient dépavé la cour où les professeurs parquaient leurs automobiles, pour la transformer en jardin. Parmi ces nouvelles formes de comportement nées de la .tension des occupations de locaux, il y a eu les incertitudes, l’horreur du vide institutionnel, la nostalgie des «appareils» rassurants. Surtout au sein de cadres des représentations estudiantines officielles, il ne manque pas d’«oncles Tom» préoccupés d’achever l’opération au plus vite pour maintenir leur fonction, pourtant précaire.

Durant les récents séminaires de programmation, on a assisté à plusieurs reprises à la tentative des dirigeants de susciter des dissensions sur la base des premiers résultats atteints. Mais l’assemblée, parfois distraite et vague sur les points de détail, s’est toujours montrée présente et irréductible sur les questions de principe.

Les conseils de faculté et les assemblées d’étudiants sont donc actuellement les seules parties en présence dans les hautes écoles d’architecture italiennes. Comme dans toutes les autres facultés, elles sont séparées par le principe d’autorité. Il s’agit donc d’examiner de manière plus approfondie cette ligne de démarcation.

Les arguments du débat Les facultés d’architecture italiennes sont le fruit d’un mariage de raison entre les écoles des beaux-arts et- celles d’ingénieurs. Elles ont hérité des deux leurs plus mauvais côtés, dont elles ne se sont jamais débarrassées. C’est de ce péché originel que provient le programme absurde et contradictoire que l’étudiant doit suivre.

C’est une tentative présomptueuse et exténuante de couvrir tout ce qui existe depuis Tes sciences jusqu’à l’art. «Le résultat - écrivait un étudiant proche du diplôme - est que l’architecte devient mathématicien, physicien, ingénieur, historien de l’art... tout en restant un dilettante.» « Le débat commença dans l’immédiat après-guerre en partant des insuffisances grotesques de la formation de l’architecte.

En effet, les premières timides requêtes des étudiants avaient trait à la redistribution des matières scientifiques. A cette occasion, les facultés les plus avancées, qui permettaient un dialogue minimal au moins avec les enseignants des matières dites artistiques, commirent les premières erreurs. Dans la louable intention d’alléger les programmes, elles réduisirent ceux des mathématiques et des sciences, sans toutefois modifier l’ensemble de l’appareil. Le problème n’était pourtant pas de

tailler les branches de l’arbre, mais de remodeler le tronc et de rajeunir les racines. Lors d’un congrès d’enseignants tenu à Naples en 1959, les étudiants présentèrent une motion qui parlait déjà du but à atteindre. «L’adaptation des plans d’étude implique une augmentation de la sensibilité envers la réalité extérieure, soit envers les problèmes et les nécessités du pays.» On amenait à la surface la question de pays et l’urgence de-ses nécessités, en d’autres termes (nuancés, puisque lès étudiants étaient encore, à ce congrès-là, des hôtes accueillis de manière paternaliste), l’hypothèse d’un nouvel engagement de l’activité architecturale par rapport au développement de la société.

Dans les années suivantes, la discussion tourna autour de ce noyau. Elle fut alimentée par le mécontentement croissant des étudiants, mais aussi par une série de faits objectifs, qui commençaient à émerger justement de la réalité extérieure. Le développement économique des années soixante avait révélé de manière foudroyante à quel point l’architecture italienne n’était pas prête à affronter les phénomènes qui se déclenchaient. Les grandes transformations du milieu physique, causées par les migrations internes, l’urbanisme, la mobilité accrue, l’augmentation des revenus étaient abandonnées à la piraterie des spéculateurs privés, à la prédominance des monopoles, à l’insécurité des politiciens. L’architecture ne fôurnissait pas les cadres capables d’introduire Une correction technique dans les opérations qui étaient accomplies; en outre, elle n’émettait ni idées, ni conceptions, ni propositions idoines. L’école continuait à lancer sur le marché une «élite» de vagues professionnels destinée surtout à résoudre les problèmes du «superflu décoratif» d’une «élite» aisée.

Elle ne produisait ni les opérateurs nécessaires à la planification territoriale, ni les techniciens de l’urbanisme, ni des designers authentiques. Dans ces conditions, il est clair qu’elle ne produisait pas non plus une culture, au moyen d’un exercice systématique et continu de recherche.

Durant les grèves et les occupations de 1962 et 1963, les étudiants commencèrent à réfléchir sur cette situation malheureuse et sur le sort qui leur était réservé à la sortie de l’école,'impréparés qu’ils étaient à affronter un monde indéchiffrable. Les conclusions se résumèrent à trois arguments principaux: faculté de masse, renouvellement pédagogique, mise en route d’une nouvelle activité de recherche. Ils furent soumis aux professeurs, auxquels on proposa un effort commun d’éclaircissement et de réorganisation. Si nous examinons aujourd’hui - moment culminant de la crise - les documents qui contenaient cette proposition, nous constatons avant tout que leur teneur en est péremptoire quant à la forme, mais ouverte quant au fond. Il nous paraît donc étrange que les conseils de faculté

aient opposé un refus, en jouant de réti­ professeurs et assistants, d’élargir ou de cences et de détours, en avançant même réduire les programmes, d’augmenter ou l’offense faite à leur dignité profession­ de diminuer le nombre des heures de tranelle. Sans doute, c’est l’antique tendance vail ; il faut une transformation de strucautoritaire qui entrait en action, avec ture qui modifie les rapports entre les l’obtuse astuce patronale de l’Université parties, qui rétablisse l’équilibre dans les italienné. Toutefois, en cê qui concerne rapports participation-fonctions-responles facultés d’architecture, il y avait autre sabilités, qui assure la flexibilité des chose.

échanges et des confrontations, qui renFaculté de masse est synonyme de fa­ force la rigueur culturelle.

culté pour le grand nombre. Le nombre L’objectif de l’université de masse est de d’élèves a augmenté parce qu’on demande répondre à une demande sociale diffétoujours plus d’architectes. Cçtte exigence rente de celle adressée à l’univérsité provient du fait que l’architecture ita­ d’«élite». Il ne s’agit pas de préparer des lienne tend à abandonner son rôle de cadres au profit d’une classe au pouvoir, pourvoyeuse de «superflu décoratif» pour mais des opérateurs destinés à l’ensemble devenir une part essentielle du dévelop­ social tout entier, donc spécialisés, mais pement du pays. Mais combien de ces conscients du but de leur action.

enseignants, fonctiqnnaires vivant en sé­ L’activité didactique constitue l’arrièrecurité, étaient prêts à prendre le risque de plan des départements, lesquels sont de cette prospective? Combien d’entre eux, leur côté les articulations de l’activité de formés dans la province intellectuelle du .recherche. Les deux fonctions sont disbon goût, du petit cabotage professionnel tinctes, bien que reliées par un rapport de et des déclamations velléitaires, pouvaient nécessité réciproque. En effet, on ne assumer une responsabilité sociale?

saurait imaginer que la didactique puisse D’autre part, le renouvellement didac­ comprendre la recherche,' comme cela a tique impliquait la création d’une’ base été le cas jusqu’à présent dans les facultés scientifique pour l’architecture du grand d’architecture. Un enseignement, pour nombre. Le contrôfe des transformations pratique qu’il soit, ne peut posséder les de l’habitat et la production presque illi­ intentions de découverte et de pénétramitée d’objets usuels nécessitent l’emploi tion propres à là recherche. On ne saurait d’instruments d’analyse et de projet pré­ pas non plus imaginer que la recherche cis, basés sur des techniques complexes puisse contenir la didactique, comme on et rigoureuses. Pour cette raison, , le l’a supposé dans la faculté citée comme design, né en dehors des écoles, est venu exemple dans le chapitre précédent, se substituer à l’équipement et à la déco­ puisqu’il est impossible de faire de la ration. Pour ce même motif, l’urbanisme, recherche si l’on ne possède pas les insné aussi en dehors des écoles, a commencé truments techniques et méthodologiques à remplacer, en tant que science humaine, qui permettent l’investigation systél’architecture des villes. Mais combien de matique d’une discipline. Pour développrofesseurs pouvaient mettre sur le tapis per la recherche opérative, il faut les la mise de leur culture à côté d’un appa­ mathématiques; pour la recherche sur reil didactique réellement scientifique? les transformations sémantiques d’un Ils avaient accepté la réduction des pro­ tissu urbain, il faut l’histoire de l’archigrammes de mathématiques et sciences tecture; pour la recherche technologique, parce qu’elle contribuait’' au fond à légi­ il faut des notions sur la nature et le comtimer leur inconsistance. Jamais ils n’ad­ portement des matériaux; pour la remettraient que ces disciplines soient ré­ cherche en matière de projets, il faut des introduites à un niveau plus élevé encore. moyens qui rendent possibles la repréEnfin, il n’était pas question de donner le sentation et la communication des idées, feu vert à une vraie activité de recherche. etc.

En effet, dans un pays à situation pré­ Une ossature didactique continuellement caire comme le nôtre, recherche signi­ mise à jour devrait fournir les instruments fie contestation. Celui qui étudie les nécessaires à la constitution d’une base structures physiques italiennes trouve culturelle pour le travail de recherche.

qu’elles répondent aux exigences d’un Elle devrait être ample, de première main système idiot et égoïste, que les inter­ et de niveau aussi élevé que possible. Elle ventions architecturales dans ces struc­ devrait être comprise dans la faculté pour tures se placent à l’intérieur de ce système toutes les matières propres à l’architecet ne font que l’enrichir.,Dans ces condi­ ture et s’étendre vers d’autres facultés tions, l’activité de recherche pouvait être pour les matières propres à d’autres actiacceptée seulement si elle n’était pas vités, mais en rapport direct ou indirect authentique, c’est-à-dire dans la mesure avec l’enseignement ' architectural. En où elle était portée au consentement, tout èffet, il n’y a rien de plus stupide que en se déclarant contestataire.

d’enseigner des mathématiques au rabais aux architectes, alors qu’il n’y a qu’une Faculté de masse, didactique, recherche seule sorte de mathématiques. Elles sont L’université de masse n’est pas une uni­ déjà enseignées .au niveau maximal dans versité d’«élite» agrandie ou simplifiée et les facultés scientifiques; la science des abêtie. Pour avoir une telle université, il constructions est déjà abordée de la ne suffit pas de prévoir des aulas plus manière la plus correcte dans les écoles grandes ou plus nombreuses,de multiplier d’ingénieurs; même observation pour la 5

J

sociologie et l’économie, qui ont été récemment transportées dans la Faculté d’architecture avec un effet aussi néfaste que si l’on enseignait un «sous-urbanisme» dans les facultés de sociologie ou d’économie.

Lé département, aurait pour tâche de gérer les matières internes et d’établir des liens avec les externes, en rapport avec les exigences continuelles posées à l’activité de recherche. La porte resterait ouverte à tous changements, amputations, adjonctions, modernisations. Surtout, l’étudiant serait libre de choisir et de décider selon ses besoins et sans autre obligation que celle découlant de la conscience de ses lacunes, identifiées au moment de la rédaction de son curriculum scolaire et par la suite.

De cette manière, le département, outre les tâches précitées de coordination, pourrait assumer la fonction de stimulation concrète de la transformation de l’université. Cette dernière passerait de son état actuel de conglomérat de facultés se suffisant par elles-mêmes et incompatibles entre elles à celui d’école des éludes ouverte, intercommunicante et flexible. Elle serait le lieu de rencontre de possibilités d’étude multiples, où l’étudiant suivrait librement son chemin. Il s’affranchirait; de tous les préjugés de classification qui font éclater l’unité de la culture, il se libérait de l’esclavage des choix obligatoires, son sens critique serait stimulé déjà par le choix autonome et responsable de son parcours scolaire.

En ce qui concerne l’activité de recherche dans une faculté de masse, il nous paraît utile de préciser maintenant trois axiomes.

Le premier est que l’activité en question est représentée par la conjonction de nombreuses recherches de groupe. Cela signifie que la dimension du groupe doit toujours correspondre aux exigences intrinsèques de la recherche et que, indépendamment de l'argument exploré, la principale exigence est celle de l’échange continuel et direct d’opinions et d’expériences entre les membres du groupe.

Fausse est l’affirmation selon laquelle, dans une faculté de masse, la recherche doit être conduite par des groupes dilatés pour donner à un nombre aussi élevé que possible d’étudiants la possibilité d’y participer. En outre, elle est suspecte lorsque le groupe est dirigé par un seul professeur, qui confie éventuellement des sousgroupes à ses assistants. Le résultat est alors la reproduction fidèle des conditions des cours traditionnels, soit de revendre

f

i

la même marchandise sous une étiquette des structures de la société. D’un autre différente.

côté apparaît une tentative de diversion Le deuxième axiome est que l’ensemble vers “une architecture considérée Comme des recherches d’une faculté de masse doit art pur (non contaminé) eüfuhe école être orienté vers une tendance précise. Il d’architecture considérée comme acafaut choisir les thèmes les plus appropriés démie. En d’autres termes refait surfaces à l’activité universitaire. Les recherches l’agréable prostitution à l’abri des vulconduites par une faculté ne peuvent garités de la réalité.

constituer un ensemble fortuit, mais être Les raisons profondes de l’architecture toutes dirigées vers l’exploration de sont beaucoup plus complexes que l’hiquelques points névralgiques, abstraits ou bernation académique proposée. Les propratiques, qu’il faudra mettre sur le tapis blèmes du milieu physique sont devenus d’abord par des interprétations hétéro­ fondamentaux, pour le progrès'mondial.

doxes, puis par des propositions alter­ Dans chaque action de planification éconatives. Celles-ci doivent être assez rigou­ nomique ou sociale, dans chaque prospecreuses et explicites pour comprendre les tive politique, on ne peut plus faire absdiverses responsabilités culturelles et poli­ traction des structures et des formes du tiques qui s’appliquent aux points en milieu physique. Pour ce motif est né question. C’est la seule manière correcte de la matrice de l’architecture - l’urbade transformer la recherche en partici­ nisme, science des transformations strucpation. Les autres méthodes peuvent affi­ turales et formelles du territoire. Pour cher du bon sens pratique, de l’empi­ la même raison a été créé le dessin indusrisme, un attachement au concret, mais triel, science de la production massive des cachent en réalité des connivences inté­ choses qui, placées sur le territoire, partiressées. Elles débitent, dans la fumée de la cipent à sa transformation. Le rayon confusion, des étais destinés à maintenir d’action de l’architecture s’est énorméle système.

ment élargi, raison pour laquelle il faut Le troisième axiome concerne la manière désormais des compétences spécifiques de conduire la recherche et, en particulier, calquées sur les buts visés et sur les insle type de rapports qui naissent dans le truments utilisés. Il faut surtout de nougroupe, où étûdiants et enseignants tra­ velles échelles de valeur et de nouvelles vaillent ensemble. Ces rapports doivent structures culturelles, qui puissent enêtre rigoureusement égalitaires, en ce sens foncer les préjugés idéologiques désuets, que chaque participant doit avoir les sur lesquels continuent à prendre appui mêmes droits et devoirs, afin que la force l’architecture et la société.

du travail collectif puisse s’épanouir, La grande révolution qui apparaît sur la qu’elle résulte de la fraîcheur des idées terre touche l’ensemble des relations ou de l’expérience. L’activité de recherche humaines, avec des corrélations technodevient ainsi non seulement une ossature logiques propres à bouleverser les compromouvant le développement culturel, portements de la société envers les choses, mais aussi une occasion concrète de com­ et implique de nouveaux groupes de parportements non autoritaires, un exemple ticipants qui désintègrent les systèmes d’exercice démocratique se reflétant sur par la critique. Cette révolution trouve toute la structure de l’école.

l’architecture italienne sans préparation.

Université de masse, didactique et re­ Comme à l’époque préindustrielle, la cherche sont dònc les passages fonda­ crainte de devoir assumer un rôle resmentaux sur la voie de la clarification. La ponsable^ et engagé se traduit par une faculté d’architecture a commencé à la série de tempêtes dans le verre de la confiparcourir d’abord avec décision, puis guration rigide. La révolte des étudiants avec quelque incertitude. Cette dernière en architecture a éclatét à cause de la est due à l’ambiguïté du dialogue que les constatation de cet état de fait. Si elle a étudiants ont réamorcé, de leur côté, surgi plus tôt qu’ailleurs, c’est qu’ici avec un sens certain des réalités, mais sans l’avenir apparaissait encore plus incertain.

être sûrs de réussir à le libérer de toutes Si elle a rencontré de plus grandes difficulces réserves obscures qui ont été la cause tés, c’est que la mystification était majeure.

d’une incompréhension permanente.

Il est difficile d’en prévoir aujourd’hui les développements, la situation étant ouverte Contradictions de l’architecture italienne et mouvante. Nous pouvons seulement Les étudiants pressent donc au renou­ affirmer que le jugement a commencé et vellement de l’architecture par une parti­ que, peut-être, la pyramide peut encore cipation plus intense aux transformations être renversée.

G. K. Kœnig La position de l’architecte en Italie L’un des principaux motifs qui mettent les étudiants en architecture italiens à la tête de l’agitation estudiantine est le sentiment, pour beaucoup inconscient encore, d’un avenir bien incertain. Pour 6

le moment, on ne voit pas tout à fait clairement quel est - et quel sera l’accord qui lie à la société l’architecte professionnel.

Toutes les professions se basent sur un

accord non écrit mais accepté et réglementé, passé entre le professionnel et la société qui accorde à une classe d’individus l’exclusivité de l’exercice d’une profession, avec des droits et des devoirs

bien précis. Parmi les ' devoirs (du médecin, du pharmacien, de l’avocat, du notaire, de l’ingénieur, etc.) figurent le secret professionnel, l’obligation de ne pas profiter de l’événement, la nécessité de maintenir un niveau décent de conduite sociale et de s’entretenir dans l’information technique; ce sera le devoir enfin d’être toujours, de jour et de nuit, au service de la société, c’est-à-dire de ne pas imposer de limite à sa propre forcetravail.

En échange, le professionnel obtient, comme nous l’avons dit, un privilège exclusif. Qui n’est pas mince puisqu’il implique que ce seront toujours les médecins qui jugeront les médecins, les avocats qui jugeront les avocats, et ainsi de suite pour toutes les classes professionnelles. Ce droit de jugement commence à l’Université où sont appelés à enseigner les professionnels les plus illustres.

Sur ce tissu de rapports sociaux dont Sandro Giannini a fait une analyse profonde dans son essai De Profundis («Casabella» N° 327), se base l’équilibre d’une profession. Si une classe professionnelle déterminée manque à sa tâche, par des prétentions économiques excessives ou par un déclassement de ses capacités techniques, la société réagit en l’amputant de son privilège. L’exercice de la profession devient accessible à d’autres catégories aussi, avec des fonctions économiquement tarifées : en Italie, ce sont typiquement les éternelles querelles entre ingénieurs et géomètres, entre médecins et dentistes non diplômés, entre docteurs en hautes études commerciales et comptables.

Les arts et métiers - du peintre au poète, du cordonnier au couturier - ont échappé à ces réglementations professionnelles.

Bien justement, soit parce que ni la vie, ni la sécurité humaine ne sont en danger (préoccupation principale des législateurs), soit à cause du quid artistique, que chacun évalue à sa manière et qui n’est pas légiférable. Le meilleur couturier sera celui qui fait le meilleur vêtement à bon prix, et ce q’est certes pas la loi qui en décidera.

Les arts diffèrent des professions par l’intrusion d’une catégorie nouvelle: celle des critiques. Le critique, pas nécessairement couturier quand il s’agit de mode, ou poète si l’on s’occupe de poésie, est celui qui, nanti de la confiance d’une grande partie de la société, est délégué pour donner des jugements de mérite, pour indiquer les «bons» et les «mauvais» dans'le domaine où sa compétence est spécialement reconnue et, parfois, sa prévoyance. Dans les professions, cette intrusion du critique est considérée comme une fumisterie: un médecin ne' consentira pas facilement à être jugé, sur le plan professionnel, par un non-médecin.

Aujourd’hui, la profession d’architecte, née en Italie autour des années trente par la réunion de la formation d’ingénieur

civil (bâtiment) à celle de l’Académie des beaux-arts, a fondu avec désinvolture l’activité professionnelle typique de l’ingénieur et celle de l’artiste architecte.

Ce qui,, sur le plan technique, était assez juste et a donné à la personne de l’architecte italien un prestige professionnelimmense. Mais, évidemment, cette qualité double de professionnel et d’artiste, si d’un côté elle lui a fait obtenir le double de droits, lui â imposé de l’autre le double de devoirs. Tant que tout alla bien, l’état d’architecte resta une condition professionnelle privilégiée, mais ensuite, devant la répétition des erreurs architectoniques et urbanistiques, les ,attaques vinrent de deux fronts et l’architecte devint le bouc émissaire de tous les malheurs qui tenaillent nos villes.

L’architecte s’est aperçu fort tard de cette réaction négative de la société à son égard, réaction due en grande partie à la transformation de l’ancien capitalisme patronal en néo-capitalisme, qui agit considérablement sur les rapports entre l’architecte et la société. Le professionnel qui d’abord reçut une charge globale de la société (et par le fait de cette charge apparaissait sur la porte du bureau la fatidique plaque dorée qui tôt ou tard amenait le client) se troùve maintenant à la merci des groupes au pouvoir. Son sort dépend des partis politiques, des spéculateurs immobiliers, des administrajteurs publics, des dirigeants des entreprises du bâtiment. Ceux-ci non seulement limitent en fait la liberté, de l’architecte, mais ils engendrent encore un processus de dégradation sociale qui réduit l’architecte à la condition du 'salarié, c’està-dire du journalier de l’Italie méridionale qui chaque matin se rend au marché et attend un travail quotidien, payé naturellement la moitié de son prix.

Les étudiants en architecture ont très bien compris que la société néo-capitaliste tolère la personne de l’architecte dans la mesure où elle continue d’exploiter sa grande force-travail; mais lentement, elle là dépouille du rang auquel elle avait été élevée pour la réduire à un rôle subordonné. Il subsiste en revanche, et pas fortuitement, quelques anciennes clauses du contrat : le professionnel italien continue de payer sur son travail des taxes qui ont un taux dix fois supérieur à celui des autres catégories de citoyens; et cette insupportable pression, fiscale aussi est une source d’exaspération pour les jeunes architectes.

Les étudiants sont conscients du piège dans lequel ils vont tomber, une fois diplômés; ils se révoltent donc contre la seule partie adverse qui s’offre à eux: l’Université italienne. Beaucoup pensent au .communisme comme unique voie de salut, mais ceux qui savent l’Histoire (bien rares, malheureusement) savent très bien que la société socialiste n’a pas en fait pensé à donner^aux architectes la liberté qu’ils demandent. Lénine n’extermine effectivement pas la bureaucratie

russe: il en étête seulement les pavots les plus hauts, et c’est tout; pourvu que les petits aient juré fidélité au nouveau régime. Mais Lénine et Trotsky agissent sans pitié contre la classe professionnelle (le docteur Jivago en témoigne) en tant que dépositaire de cette liberté individuelle qu’il fallait abattre pour instaurer une vision du monde totalement communiste.

Une société dans laquelle l’architecte est totalement intégré, privé du pouvoir de décisions importantes, telle est la société communiste. Et les" doyens des Universités de Moscou et de Varsovie, de Prague et de Belgrade eux aussi ont du mal à garder calmes les bouillants esprits des jeunes étudiants architectes auxquels il ne plaît en réalité pas de devoir obéir, dans toutes les décisions, à la classe politique et administratrice. Avoir acquis la liberté formelle après les années de la réaction stalinienne semblait un rêve; màis on s’est aperçu en dix ans que ce n’est pas la seule chose qu’il importe d’obtenir : les décisions le? plus importantes sont celles qui se placent sur le plan de l’urbanisme, et là c’est encore le Parti qui est le juge suprême de la volonté populaire...

Architectes et étudiants architectes adressent donc aujourd’hui, tant à la société néo-capitaliste qu’à la société socialiste, une perpétuelle demande de pouvoir. Une telle demande apparaît amplement justifiée par le mauvais emploi que la société fait presque partout 1 du sol urbain. Mais il est absurde de légitimer de telles requêtes en usant d’actes de violence ou - bien pis - en cherchant à obtenir le diplôme avec un minimum de fatigue, sinon sans fatigue aucune; il ne suffit pas de critiquer le mauvais emploi d’un pouvoir pour l’obtenir: il faut aussi démontrer que l’on sait le mériter. Et la classe des architectes, si elle veut obtenir de la société une augmentation (et non une diminution) de pouvoir, se doit de produire quelque projet concret, qui reflète un aspect meilleur et nouveau de la société.

Malheureusement, les échecs et les chutes en Italie, sur le plan de l’urbanisme spécialement, se sont accumulés sans relâche ces vingt dernières années; et les rares tentatives d’en sortir se sont heurtées à d’insurmontables difficultés de réalisation, qui se sont reflétées négativement sur la personne de l’architecte.

Les agitations des étudiants aussi, antérieures encore à la production de tout projet positif, se sont transformées en tentatives d’obtenir d’absurdes facilités dans le cours des études; elles se traduisent de fait par un déclassement ultérieur de la figure de l’architecte dans l’opinion publique.

Si architectes et étudiants architectes ne se décident pas à donner quelque chose avant de réclamer, ils risquent de se trouver derrière la porte, éliminés de n’importe quel type de société. Mais donner sans demander signifie risquer, et 7

le danger le plus grand est que les jeunes qui se proclament révolutionnaires ont inconsciemment assumé les caractères anthropologiques de la civilisation de consommation qu’ils disent combattre.

Eux qui ne remuent pas . un doigt sans faire un compte économique précis de leur lutte abominent le risque et les décisions qui ne sont pas prises à l’unanimité. Aucun d’eux ne bouge s’il ne se sent pas couvert par un groupe au pouvoir, et, dans les assemblées estudian-

tines, le goût pour les «manœuvres de couloir», pour les chicanes juridiques, pour l’obstruction organisée l’emporte de très loin sur l’intérêt pour les propositions de réforme.

En conclusion, nous voyons bien noirs les rapports futurs de l’architecte et de la société: à des demandes toujours plus grandes correspond, de la part de la société, une. volonté toujours amoindrie d’accorder aux architectes un réel pouvoir de décision sur l’avenir de l’homme.

Malheureusement, nous ne voyons pas non plus comment le mouvement estudiantin qui, dans d’autres facultés, contribue de façon positivement décisive au renouvellement de l’Université italienne, pourrait donner une indication plausible sur la nouvelle personnalité de l’architecte. Comme l’a écrit Giancarlo De Carlo, je suis d’avis moi aussi que «la grande révolution qui se profile dans le monde trouve l’architecture italienne, une fois de plus, impréparée».

Wright, l’image publique générale d’un bâtiment désirable était éclectique, de Williamsburgh en Geòrgie à SikdmoreOwings et Merrill Miesian.

A la base de cette indifférence envers l’auto-expression architecturale ou urbanistique, il y a la tradition -antiurbaine de l’Amérique. Le puritanisme associait la vie citadine avec le péché, et l’avidité de la terre - caractéristique de toutes les sociétés de colons - portait à considérer les villes comme de temporaires relais où l’on se fait de l’argent et que l’on abandonne par la suite. Les terrains de construction des villes - et leurs"répartitions étaient et sont des commodités comme toute autre marchandise, à acheter et" à vendre sans la moindre considération émotionnelle ou traditionnelle. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, une oligarchie capitaliste en pleine réussite devint l’élément dirigeant des villes. Elle importa le goût des beaux-arts comme un symbole de sa condition. Dans les cités à croissance rapide apparut une division tranchée. Les édifices publics et les villas privées exprimaient la puissance financière dans une «historiographie» de prestige qui mélangeait les styles comme on mélange des cocktails, et que Frank Lloyd Wright appelait Early Peorian.

Usines, écoles, hôpitaux et files infinies de locatifs des populations ouvrières étaient construits de manière à produire immédiatement du profit, sans frais d’esthétique ni de structure.

L’actuelle crise urbaine dérive de la prisé de conscience subite par les agences du gouvernement et les groupés minoritaires insatisfaits qui se rendent compte que l’Amérique a les villes les plus laides, les plus invivables de la terre, héritage de l’économie boom and bust du XIXe siècle.

Les communications se firent chaotiques et les centres commerciaux devinrent des déserts. Les minorités, Noirs et PortoRicains surtout, découvrirent qu’une fuite des bas-quartiers vers les banlieues était empêchée par les préjugés et les lourds impôts. Les jeunes intellectuels pacifistes attaquèrent les politiciens corrompus et l’inégalité économique. Le bouc émissaire sur lequel administrateurs, habitants des bas-quartiers et

hippies

Sibyl Moholy-Nagy L’Amérique et la crise urbaine Cet article sur l’état de l’architecture aux Etats-Unis à la fin de l’année 1968 traite de problèmes urbains généraux plutôt que de constructeurs ou d’architectes particuliers. Non qu’il n’en existe plus. Ils produisent au contraire des plans dignes d’être mentionnés. Le fait est qu’actuellement leur importance a été noyée comme toute autre réalisation individuelle - par une gigantesque marée de collectivisme balayant l’Amérique. Cette obsession maniaque du groupe d’action anonyme présente de multiples symptômes - de la révolution des étudiants et des protestations contre la guerre, aux sectes religieuses et au culte de la nudité qui réduit l’individu à un numéro dans la masse. Dans le planning comme dans l’aménagement de l’environnement physique, le mot clé général est crise urbaine.

Les villes ont été déclarées moribondes et un état d’urgence est maintenu avec assiduité par d’énormes groupes qui ont tout intérêt à faire durer la «onzième heure». Cette florissante crise des praticiens touche trois groupes principaux: urbahistes spéculateurs ingénieurs civils Leur influence grandissante est le résultat direct du processus historique qui a façonné la ville américaine. Le plan, pas plus que le design, n’ont jamais été part intrinsèque de la culture américaine.

Washington, la capitale, a été «modelée» en 1791 par un colonel de l’armée française selon la tradition romaine, après que Thomas Jefferson, l'Uomo universale d’outre-Atlantique, eut essayé son génie d’urbaniste: le Versailles de Le Vau et le réaménagement de Londres par Wren (fig. 1). Toutes les autres villes importantes ont été planifiées sous un seul aspect, celui de «promouvoir la meilleure façon d’acheter et de vendre les biens immobiliers», comme l’a dit en 1811 Kasimir Goerk, le maître urbaniste de New York. Il n’y eut pas, en architecture, d’évolution naturelle du style, créant le souvenir durable d’une évolution culturelle. Malgré les réalisations isolées et de brève durée de l’école de dhicago, et l’œuvre inappréciée de Frank Lloyd 8

entassèrent les symptôrhes de la crise urbaine était l’architecture. Pour les nouvelles communautés, l’ari de concevoir les bâtiments devint caractéristique d’une structure de puissance oppressive et dépassée, et de ce que William Morris avait appelé quatre- ' vingts ans plus tôt «le sale luxe du riche».

Le mot architecture qui avait transcendé, cinq mille ans auparavant, unanimement respecté, a été remplacé par Urbanisme de Van 2000,

date à laquelle la crise urbaine serait résolue par les urbanistes, spéculateurs et ingénieurs civils. .

Dans les grandes villes (et il convient de remarquer que personne n’accorde la moindre attention à la détresse des minorités et des communautés rurales), deux équipes s’opposent et luttent dans l’arène publique, comme s’il s’agissait d’un cirque à double arène. Dans un coin se tiennent les municipalités s’efforçant de réaménager leurs surfaces résidentielles et commerciales selon les traditions locales et les fonds disponibles. Leurs efforts sont ténus en échec par les agences fédérales de Washington avec à leur tête le HUD, Département du logement et des affaires urbaines, qui à son tour contrôle un vaste réseau d’agehces de distribution de subventions, de prêts sur hypothèques, de surveillance, financé par un budget de 5,3 billions de dollars alloué par le Housing and Development Act de 1968.

Ce qui signifie pratiquement que, du côté positif, le gouvernement a les moyens d’expérimenter de nouveaux tracés et méthodes de construction ou de logements de masses (fig. 2), qui ont la fâcheuse destinée de ne jamais voir le jour. Du côté négatif, le gouvernement peut liquider n’importe quel grand schéma de reconstruction élaboré par les architectes locaux sensibles au caractère historique de leur ville, et le remplacer par un plan standard avec un minimum de frais et un profit maximal pour celui qui aménage les lieux au nom dudit gouvernement. Le cas du projet de la ville basse de Manhattan face à la rivière en est un tragique exemple (fig. 3).

Dans l’autre coin de l’arène de l’urbanisme, nous voyons les Citizen’s Advo-

cacy Planners et les Scientific Systems Planners: dans un affrontement à ihort.

L’idéologie du premier groupe est tirée de Jane Jacobs (La Mort et la Vie des Grandes Villes américaines, 1961) et c’est une version contemporaine, de l’American Savior Complex. Dès 1630 déjà, quand Winthrop, chef d’une petite bande de puritains «déguenillés-», déclarait que les regards et les espoirs moraux du monde entier étaient posés sur leur sainte expérience dans le désert, un mal social (n’importe lequel) s’est opposé à une organisation de messies belligérants.

Le tout dernier contingent se compose de sociologues-urbanistes qui plaident que les gens ont un droit, un devoir et la capacité de décider de leur environnement physique, de secteurs entiers' de la ville, jusqu’à la couleur du maître d’école et des murs des cuisines. Des bureaux d’urbanisme et des assemblées de citoyens totalement incompétents dans la résolution de problèmes hautement spécialisés ont trouvé refugq dans le dialogue sociologiste qui écarte de plus en plus tout réaménagement des quartiers çie la ville. Des professional advocacy planners (juristes en matière d’urbanisme) voient soumettre leurs idées habiles à l’avis péremptoire de sociologues travaillant fiévreusement à des solutions «locales ethniques», comme si les tracés communautaires d’une population mobile d’immigrants ne devaient pas se modifier radicalement en moins d’une génération.

Le dense brouillard d’un saint altruisme engendré par l’«,urbanisme social» a obtenu plein succès en cachant la rude puissance de la lutte dans la politique locale et en empêchant les projets de logements tant municipaux que fédéraux de faire où que cè soit de quelconques progrès.

Les challengers directs des «juristes en urbanisme» sont les planificateurs de systèmes urbains dont le saint patron est Richard Buckminster-Fuller. Depuis que l’inventeur du dôme géodésique en est arrivé, à partir d’un principe structurel bien connu, à élaborer un système philosophique sanctionné par un dieu technologiquement orienté (No More Secondhand God, Ideas and Integrities, 1963, et autres publications), les computer planners (urbanistes ordinateurs) de «systèmes, subsystèmes et de fiches de mégastructures» s’efforcent d’enlever aux avocats sociaux leur auréole de sauveteurs. Tandis que les urbanistes partisans de l’autodétermination dans l’environnement croient au mirage de la ville nouvelle dans laquelle sera exaucé tout désir individuel, les techniciens de computer city croient en la cité mondiale de Buckminster-Fuller, une ville où chacun, quelles que soient sa race, sa nature et sa nationalité, se verra assigné un espace modulaire cellulaire tandis qu’un système de contrôle électronique central sera à son service et veillera à ses besoins (fig. 4).

De nombreuses conférences généralement

tenues dans le Massachusetts (qui est le centre de recherche et d’application électronique), des millions de dollars versés par la Fondation Ford et par le gouvernement fédéral aux «urbanistes ordinateurs» du monde automatisé de l’an 2000 - COMSAT, Honeywell, Lockhead et IBM - plus une avalanche de graphiques et de diagrammes réduisant la crise urbaine à des symboles abstraits, occupent les «forces spéciales» dans toutes les importantes villes américaines (fig. 5).

Bien que la sociologie et l’électronique aient des vues opposées sur le moyen d’assurer la vie collective de l’Amérique, elles ont cependant un dénominateur commun décisif. Toutes deux - professent que la plus petite surface de logement pour le plus grand nombre est tout ce qu’il faut pour un avenir heureux des villes et des citoyens; cette idée a été pour la première fois soutenue par Constantin Doxiadis (L’Architecture en Transition, 1963, et autres publications) dont l’influence sur les urbanis.tes américains est à peu près équivalente à celle de Buckminster-Fuller. Elle n’a éveillé ni l’attention, ni le sarcasme (sauf ceux d’un architecte historien anachronique) sur le fait que les disciples de Jane Jacobs et de Buckminster-Fuller ne peuvent soutenir leurs arguments paroissiaux et technocrates que parce qu’ils ignorent simplement le roc fondamental de tout le système américain: la sainteté de la propriété privée. L’économie compétitive du profit de la libre entreprise interdirait tout réaménagement révolutionnaire qui empiéterait sur la spéculation des terrains et toute architecture révolutionnaire dont le coût excéderait les bénéfices escomptés.

Tandis que les sauveurs, les humanitaires comme les «ordinateurs» noient leurs angoisses dans les verbiages théoriques, le spéculateur, devenu l’archétype de l’adversaire du messie américain, a transformé la crise urbaine en un gigantesque capital.

Le spéculateur entretient le rêve de la plupart des Américains de la classe moyenne - dont les parents étaient des immigrants - que «la jouissance de la propriété» vaut une vie d’esclavage asservie au remboursement hypothécaire.

Afin d’échapper à la congestion urbaine, on voit des milliers d’acres de terre cultivable se couvrir chaque année d’imitations farfelues de cottages médiévaux (fig. 6), de pseudo-villages et de «cités nouvelles». Les habitants y vivent une nouvelle forme d’existence de ghetto, isolés de tout contact avec des groupes de revenus et de culture différents, tous habillés et ravitaillés pareillement par le même supermarché, et divertis par les mêmes programmes télévisés.

Sur le terrain le moins cher, dans la banlieue, s’élèvent des «cités Lefrak», des, «cités coopératives», un assemblage du type le plus économique de maisonstours, qui drainent la population des vieilles rues de la ville ancienne et qui

seront les bas-quartiers de ce miraculeux an 2000 (fig. 8).

Le centre de la grande ville, graduellement privé d’une population payante, est un terrain en or pour les exploiteurs de gratte-ciel. Mettant l’accent sur la diminution des rentrées de la vente au détail et des petites entreprises manufacturières (traditionnellement dirigées par une famille), ils proposent de créer de nouvelles sources de revenus, pour la ville et le gouvernement fédéral, en concentrant sur le plus petit espace possible les gratteciel de bureaux. Par une surenchère compétitive, chaque pied (ou mètre) carré de terrain est converti en or pur, au point que l’hystérie de l’espace a atteint le degré où les «droits aériens» sur les stations de chemins de fer et les routes sont marchandés comme biens «réels» (fig. 9). Le centre de la ville est alors condamné à une économie de cinq jours, entièrement morte pendant le week-end et rendant impossible la survie d’une économie urbaine mixte.

Sous la loi de fer du profit maximal pour un investissement minimal, lès spéculateurs, pour les citer, «n’ont pas le temps de marchander sur des éléments d’aussi peu d’importance que le design esthétique» dans les projets d’habitation. Pour les gratte-ciel de bureaux plus chers, les noms célèbres des fonctionnalistes de la vieille garde sont employés comme design consultants afin d’ajouter du prestige à une construction standardisée en charpentes rigides, murs-rideaux modulaires et espaces en hauteur cloisonnés en.

cubes identiques. Il serait difficile de trouver aujourd’hui une ville de plus de deux millions d’habitants qui n’ait pas son édition cartonnée de constructions Seagram, signée dans une perversion d’auto-plagiat, soit par Mies Van der Rohe en personne, soit par un quelconque de ses imitateurs.

La largeur compétitive s’est si bien établie dans l’esprit américain comme l’équivalent de la grandeur compétitive que les tours du World Trade Center (1335 pieds) de Yamasaki (fig. 10), qui détruira une vaste surface de Lower Manhattan, sont proposées comme une merveille; et Nathaniel Owings, responsable du plus brutal, du plus ravageur gratte-ciel de Chicago, le John Hancock Center avec ses cent étages, a été récemment applaudi par le Time Magazine et déclaré le meilleur avocat de la beauté dans l’architecture américaine (fig. 11 ).

En contraste marqué de l’antagonisme entre urbanistes fédéraux et municipaux, entre avocats sociaux et «systématistes électroniques», le troisième parti de la trinité des praticiens de la crise urbaine est le meilleur ami des spéculateurs. C’est l’ingénieur civil. Lés taxes levées sur les autoroutes et récoltées par le gouvernement doivent être dépensées pour la construction de routes, ou retourner au trésor national. Les syndicats des gratteciel commerciaux réclament avec insis9

tance que la multiplication des voies d’accès automobiles pour la clientèle et le personnel de bureaux, bien que routes et parkings dans les centres à forte densité se soient révélées depuis longtemps inadéquats. D’infinis rubans de béton découpent les villes en surfaces non reliées entre elles, et . toutes les activités commerciales et civiques meurent le long de l’autoroute.

Les crises urbaines ne sont pas une nouveauté dans la longue et tempétueuse histoire des villes. Les nôtres, aujourd’hui, sont mornes en comparaison du bouleversement qui doit avoir accompagné la transformation des cités-Etats de l’âge du bronze en villes d’empire orthogonales, ou des villes médiévales à cathédrale comme foyer unique en villes Renaissance à plusieurs centres. Ce qui distingue l’actuelle crise américaine de toutes les précédentes est l’exclusion totale de l’architecte de toute solution pratique.

Tandis que des surfaces entières sont bouleversées et livrées au plus offrant à

des fins de développement, les architectes consacrent d’incalculables sommes d’argent et de temps à des projets de réaménagements de haute qualité architecturale et qui ne sont jamais construits ou réalisés parce que tellement modifiés qu’il ne reste rien des intentions originales (fig. 14).

Les grands journaux qui publient avec enthousiasme les plans les plus absurdes et les plus criminellement destructeurs comme la proposition de combler les cours d’eau autour de New York afin de gagner du terrain pour la spéculation immobilière - ne font rien pour soutenir les architectes dans leur lutte pour une influence sur le, nouveau paysage urbain.

L’Institut américain des architectes n’en fait d’ailleurs pas davantage. Les seules occasions de projets largement offertes à l’architecture américaine sont les campus des universités qui prolifèrent dans le pays. Persévérant dans l’erreur du XIXe siècle qui veut que les bâtiments de prestige sont de l’architecture, alors que les bâtiments d’habitation et de commerce

n’en sont pas, le plus grand talent de designer est rélégué dans des lieux écartés, loin des villes dont la vie a été façonnée il y a des millénaires dans la matrice créée par le dessinateur urbain (fig. 12 et 13).

La question est celle-ci: combien de temps une grande nation, prospère et cultivée, peut-élle être bernée par l’affirmation que la crise urbaine doit être résolue par les professions qui la perpétuent réellement, notamment l’urbaniste, le spéculateur et l’ingénieur civil? Combien de temps dureront la complaisance, le fiasco et la corruption? Le meilleur espoir d’un changement, d’un réveil et d’un retour à l’architecté' pour façonner l’environnement humain réside dans la génération des étudiants et dans leurs maîtres. Il appartient à leur conscience et à leur capacité d’éduquer l’Amérique pour une acceptation du mot de Le Corbusier: «Seul l’architecte peut trouver l’équilibre entre l’homme et son environnement. »

Les causes en sont diverses; elles commencent dès ïa formation déjà, qui a suscité chez les étudiants du monde entier une vague de mécontentement embrassant presque tous les aspects, à commencer par la qualification aux études et par les connaissances professionnelles, pour en arriver à l’éveil des devoirs vis-à-vis de la société, aussi bien comme citoyen que comme représentant d’une profession déterminée.

Il n’est pas rare de sentir chez l’architecte actuel un certain désintéressement de tout ce qui se rapporte d’une manière ou d’une autre à la politique. En son for intérieur, et aussi dans des journaux de la branche, on critique généralement, il est vrai, certaines décisions politiques, mais très rarement on se trouve prêt à influencer ces décisions par une collaboration active, bien que souvent les intérêts professionnels les plus élémentaires soient touchés au plus profond. Si l’architecte envisage sérieusement de participer à la formation de nouveaux Cadres de vie pour notre société, il doit renoncer à son attitude passive devant la politique, adopter au contraire une attitude active afin de ne pas voir ses pdssibilités d’action toujours engagées sur des rails déjà placés, mais de garder la faculté d’aiguiller, en même temps que le monde change, et de se donner la base de création de conditions d’environnement maximales pour une société qu’il accepte et au façonnement de laquelle il collabore.

Dans la conférence devenue célèbre, «La démocratie, propriétaire qui fait-bâtir», qu’il a prononcée à l’Académie des beaux-arts à l’occasion des Semaines de

la construction berlinoises 1960, A. Arndt a dit: «L’enseignement de 1^ construction n’était pas, à l’origine, une discipline indépendante, mais la science de la construction s’est incorporée à la science politique universellement comprise dans le sens d’une science touchant à la politique. » Pour les raisons déjà exposées, les possibilités qui en résultent pour l’architecte d’être, à l’intérieur d’une société démocratique, en même temps promoteur et constructeur (en ce qui concerne la construction publique du moins) ne sont pas exploitées. Du côté des architectes, on reste quelque peu désemparé face à cette situation et l’on n’a pas trouvé encore de comportement qui s’adapte à la «démocratie cliente». C’est que notre société - et nous parlons ici de la République fédérale allemande en général n’est pas encore toute consciente de la démocratie.

La passivité est une maladie dont souffre généralement notre société. Les hommes se laissent ligoter devant la télévision et dominer par les manifestations sportives.

Ce sera la tâche de notre société de ramener les hommes à une vie communautaire vivante. L’architecte pourrait jouer un rôle d’auxiliaire déterminant.

Actuellement, il ne le joue pas.

Le centre de gravité du travail de l’architecte actuel repose essentiellement sur la satisfaction de besoins de luxe et sur le besoin d’une démonstration extérieure de vanité; il est souvent aussi conditionné par une mentalité commerciale, parfois: tant du côté du réalisateur que de celui du client. Les architectes doivent abso-

L. Götz et T. Ambos La situation de l’architecte dans la société actuelle La question de la situation de l’architecte dans la société actuelle est la question des coordonnées et facteurs déterminant cette situation. Il serait démesuré d’essayer de vouloir montrer et analyser toutes ces coordonnées de détermination à l’intérieur du cadre ici tracé. Ce devrait être la tâche d’une équipe composée de spécialistes des tendances les plus diverses. Il est impossible de l’accomplir unilatéralement. Si l’on se met à penser aux branches professionnelles auxquelles devraient appartenir de tels professionnels, on constate très vite que le métier d’architecte a une multiplicité de liens. On peut dire qu’il se rattache à presque tous les domaines de la vie humaine. L’architecture participe à la majorité des activités de l’homme. On ne peut ’donc que se borner à essayer d’aborder quelques points d’orientation importants à notre avis et qui, dans notre enquête sur la place et le rang que réserve à l’architecte la société actuelle, seraient peut-être comme des poteaux indicateurs. Son rang doit être en outre déterminé par le degré de service qu’il peut rendre à la société, c’est-à-dire dans quelle mesure il y a possibilité de remplir les tâches imposées par la société.

Pour l’architecte, la tâche implique en outre l’imposition même de devoirs, ce qui signifie qu’il doit participer normalement à la formulation.

Comment donc l’architecte actuel remplit-il les devoirs à lui imposés? Nous dirions volontiers qu’il ne les remplit qu’incomplètement et qu’il ne peut d’ailleurs pas le faire autrement, puisqu’il ne les connaît et reconnaît que partiellement.

10

lument réfléchir et se mettre au clair sur ce que peut et doit être leur mission dans une société. Ils disposent d’une collection à proprement parler fantastique de moyens tels que jamais encore ils n’en connurent. Je pense ainsi aux possibilités que nous offrent la science et la technique actuelles. Pour la profession de l’architecte, il sera d’une importance capitale et décisive qu’il soit ou non en état de faire une analyse exacte des problèmes, avec pour condition préalable la connaissance de l’homme et de la société. Il importera également que, dans sa formation, débarrassé du poids d’une étude

des faits de la recherche historique et actuelle plus ou moins volontairement élaborée - et qu’individu isolé il ne saurait dominer - il parvienne à une vue méthodique qui lui permette d’atteindre des solutions efficaces. La situation de l’architecte dans la société dépendra de sa manière de réussir à intégrer, dans une image de la profession à redéterminer, des problèmes complexes et partiellement nouveaux, propres à notre époque. Cela avec l’aide d’une terminologie précise dont l’absence n’a pas peu contribué au bouleversement dans la situation

exprimé ainsi dans son livre «Apollon dans la Démocratie»: «Il s'agit de l’adaptation aux réalités du XXe siècle d’un état professionnel romanesquement orienté, jalousement individualisé.» Si cette adaptation se fait heureusement, l’architecte occupera assurément dans notre société un rang très élevé. Si elle devait ne pas réussir et les architectes persister à s’épuiser dans des problèmes formels - qui .souvent deviennent des problèmes de foi - peut-être un jour construira-t-on sans architectes.

Les données ci-dessous concernent les écoles de Madrid et de Barcelone, puisqu’elles ont une vie plus active et une plus grande expérience.

Qui paie les études ?

Carlos De Miguel La position de l’architecte en Espagne 1. Généralités

r

La seconde moitié du XXe siècle représente indiscutablement la fin d’une epoque et le début d’une autre. Les motifs en sont les suivants : ■ - les deux guerres mondiales ont mis en évidence certaines lacunes dans ce qu’il est permis d’appeler l’équilibre des nations; - la révolution sociale et son corollaire, l’apparition sur la scène mondiale de la grande masse des travailleurs en tant que classe de première importance; - la révolution technologique, avec ses progrès incroyables dans tous les domaines scientifiques.

2. Situation de Tarchitecte

Dans ces conditions, il est clair que la position de l’architecte a changé radicalement, aussi bien en Espagne qu’ailleurs.

L’architecte a dû abandonner son point de vue individualiste pour travailler-en équipe, seule manière de trouver une solution aux problèmes toujours plus complexes d’ordre fonctionnel, technique, économique, esthétique.

3. L’enseignement

de

l’architecture

en Espagne

Il est non moins évident qu’il faut reconsidérer à fond les bases de l’enseignement de l’architecture. Dans cet ordre d’idées, les écoles d’architecture espagnoles font depuis quelques années des tentatives de rénovation. Les textes qui suivent veulent exposer du lecteur les principales méthodes d’enseignement appliquées dans notre pays.

Il y a en Espagne deux écoles d’architecture qui fonctionnent pleinement: celle de Madrid, créée en 1843, et celle de Barcelone, qui date de 1875. Les écoles de Séville et de Valence ont été ouvertes il y a peu d’années. Il existe en outre des projets relatifs à d’autres villes. Tous ces établissements dépendent du Ministère de l’éducation èt de la science.

L’Ecole de Pampelune, exploitée par l’Opus Dei, a un caractère particulier, mais son diplôme est reconnu par l’Etat.

3-1. Corps enseignant

11 est formé de professeurs, professeurs adjoints ou remplaçants, chargés de cours, aides et assistants. Les premiers sont nommés à vie après concours; tous les autres sont choisis chaque année directement par l’édole.

L’effectif de l’Ecole de Madrid était en 1968 de 24 professeurs, 12 adjoints, 284 chargés de cours et assistants.

t

3-2. Elèves

Nous donnons ci-après les chiffres de Madrid, ceux de Barcelone représentant à peu près leur moitié: Première année (sélection) 1800 Deuxième année (sélection) 440 Troisième 80 Quatrième 95 Cinquième 100 Total 2510 Ces jeunes gens proviennent des régions . suivantes : a) Madrid 49 % Hors Madrid 51 % h) Barcelone 54 % Hors Barcelone 46 % Il ressort de cette statistique que les citadins prédominent, ce qui laisse supposer que certains talents ne peuvent s’épanouir pour des motifs d'ordre matériel.

Classes sociales Madrid

Barcelone

Fils d’architectes ou d’autres universitaires 18% 20% , Fils de commerçants ou industriels 45% 59% Fils de fonctionnaires ou employés 32% 21% Fils d’ouvriers 2% 3% Cette distribution est évidemment regrettable et montre bien les lacunes de notre société.

Famille Travail de l’étudiant Aide de l’JEtat

Madrid

Barcelone

90%

83%

16% 9%

25% 7%

Etudiants travaillant durant leurs études Madrid

Auprès d’architectes 30 % Auprès de dessinateurs 10 % En donnant des leçons 18 %

Barcelone

49% 36% 23%

Fréquentation des classes

En moyenne 50 %. Durant les premières années, le pourcentage est de 65 % et il diminue ensuite, parce que les élèves commencent justement à travailler.

Langues étrangères connues des étudiants

Français Anglais Allemand Intérêt

manifesté

Madrid

Barcelone

65% 28% 4%

83% 30% 5 %.

envers

l'architecture

actuelle

Espagne Scandinavie Japon USA Italie France Angleterre URSS A. Aalto Le Corbusier Mies Van der Rohe Gropius Kahn Tange

Madrid

Barcelone

290 244 206 171 158 125 104 57 259 250 243 152 124 113

301 173 223 177 268 128 116 43 214 272 176 119 140 142

Nous avons classé les pays et les architectes en nous basant sur la colonne «Madrid», mais le lecteur remarquera lui-même les différences avec Barcelone.

Cette enquête fut faite par l’architecte Frederico Correa en 1964-1965. Il faudrait la répéter chaque année pour qu’elle soit absolument valable. Toutefois, nous pouvons relever certaines tendances :

- Le Corbusier exerce un attrait considérable.

- L’architecture italienne intéresse beaucoup les étudiants de Barcelone et la Scandinavie ceux de Madrid.

- Les Madrilènes s’intéressent beaucoup à Mies Van der Rohe, qui construisit pourtant à Barcelone quelques-unes de ses œuvres les plus importantes.

- L’absence quasi totale d’intérêt envers l’architecture russe.

3-3. Horaire

Les cours vont du 1er octobre à fin juin, examens compris. Les étudiants qui échouent à ceux-ci peuvent se représenter en septembre. Il y a deux périodes de vacances, soit trois semaines à Noël et deux à Pâques.

3-4. Projets de réformes

Les réformes déjà effectuées ont touché l’organisation des études, par exemple en ce qui concerne le nombre d’années.

Jusqu’en 1957, il y avait un stage préparatoire à accomplir en dehors de l’école

et six ans d’études dans cette dernière.

En 1957, on tenta la suppression du stage en remplaçant le tout par sept ans d’études dans l’Ecole d’architecture, dont deux ans de «sélection» et cinq suivants.

Il y eut alors la grande avalanche d’étudiants en architecture: à Madrid, ils passèrent de 150 en 1947 à 500 en 1957, puis à 2000 environ en 1968. Par conséquent, réduction, en 1960, des années d’école, qui devinrent cinq, dont deux de «sélection» et trois de «projets».

3-5. Problèmes

Ils sont posés par l’accroissement extraordinaire du nombre d’élèves, qui n’a pas pu être accompagné d’une augmentation parallèle de l’effectif des professeurs. Les systèmes pédagogiques, valables pour un petit nombre d’étudiants, ne le sont plus pour une telle masse.

3-6. Solutions

Il faut évidemment résoudre certains problèmes dans l’immédiat, mais tout en effectuant des études pour le futur. C’est

dans cet ordre d’idées qu’un nouveau plan est actuellement en travail.

3-7. Exercice de la profession

L’élève qui achève heureusement ses études obtient le titre d’architecte, qui lui permet d’adhérer aux collèges officiels d’architectes et d’exercei#son métier.

Vu que le travail de l’architecte est devenu radicalement différent de ce qu’il était, la préparation scolaire revêt une importance capitale. Si nous ne réussissons pas à la transformer, les générations futures de constructeurs ne seront pas prêtes à remplir leur fonction. Il faut donc admettre, dans l’intérêt de tous, qu’une révision totale des méthodes d’enseignement est inéluctable. Elle ne pourra avoir lieu que par un esprit ouvert et loyal de collaboration entre tous les intéressés.

L’époque des luttes stériles et inefficaces est révolue. Si nous voulons survivre, nous devons les remplacer par le travail en commun.

Santosh Ghosh Formation architecturale en Inde Histoire de la formation architecturale

L’Inde a un riche héritage architectural.

Des centaines de monuments, palais, temples et mosquées disent la contribution de l’architecture àu passé. Les architectes ou les maîtres constructeurs étaient autrefois hautement considérés et l’enseignement était alors donné dans leurs ateliers, selon l’ancien système de formation indien, dans 1 'ashram d’un Guru.

Il était pratiqué dans l’Europe du Moyen Age et de la Renaissance et a même subsisté jusqu’à l’époque moderne, comme le prouvent les aliers de.JFrank et Lloyd Wright ou de Le Corbusier, les grands maîtres.

Mais la régularité tie la formation et de l’exercice en architecture est, en Inde, une histoire récente. En 1896, le gouvernement de Bombay fonda un «cours de dessin industriel» de deux ans à la Sir J. J. School of Arts. En 1913, il était organisé en école régulière d’architecture. Le Kalabhawan Baroda donnait, pourtant, des cours d’architecture depuis peu auparavant.

De nombreuses écoles privées surgirent à Bombay au cours des années vingt et trente, et des possibilités de formation se développèrent à Hyderabad, à Lucknow et plus tard à Delhi. En 1920, l’Ecole d’architecture de Bombay était reconnue par l’Institut royal des architectes britanniques. Le All-India Council of Technical Education (Conseil All-India de formation technique) fut créé en 1945 mais ne fonctionna pas avant l’indépendance du pays, en 1947. Sept commissions d’études techniques spécialisées ont été instaurées. La commission d’architecture et de planisme régional a introduit à 12

Delhi un diplôme national d’architecture. Il permet aux étudiants et aux dessinateurs à temps partiel de poursuivre leur instruction et de suivre aux diverses universités tous les degrés des cours menant au titre de licencié en architecture.

Aujourd’hui, on peut obtenir ce grade de licencié à Bombay, Baroda, Delhi, Roorkee, Calcutta (Howrah), Kharagpur, Madras, Jadavpur (Calcutta), Nagpur et Chandigarh, et suivre des cours de diplôme dans une douzaine d’écoles. Il n’existe pas de cours d’après licence.

Certaines'écoles ont pourtant un degré d’après licence ou de diplôme en planisme urbain et régional.

La situation de la formation et de P instruction

Une analyse montre qu’il existe trois types d’écoles: 1. Ecoles attachées aux institutions des arts et métiers, comme Kharagpur, Calcutta, Roorkee, etc., où l’étude dé la technique est plus poussée que l’aspect du dessin.

2. Ecoles indépendantes, comme à Delhi, Ahmedabad, Chandigarh, etc., développant leur propre style.

3. Le reste des écoles.

Dans sa plus grande partie, le programme a été repris des universités du RoyaumeUni et des USA et les cours sont généralement rigides. Il y a un manque de coordination entre la théorie et la pratique.

Climat, méthode de logement permettant

une économie sont moins enseignés. Le programme et le système stricts des examens écrits et oraux sont tels que l’étudiant a moins de chance de témoigner de son esprit créateur. Mais il peut être un bon technicien sans que l’esprit d’équipe soit développé, ni non plus les aptitudes pôurMes professions sœurs.

Des écoles récentes ont d’ailleurs introduit avec bonheur une orientation nouvelle. Elles ont aussi intégré un enseignement pratique dans des bureaux d’architectes. Tout dépend de la disponibilité de tels placements, et il se trouve souvent que, dans de tels apprentissages, les étudiants se voient confier toutes sortes t de travaux fastidieux n’ayant rien à voir avec l’initiation professionnelle actuelle.

Après avoir fait ses grades, un diplômé n’a pas de facilité d’entraînement spécifique ou de recherche.

Sous l’autorité britannique, l’instruction et la formation architecturales étaient orientées vers le système britannique.

Des architectes européens comme Clude Batley, George Wittet, Herbert Baker, Edward Lutens marquèrent les architectes indiens.

D’autre part, un grand nombre d’architectes développèrent un style à motifs indigènes. Cette tendance continua même après l’indépendance. L’influence de Le Corbusier et de Pierre Jeanneret sur les architectes de Chandigarh était immense.

De nombreux jeunes architectes indiens s’en sont allés ailleurs poursuivre leur instruction et leur formation. Certains sont revenus ; d’autres pas, et c’est là une lente «fuite des intelligences» (brain drain).

Architectes en Inde

Malgré des reculs, les architectes indiens ont manifesté leur talent au cours de ces dernières années et, au vocabulaire de l’architecture moderne, figurent l’originalité et la saveur indiennes. Sur une population de 500 millions, on compte en Inde environ 3000 architectes qualifiés.

Le chiffre est en réalité un peu plus élevé, certains n’étant pas enregistrés, et l’on obtient ainsi le chiffre d’un architecte pour 150000 personnes. 11 y a un grand abus du titre d’architecte. Quelque 2000 ingénieurs, possesseurs de diplômes, etc., pratiquent en tant qu’architectes. L’Institut indien des architectes a introduit auprès du Parlement une demande pour l’enregistrement et la protection du titre.

En Inde, le gouvernement est un grand employeur, mais le standard du travail architectural est bas et le rôle joué par l’architecte est inefficace. Il continue d’occuper un rang subordonné dans le contrôle administratif et technique des projets. Les petits bureaux privés donnent de meilleurs exemples. Dans les

grands bureaux s’offrent moins d’occasions pour un jeune architecte, mais il y peut apprendre une foule de choses et, comme un architecte l’a souligné: «Il arrive qu’un junior soit l’humble subordonné d’un supérieur idiot!» La profession

(

L’institut professionnel le plus haut esf l’Institut indien des architectes qui fut fondé en 1917 et qui est allié à l’Institut royal des architectes britanniques. Une association des architectes du Commonwealth a été récemment formée et une activité plus grande, en plus des conférences, est fournie par l’établissement de la Commonwealth Board of Architectural Education (Commission de formation architecturale du Commonwealth) qui se concentre sur la nécessité d’une exigence plus résolue de, l’entraînement pratique et de l’expérience professionnelle, de même que d’une association plus étroite de l’Institut indien des architectes, avec des plans nationaux et régionaux (d’Etats) pour le contrôle et l’avancement de la

formation architecturale. Il existe une association d’étudiants: l’Association nationale des étudiants en architecture.

Les architectes ont néanmoins un minimum d’activités organisées; les expositions, les publications spécialisées sont peu nombreuses. Il n’y a pas d’art de vente quand c’est pourtant lui la conscience publique. En Inde, les concours sont'rares. Les honoraires des services professionnels restent fixés sur le marché, et le gouvernement aurait tendance à soumissionner pour les architectes.

L’avenir

Les architectes en Inde doivent maintenant jouer dans la société un rôle de premier plan, comme les médecins et les avocats. Peu à peu, les architectes se sont tournés vers les professions de décorateurs d’intérieur et de planificateurs urbains, mais il arrive encore de voir un architecte travaillant comme métreur ou dessinateur technique.

En conclusion : la profession d’architecte en Inde se trouve dans un état transitoire.

V

Peter Smithson I,’utopie fragmentaire Introduction

Au sens pratique, un architecte ne commence d’être efficace dans la société qu’au moment où cette image de son idéal qui lui est instillée par la pleine conscience de la société se met à prendre une forme concrète, généralement acceptée.

Un architecte peut avoir construit en anticipation de cette image et aidé ainsi à la formuler, mais, jusqu’au moment de l’acceptation qui arrive subitement, il construit pour lui-même et pour une minorité. Son œuvre n’est pas accessible au plus grand nombre.

A mon avis, en Angleterre, nous avons passé de la phase des seuls essais initiaux à celle de la «vision acceptée».

La phase de la participation totale.

L’utopie fragmentaire ■

Par les expériences de la vie, avec notre effort de construction d’après guerre en Angleterre, il y a, je crois, une «vision acceptée». La dernière «vision acceptée» en Angleterre était celle de la cité-jardin.

Les expériences servant de formule à cette «vision acceptée» peuvent se diviser en: Constatation 1 : Remplir de constructions neuves une ville ou une cité existante, ou même reconstruire totalement sur une base de «remplissage» (c’est-à-dire maison séparée par maison séparée) ne produit qu’un pêle-mêle dénué de caractère, même si le standard de chaque immeuble est élevé.

Constatation 2: Si les espaces d’une ville existante ont été redéveloppés avec l’intention délibérée

de créer un type (espace libré, mouvement, parking, etc.), même si cet espace est aussi réduit que 400x400 yards, on obtient un gain dans les sens de la qualité extraordinaire, l’acquisition d’un style de vie; et prévoir le maintien d’un tangage formel raisonnablement consistant est bien quelque chose, même si le standard du bâtiment (détail, construction, finition) est bas.

Et nous devons bien admettre qu’il est généralement bas en Angleterre. L’observation peut s’en faire à Londres dans le développement des récents logements GLC où le langage formel est maintenu, après comparaison avec l’espace de la Stag Brewery (Brasserie Stag) où il ne l’est pas.

Constatation 3 : Les immeubles remarquables de ces vingt dernières années possèdent ce qui ne peut être défini que par un terme: haute intensité. En eux l’engagement émotionnel (de ce que l’on a mis en jeu pour obtenir un résultat étroitement accordé avec quelque irrésistible impulsion intérieure) se communique de lui-même. Cette intensité ne semble pas être le produit d’un jeu des circonstances. Parfois, la volonté d’atteindre cette concordance vient d’un constructeur ou d’une-personne responsable du développement (par exemple Wates Build), où le sens de la vervê et l’engagement - d’énergie - peuvent absorber les défauts de dessin et de construction (comme dans la constatation 1); parfois, elle vient du client, et parfois de l’architecte. Le client peut être une autorité publique (c’est-à-dire lé British Rail,

l’Eastern Region, etc.) ou une compagnie privée (comme The Economist). Chacun doit être engagé dans ta société en tant que telle et être préparé à agir dans cette société.

^Constatation 4: Les bâtiments individuels, même ceux à haute intensité, peuvent facilement être compromis et presque réduits à des jouets - faisant partie du pêle-mêle usuel si leur espace spécifique et leurs moyens connectifs sônt dépassés ou écrasés par de nouvelles constructions trop hautes ou trop proches. Pour qu’un bâtiment ait un sens (c’est-à-dire sa vraie utilité pour la société), pour qu’il soit capable de survivre, l’établissement d’un contexte entier est nécessaire. Son établissement puis son inviolabilité maintenue autant que possible, à la fois par contrat légal et par l’arrangement même des lieux rendant difficile un changement incompatible. La modification d’ün détail n’est pas importante, mais celle qui rend confus le système de base, partant, la signification de l’idée de la construction, qui doit être préservée. Pour en donner l’exemple le plus connu: quand l’Unité de Le Corbusier à Marseille était neuve, il était possible de voir l’idée d’une cité-jardin verticale. Consécutivement au dévelôppement environnant, elle est redevenue un bâtiment. Pour l’établissement de l’idée, une opération minimale nécessaire: les quatre Unités à l’est du centre de la ville, dans le plan de Saint-Dié (1945), avec maintien des espaces libres et du système connectif par lé moyen d’une énergique protection légale.

13

Constatation 5 : Dans une ville ou dans une cité, ce dont chacun^ a conscience est vraiment petit en surface. Nous «connaissons» probablement beaucoup de petites surfaces et nous les traversons en voiture et dans les véhicules des transports publics, où notre perception des lieux où nous passons est toute différente. (Voir Alison Smithson, «Un Portrait de l’Esprit féminin en tant que Jeune Fille».) Ces petites surfaces que nous «connaissons» sont celles où nous sommes prêts à aller à pied. Si nous sommes prêts à marcher, disons un quart de mille dans un rayon d’un quart de mille, alors les «surfaces connaissables» sont elles-

mêmes probablement de 300 à 4Q0 yards en largeur (constatation qui correspond à la constatation 2).

Constatation 6: Ces surfaces connaissables sont les plus proches de nous, celles qui nous touchent le plus profondément. C’est pourquoi il faut leur vouer le plus grand soin, avec le maximum d’amour et d’argent. Ce sont les surfaces oui entourent les maisons et les places de travail. Notre expérience des lignes de transit et des facilités est par contraste courte dans le temps et nous nous sentons sans liens avec elles.

Pour le présent, c’est aux facilités de transit que nous avons consacré notre argent

(par exemple le noùveau Scheepol et l’Aéroport de Londres) et déjà nous constatons qu’elles sont périmées. Ce sont elles qui devraient être sacrifiées, faites à bon marché, casuelles et non permanentes. Il faut que nous inversions nos priorités.

Telles sont les constatations que propose la situation actuelle en Angleterre et qui modèlent la- conscience générale : vers l’engagement avant tout; vers la création ou l’organisation de surfaces de vie et de travail à la facture soignée et belle, spacieuses et inviolables ; vers des surfaces de service moins coûteuses, plus facilement changées.

Alison Smithson Illustrations verbales de la perception du transit' * P. 98-99

l’œil, même avec de belles pensées. Elle

Elle y pensa dans le bus le matin, en allant

se demandait que faire, ce qui la rendait

il la faut sérieuse. C’est \une farce que

à la bibliothèque, mais fut distraite par

soucieuse. Et c’était action d’une sorte, la

d’être ministre de ceci pendant six mois et

quelque chose, ce qui souvent lui arrivait

sorte d’action entreprise par chacun qui se

ministre de cela pendant six autres mois -

ici. Au cœur de la partie la plus noire de suie de la ville - où il reste aujourd'hui

tracasse.

à peine le temps de lire les documents et

encore quelques maisons de pierre - un

P. 234-235

Valet Service Orange - le

captait toujours son regard.

Parfois, le phare comme un doigt tâtait

Heath Robinson, avec changement chaque

contraste absolu avec une

l’air, la haie avant de trouver apparemment

jour de la semaine. Sans essayer de nous

la route dans la pluie de inétal noire et

rendre intelligible le comportement de la

activité réelle. S'il doit y avoir discussion,

de rencontrer les hommes - et c’est traiter de White Hall comme d'un chemin de fer

telle crasse - surplombant à angle droit sa route, il faisait saillie au départ d’une

blanche. . Eclaboussant

rue latérale, hors de sa portée parce que le

VW, elle allait soudain sur fa chaussée,

un dimanche, klaxonne au lieu de ralentir

bus ne s'arrêtait pas là. Elle aimait le grondement prolongé du bus diesel à six

et combien confortable et sûr était le senpour

timent de la terre basse; c’est une si jolie

quelqu’un qui forgeât des pièces destinées

d'eàu

dans

une '

voiture qui, bousculant tout dans une rue les

enfants.

Il faudrait pourtant

roues. Un son bien réconfortant de son

voiture pour une femme, à être assise deà composer les'règles du jeu.

«époque», en communication avec elle et -

dans.

sont incapables.

Ces gens

en

comment l’exprimer? - agréable et puisSur les haies,, les reflets humides d’un

»Pensent-ils à l’homme du bus rentrant

sant aussi: Une autre tache de couleur sur

caniveau débordant. Les phares sur les

ensuite à pied? Dans une ville, faire tout le

sa route trônait dans un bric-à-brac, parmi

talus d’herbe fauchée ou abordant la pente

chemin jusqu’où une alouette a sa vie: au

toutes let: échoppes fermées et tous les mades chemins vicinaux resserrés, bruissant

lieu d’apporter au dépôt une chouette avec

gasins abandonnés. C’était une laide cosecrètement - parce qu’il n’est pas possible

le ciel, le vert, les arbres. Appartenance.

lonne tronquée, jaune, en porcelaine. On

de voir quand l’attention a été attirée par

Réunion. Seulement pour magazines amériaurait presque désiré sa possession à cause de son impénétrabilité ; voilà tout. La polun petit bruit

nuit d’orage, dans cette adorable boîte bien

qu'il pourrait y avoir de mieux

lution ne: pouvait la toucher, ni elle non

close.

le matin, lumières en veilleuse, mainteplus, qui passait avec un grondement de

Une fois à la maison, la jeune fille pensait :

nance de l’homme.

tigre en plein feulement. Elle respectait

« Un coup à la porte peut troubler le calmé;

araignée au milieu d’une toile, on peut

leur pare nté.

Il y a un' ordre que la pluie apporte aux

ou un homme du Service des eaux.» C’était

rayonner, sortir n'importe où: des endroits

l’homme du Parti libéral.

où jamais l’on ne fut, dont on n’amême pas

rues. Elle' les vide. Elle jette une pellicule

«Je le dirai à mon mari... Je donnerai le

l’image. Retour eîl arrière vers les vieilles

transpare nte sur tout le chaos. Elle est une

tout à mon mari... Merci pour votre convoroutes carrossables, un retour aussi fort que

promesse:, ancienne, que la pureté et la

cation. »

le premier homme: une route romaine, une

campagne seront un jour de nouveau parmi nous.

C'était là son voyage en bus, un tiers enviElle se sentait si mécontente.

ron de sa vie en temps ressenti; le tiers en

-

sereinement au long de la

lignée

d’arches.

J'en

comme une

voudrais

autant

maintenant, sous une forme renouvelée. Un

hippomobiles. Tirés seulement par de belles phrases sur des idées, si bien qu’ils agissent

appartement sur un pont - parce que maintenant nous pouvons le construire et il

quelque scarte le plus en contact avec ce qui

en fonction de ce que quelqu'un dit de la

ne s’écroulerait pas - d’accord? - sur des

devait être pour elle la réalité, le trafic

route il y a vingt ans, sans savoir aucune

canaux, sur des rivières qui pourraient être

soulevant à grand bruit l’ordure entre les

inspiration tandis qu’ils conduisent.

Tycurés, sans aucune raison valable de ne

maisons.

piques

délicieuse

l’être pas. Ne serait-il pas préférable de

seulement

sont positivement

Et là,

- départ tôt

des

Tantôt il faisait bon regarder,

«Les politiciens

cains. Communications centre-village - ce

dans

leur

tantôt pas. Des faits fixes, stériles. Là,

ignorance du possible. Ce sont

des gens

vivre là plutôt que de chasser mon alouette

derrière Ici vitre, elle était intouchable ; elle

vraiment positifs, il faut s’en persuader;

de sa maison et de son ciel? Je vois le

pouvait penser.

des hommes sans antennes. Les politiciens

coucher du sôleil. Il colore les pignons des

Des

lui étaient suggérés, parfois

sont hors dû temps. Trop tard maintenant

terrasses descendant les pentes des collines,

aucune - mais ri’importe - un réconfort

pour l’amateurisme ; le dilettante à peine

quand les choses avaient menti sur un

entré dans son sujet, adorateur de l’aimable

revêtant de beauté la vieille pierre condamnée. Laissons tomber. Même au cœur de

idées

monde construit apparemment inchangé;

amateurisme qui subodore ce que nous

mon enfance, il semble qu’il vaille mieux

à cause de sa grandeur, inchangeable à

imaginons; c’est une école publique sans

aujourd’hui vivre dans une boîte que dans

14

tout ce que je vois construire autour de moi.

puis compréhensiblement oublier beaucoup

ro to ro te to te to, un ton plus bas, ro to ro

» II me faut une rupture, en quelque made ce qui m'a été infligé. Je suis fâchée pour

to, et ainsi de suite pour la Bourgogne.

nière. »

nous tous. Ce n'est pas que moi, dans la

Guillaume le Conquérant

P. 243

voiture, je ne puisse comprendre quoi que

Bill le Conq...

«Et le garçon prit sa couture, et ils rirent.

ce soit au paysan. Je sais l'effort physique

Est-ce notre Willie du

Je le fis aussi et je ne dis rien, et ma honte

que dès l'enfance il met dans sa vie. »

De toute manière, ilfinit assis sur un baquet

fut balayée, et la voiture bougeait ainsi que

P. 273-274

retourné au bas de cette page, le menton

tout ce que je pouvais faire était de regarLumières bleues du cadran du tableau de

dans les mains et le regard anéanti.

der alentour et de renvoyer mon humeur

bord mobile d’en haut à gauche et en haut

Trafic de Paris nous encourageant un peu

méchante.

à droite. La pleine réflexion du tableau tout

maintenant.

Glasgow Herald?

»Souvent nous est donnée une chance de

le long de la voiture quand on quitte les

Berlin

réparation - nous reconnaissons et nous

lumières du circuit.

Athènes

demandons cornment la saisir - tandis que

Le ruban déroulé de la noire surface huiJe suis ici au supplicie, et maintenant aux

nous y pensons, elle est loin.»

leuse marquant les milles l'un après l’autre.

anges idiotement de me trouver nageant

«Il marchait au bord de la route et, la

Tic-tac: les yeux de chat de MEnglish

dans le bonheur comme à Zandvoort, à

connaissant, nous regardait en bas, dans le virage en épingle à cheveux. Et moi, saisisCentre.

Le tableau de bord - tableau de bord - tagens de ma race.

sant la disposition topographique, je risbleau de bord.

Alors retour, retour. A la réalité.

quai un regard en haut. Il n’eut pas un sou«Longue, longue route - un détour— dans

Rrr - ville française petit ville. Du marché

rire. Comme il était à gauche, je me tordis

le pays ? J’aime. »

au marché et de nouveau à la maison, danmoi-même à l'intérieur. C’est simplement

Barre blanche - barre jaune - ligne.

sons la gigue. Ce rêve - ce mouvement -

que l’on ne peut pas stopper aussi vite

Adieu poupée, faut se quitter. Pourtant, ça

difficiles à garder ensemble, mon esprit

qu'on le croit, quand la voiture est en moubrise mon cœur d’aller. «Non, je dois déoscille, tantôt tarte, tantôt voiture sur une

vement. De mon expérience de la cruauté

barrasser mon esprit de l’agonie de laisser

route anglaise.

des mains d’autres gens, après mes efforts -

les enfants. »

j'imagine - j’assure que j’ai ri de surprise

Longue route blanche, un lacet.

beiges. Avec la poussière, elles ne sont pas

>.

respirer dans le paysage l’air frais et les

On ne devrait pas autoriser les voitures,

seulement, quoique je doive avoir juré que

Cela d'une voix plus profonde puis, à droijamais je ne comprendrais instantanément

te, au tournant.

sûres.

Et l’on ne sait pas si l'on est 400 yards/deret réellement les sentiments des autres.

«Oui, vraiment.»

rière une Ford ou prêt au boum avec une

Maintenant à travers toi, pauvre âme, je

C’est aussi la route de la Bourgogne. Ro to

Renault d’avant guerre.

avec les exemples d’une architecture dont les fonctions étaient de caractère spirituel, et qui ont traversé lés siècles comme les grands témoins de l’art du passé.

Ce type d’architecture n’existe presque plus actuellement. La faute en est à la société moderne. A partir de la conviction • que l’art n’est pas exclusivement esthétique, mais que précisément il s’en détache en faveur de la fonction spirituelle, l’œuvre architectonique qui aspire à être œuvre d’art - et je crois que la vraie architecture l’est - devra s’acquitter de cette fonction.

L’architecte contemporain qui respire l’air d’une société hétérogène et confuse ne sait généralement pas comment affronter ce problème. Il ne se voit pas soutenu pap la foi, ni par des idées qui restent fortes et qui unissent les hommçs.

Cet architecte prête ses services à la société par l’intermédiaire d’organismes publics ou privés et, dans les deux cas, on lui demande avant tout de s’adapter aux nécessités matérielles. De même dans le projet d’œuvres à caractère religieux, il ne lui est pas possible, dans la majorité des cas, d’atteindre la profondeur souhaitable, comparable à celle des autres siècles puisque les conditions générales l’obligent à affronter le problème selon un point de vue esthétique qui à son tour porte le sceau de la confusion. Les nébuleuses de la grande société future et celles d’un homme nouveau ne sont toutefois qu’espérances, songés ou illusions.

Sans doute aucun, la socialisation progressive de la vie moderne a conduit à une plus grande unité de «style» à l’intérieur de l’architecture et malgré les exceptions multiples, comme celles de l’architecture fantastique ou imaginaire, elle possède aujourd’hui en tant qu’expression plastique un caractère plus défini que n’importe quel autre art.

Dans ce sens, l’architecture propose peut-être l’art le plus «avancé» de notre époque, quand par le faî't des conditions pratiques elle se libère - ne serait-ce que partiellement - de la tyrannie d’une esthétique qui régit encore la peinture et la sculpture.

A ces dernières aussi manquent des bases solides. Chaque artiste justifie son œuvre à sa manière. Ce qui les unit et les distingue fondamentalement dans la société où ils évoluent n’est pas tant le fait de leur production «artistique» que celui d’une expression «philosophique», avec son non-conformisme ou sa révolte, C’est-à-dire que les artistes ont opté pour l’appel à la conscience d’üne société conformiste. Les uns le font au travers d’une apparence excentrique, lés autres par lé truchement d’une œuvre insolite ou par l’extériorisation d’un tempérament anarchique qui les oblige à une continuelle protestation. Cette attitude justifie jusqu’à un certain point les vanités et les extravagances derrière lesquelles se rencontre la recherche, désespérée parfois (bien qu’inconsciente) de valeurs stables.

Mathias Gœritz Art et architecture*

* Dans la société contemporaine, le rôle de l’architecte a pris une importance qu’il n’eut probablement jamais auparavant.

L’explosion démographique voit un nombre toujours plus grand de spécialistes se convertir en planificateurs et coordonnateurs. Si jadis on pouvait mettre tous ses soins au plan d’une maison particulière, aujourd’hui des équipes d’ingénieurs, de constructeurs et de sociologues s’appliquent à résoudre de vastes problèmes urbanistiques. Bien que, dans la plupart des cas, ils se spécialisent dans une branche' pour entrer dans l’une de ces équipes, ils ne peuvent ni ne doivent restreindre à un seul aspect la connaissance de l’ensemble.

En même temps s’est développée la préfabrication d’éléments architectoniques qui ne se limitent plus à la brique ou à la cloison, mais qui arrivent à comprendre toutes les unités de l’habitation, ce qui augmente encore la responsabilité du dessinateur.

A part de lourds problèmes fonctionnels, techniques et sociaux qui se présentent à l’architectç, il en existe un autre qui est peut-être, de tous, le plus important. A mon avis, pour qu’une construction mérite le nom d’architecture, elle doit être aussi une œuvre d’art. A quoi pense-t-on quand on parle en termes généraux des architectures égyptienne, grecque, romaine, gothique ou baroque, dans l’habitation de ces époques? Automatiquement s’établit une association

15

/

Alors donc, l’architecte soucieux de l’être devra être aussi un artiste. 11 a l’avantage de pouvoir se réaliser dans une partie - l’utilitaire - de sa profession, mais il se perd en elle, ou mieux: il se cache derrière elle pour éviter la responsabilité qu’implique la partie artistique.

Et quand il trébuche sur des visions audacieuses - par exemple celles du manifeste Arquitectura prospectiva - il se met de mauvaise humeur et refuse de reconnaître leur valeur (relative et discutable, assurément, comme l’art actuel dans son ensemble), puis se plaint de l’importance excessive accordée à des utopies. Aux yeux de l’artiste, l’architecte est un conformiste, tandis que lui est considéré, par l’architecte, comme un rêveur instable.

Tandis que s’offrent à l’architecteplanificateur les occasions les plus inouïes de créer des œuvres d’une grandeur auparavant jamais soupçonnéè -

cités satellites, gigantesques ensembles d’habitation, centres industriels ou commerciaux, etc. - force est de reconnaître précisément en ce moment que son architecture ne «fonctionne» pas spirituellement.

On pourrait se demander: «Quelle doit être la formation de l’architecte pour qu’il arrive à créer de l’art?» Je ne crois pas que cela dépende de lui. L’unique chose qu’il peut faire pour le moment est d’essayer de coordonner son talent avec les inquiétudes de l’artiste et d’établir une équipe, au bénéfice de chacun des deux. Cette union ne conduit pas nécessairement à la production de grandes œuvres d’art, quand l’esprit de l’époque ne les favorise pas; mais on obtient une amélioration de l’atmosphère én faveur d’une architecture neuve, qui ne soit pas exclusivement basée sur la fonction matérielle et un critère esthétique superficiel.

Si, à partir d’un principe, tous deux (architecte et artiste) se concentrent sur l’organisation des idées, des formes et des couleurs - dés la conception urbanistique des plans généraux jusqu’aux détails qui finalement créent l’ambiance de la demeure de l’homme - ils obtiendront sans doute une dimension supérieure à celle qui actuellement se présente, parce qu’elle tendra à exalter la valeur de la vie.

Cependant, je reste persuadé que le fond du problème ne peut se résoudre sur la base de l’esthétique actuelle, puisque sa solution exige une morale collective qui aujourd’hui n’existe simplement pas.

C’est précisément la tâche, tant de l’architecte que de l’artiste contemporains, que d’essayer de spiritualiser leur époque ou d’aider à trpuver cette morale, posant ainsi les fondements d’un art à l’avenir plus grand.

Aba Elhanani L’architecture dans le dédale des arts plastiques De la même manière qu’il existe pour le mot art des définitions aussi étranges que variées, de même nous avons vu se cristalliser diverses définitions autour du concept d'architecture.

Ruskin prétendait que l’architecture qui n’inclut pas la décoration n’est rien de plus que de la construction. L’assurance de Ruskin sur ce point pourrait bien être ébranlée. Est-ce sûrement le même Ruskin qui soupirait tant après le métier et les arts et métiers, le vaillant pourfendeur du slogan «L’art pour l’art», l’ennemi juré, enfin, de tout ce qui se posait en affirmation de l’art, antithèse du pratique?

De cela, nous pouvons aisément déduire que Ruskin a classé l’architecture dans l’honorable catégorie des arts et métiers.

Parce qu’il en appréciait les œuvres et les plaçait au-dessus de l’art même, Ruskin voyait l’architecture comme le pinacle de l’expression artistique, la mère des arts, pour ainsi dire.

Cette classification de l’architecture dans la catégorie des arts et métiers est décidément légitimée. Un homme qui construit des boîtes où ranger le linge est appelé un charpentier. S’il excelle dans son travail, il porte dans bien des langues l’étiquette de maître charpentier (Meister en allemand et master en anglais). De la même façon, celui qui construit des boîtes pour que les gens y vivent et le fait avec une exceptionnelle habileté mérite le titre de maître constructeur. Si l’une ou l’autre de ces boîtes peut être considérée comme de l’art dépend du goût du critique et de celui qui regarde.

Dans de nombreux pays, les constructions primitives de nombreuses périodes se rangent - c’est un fait - dans le vaste domaine architectural. Il semble ainsi à 16

peu près oiseux de décider si l’œuvre d’un mince couche de glace. Si une structure ingénieur contemporain, simple comme n’est pas totalement architecturale en elle peut l’être, doit ou ne doit pas être qualité, s’il faut donc ajouter quelques considérée comme de l’architecture.

«épices» pour la rendre telle, à quelle En ce qui concerne l’auteur de cet article, source les puisera-t-on? Il est évident il est prêt à donner pour définition que qu’il faudra les extraire du double toute structure planifiée appartient au domaine de la peinture ou de la sculpture.

domaine de l’architecture et que la diffé­ Il serait naturellement plus facile de renciation entre construction et archi­ prétendre que l’art architectural est tecture n’est ni réaliste, ni pratique, ni indépendant des arts de la sculpture et de possible. (Il est évidemment possible de la peinture et vit plutôt en compagnie de distinguer entre une architecture bonne la musique, de la littérature et autres ou mauvaise, stimulante ou découra­ disciplines du genre.

geante, mais de telles différences sont Par une telle classification, il serait pourpurement subjectives et susceptibles de tant difficile de soutenir les prétentions à se modifier en accord avec les goûts du la sélectivité de l’architecture.

temps.) Si l’on parle du dessin à trois dimensions, Aujourd’hui, l’idée d’architecture uni­ on devra admettre que ce département verselle ou généralisée semble inaccep­ artistique est toujours occupé par la table et l’opinion de Ruskin, quand il sculpture. Et si l’on recherche le spéciclasse et différencie architecture et fique dans le premier terme de la forconstruction, persiste.

mule, quelque chose de quelque autrè Les diverses définitions et explications département devra être ajouté pour incorrectes font apparaître clairement, l’œuvre de construction.

d’une manière ou d’une autre, que l’ar­ Par la simple force de la logique, le chitecture est une sorte de construction + chemin peut conduire à la relégation de . . . Parce que cette définition n’offre l’architecture dans le département de aucun équivalent tangible, permettez l'industrial design (dessin industriel); la que je l’adopte pour la rédaction de cet maison s’assimile alors à un produit essai. Ce que les esthètes appellent industriel qui, comme tant d’autres pro«construction indigne du nom d’archi­ duits similaires, peut être qualifié d’artecture» n’est à mon avis^* simplement tistique. Une maison n’èst après tout qu’une architecture de moindre valeur. qu’une «boîte» où habiter, une église L’inégalité entre Brunelleschi èt un cons­ une «boîte» où prier, et ainsi de suite.

tructeur contemporain de son village n’est Et ici, assez inconfortablement, nous pas plus grande qu’entre Giotto et un trouvons que la profession tout entière peintre primitif, décorateur d’une humble se voit reléguée dans un département chapelle dans quelque hameau lointain seçondaire, à l’intérieur d’une autre produ Sud.

fession, différente et nouvelle qui a reçu Admettons donc pour le moment, avec \ en héritage beaucoup des arts et métiers votre permission, la forrtiule: architec­ et à laquelle on prédit un bel. avenir. Et ture = construction + X.

ici encore, l’architecture tout entière Plus quoi? Et nous voici engagé sur une devient à son tour un département secon-

daire et rejoint voitures et machines à laver, dont il existe une telle quantité de modèles distingués.

Ce déplacement de l’architecture vers le département de Vindustrial design est-il une vision futuriste ou la description précise de la réalité d’aujourd’hui? Si cette dernière éventualité devait être la bonne, documentons-nous donc un peu mieux sur cet industrial design !

Avant que les fabricants de la voiture Ford (ou tout autre fabricant de la branche) puissent produire leur véhiculé, il leilr faut prendre en considération une série d’exigences fonctionnelles telles que le confort du conducteur et de ses passagers, la sécurité, le fonctionnement des divers mécanismes, le chauffage, le refroidissement, etc. Penchons-nous plus avant sur les installations mécaniques dans leur complexité puisqu’elles exigent de V industrial designer beaucoup de talent afin qu’il crée une corrélation entre ceux qui font le moteur et ceux qui ont la charge des divers accessoires mécaniques.

Le fabricant d’une marque, surtout, doit se préoccuper du succès marchand de son article puisque force lui est de rivaliser avec d’autres marques, dans son pays et à l’étranger.

Le rôle de l’architecte apparaît dès lors bien plus simple comparativement. L’architecte n’a que peu de rivaux; quand se présente un cas de construction spéculative, la concurrence dans la même ville, dans le même village est plus limitée encore, du moment qu’il bénéficie de l’avantage de la situation. Dès qu’il s’agit de l’«hôtel sur la rivière» ou de 1’«hôtel de l’opéra» ou de quelque autre palace, la compétition est de plus en plus restreinte et le constructeur du «roi du tabac» ne comptera qu’avec le constructeur du «roi du whisky» ou du «roi de la prothèse», en d’autres termes avec des gens alimentés par une même source de revenus et qui pourraient redouter de vilipender d’une manière ou d’une autre tant de millions à impôt légitimement déduit.

Sous cet angle, l’architecte ressemble au médecin de campagne, en opposition à l'industrial designer qui, projetant la voiture de l'an prochain, serait plutôt comparable à un docte professeur.

Nous n’avons pas le droit d’ignorer que la comparaison manque de pertinence puisqu’une voiture vit beaucoup moins longtemps qu’une maison. A quoi nous pouvons répondre que les maisons ne figurent pas sur la liste des industrial designs, et d’autant moins qu’elles sont plus durables. A la vérité, la seule supériorité du building design sur l'industrial design est celle du prestige, l’authentique ayant ses racines dans l’illustre histoire de l’architecture. Un fait persiste: le dessin de cet article appelé «maison» ou «construction» a mérité une discipline spécialisée, tandis que tous les autres articles, du fer à repasser et du grillepain au jet à' 700 places se rangent sous

l’étiquette collective de industrial design.

Ainsi donc, l’architecture jouit de l’éminent avantage de sa noble et antique origine, de sa traditionnelle distinction d’être l'un des arts. (Nous pourrions y adjoindre un autre avantage, en exhaussant l’architecture hors de la communauté du dessin; nous pensons à son mariage relativement récent avec la profession de planificateur urbain. Comme cette union va être officiellement consacrée, comme le fait ne concerne pas directement le sujet évoqué ici, nous n’étendrons pas la discussion dans ce sens.) L’avantage de la noble origine de l’architecture est confrontée avec l’avantage tactique de l'industrial design. C’est une profession nouvelle, énergique, qui a déjà amplement prouvé ses moyens et la richesse de ses ressources (de visu, du moins). Cet avantage tactique sur l’architecture peut être comparé à l’avantage notoire d’une classe audacieuse de nouveaux venus sur l’aristocratie se chauffant au soleil d’une gloire périmée.

A la manière des aristocrates dégénérés, nous nous hâtons de nous désolidariser de cette douteuse parenté avec la profession «nouveau riche» du dessinateur et nous recherchons la compagnie des amies d’enfance, la peintqre et la sculpture.

Il est bien entendu possible de se réclamer d’une relation naturelle autant qu’ancienne entre les arts visuels, architecture, peinture et sculpture. Il est même possible de mettre l’accent sur une influence réciproque et doublement dirigée entre peinture et sculpture d’une part, et architecture de l’autre.

Il y en a qui disent que l’architecture donne le ton. Une mode nouvelle apparaît (comment?) et, dans un bref délai, l’entourage entier a subi son influence, comme si l’architecture déterminait les tendances des autres arts. On pourrait appeler le phénomène «architectonisation de l’environnement»; Il suffit de visiter une église gothique avec ses lignes verticales et ses rangées de piliers élancés assemblés de la même manière, exactement, que les plis des robes des saints des statues gothiques.

Ceux qui disent que l’architecture lance les nouveaux cycles affirment donc que c’est l’architecture qui crée à des décennies rapprochées une forme, une image (Gestalt) nouvelles. Comme pour le gothique, il est difficile de déterminer qui vint en premier, mais, aujourd’hui, il nous est facile de certifier que les formes «aérodynamiques» du terminus de Saarinen, à l’aéroport Kennedy, sont inspirées par les voitures, les avions, les fers à repasser et autres accessoires «aérodynamiques». Là, un architecte vraiment doué essaie de traduire dans le langage de la construction les formes « techniques Ç Des gens viendront et prétendront avec quelque raison que la voiture aérodynamique, voire l’aéroplane ne doivent pas leur aspect à des exigences purement aérodynamiques mais que c’est le visage

des arts futuristes qui a été introduit dans un édifice commercial d’acier inoxydable grandement attractif. Ainsi ou autrement, cet embarrassant processus est, en fait, l’image de notre époque.

Selon des érudits comme Wôlfflin (Heinrich Wôlfflin - Renaissance et Baroque), la peinture devançait l’architecture, pendant la Renaissance. Et Wittkower (Rudolf Wittkower Principes

architecturaux

à

l’Age

de

l’Humanisme)-démontre,

s’appuyant Sur le carnet d’esquisses de Raphaël, que, pendant le baroque aussi, l’architecture suivait la peinture. Permettez cependant que nous avancions jusqu’au début de ce siècle. Il est évident . que des œuvres d’artistes comme Piet Mondrian ou Theo Van Doesburg exercent une grande influence sur des architectes, fameux ou non. Il est intéressant de remarquer que, selon une opinion courante, le groupe Stijl dans son entier a été influencé par la première exposition de Frank Lloyd Wright, en 1910.) Nous avons déjà mentionné l’influence inverse de l’architecture sur la peinture et la sculpture, et nombreux sont les exemples de réciprocité d’influence des arts entre eux.

(Il existe une abondance de preuves de la parenté de la musique et de l’architecture, avec pour point de départ l’affirmation de Rudolf Wittkower, selon laquelle les architectes de la Renaissance construisaient leurs façades d’après le rapport normal des consonances musicales, jusqu’aux esquisses d’Erich Mendelssohn qui les a appelées «Toccata en do majeur de Bach», par exemple.) La preuve de l’existence réelle de liens étroits entre l’architecture et sa descendance (architecture - mère des arts) est dans tous ces exemples, mais il est difficile de méconnaître le sentiment que cette parenté, pendant la Renaissance du moins, a résulté surtout de la véritable identité des architectes, peintres et sculpteurs. En ce temps-là, un architecte était aussi peintre et (ou) sculpteur, si bien que cette idéale symbiose devenait naturelle.

Si todtefois nous creusons plus profond en la matière, si au départ nous séparons l’architecture d’un palais Renaissance de ses décorations picturales et sculpturales, la perplexité nous est permise. Les proportions imposées l’ont été par les règles communes aux architectes, aux peintres et aux sculpteurs. Les architectes du temps n’avaient qu’à recourir à de simples manipulations des lois des proportions établies et la manœuvre était restreinte entre des accessoires architectoniques aussi consacrés que l’arche, le pilier, l’architrave, et ainsi de suite.

Mais, ces accessoires, que sont-ils sinon des éléments sculpturaux traditionnels qui ont peu ou pas changé depuis l’Antiquité classique.

Il serait intéressant de réfléchir sur les raisons pour lesquelles la Renaissance, 17

ôù les sciences fleurissaient, a moins contribué à l’innovation architecturale que l’époque gothique qui, on le sait.

traînait ses progrès scientifiques.

Et cette réflexion impose à l’esprit un phénomène étrange autant que significatif, c’est-à-dire que notre époque actuelle, si incomparablement riche dans son avance scientifique, n’a pas apporté de révolution, sans parler même de progrès réel dans le domaine de la technologie de la construction, en regard de la technologie générale, qui file de l’avant.

Il suffit de confronter un jet avec une voiture automobile du début du siècle, puis de les comparer tous deux avec un théâtre Poelzig des environs de 1900 et un théâtre Scharoun des années cinquante.

Nous pouvons être plus absolu encore en comparant le Colisée de Rome et le Centre Lincoln de New York. La différence technologique étonne par son insignifiance.

Au XXe siècle, tous les accessoires qui, sauf interruptions minimes, ont si bien servi l’architecture pendant près de deux mille ans ont été éliminés.

En apparence, une révolution s’installait avec la promesse d’une architecture devenue un domaine de création indépendant. C’était comme si l’architecture, au XXe siècle, allait construire dans l’intérêt de la construction. Mais les complexes d’infériorité, envers les autres arts, des initiateurs de cette révolution n’allèrent que s’accentuant.

Ce n’est peut-être pas coïncidence seulement si, au moment d’un changement vraiment révolutionnaire en architecture, au soir d’une époque et avant la pleine naissance d’une tendance neuve, l’art abstrait fit son apparition. Il serait faux de dire qu’il naquit alors, car l’art islamique et tous les arts et métiers avaient été abstraits depuis des siècles. Mais, au début du siècle, ce moyen d’expression naturel et évident devint une tendance légitime, en peinture comme' en sculpture. L’art abstrait fut reconnu en tant que tel et ses grands prêtres comme Kandinsky, Klee et d’autres furent admis ‘ dans les galeries.

Certaines difficultés, naturellement, surgirent. Il ne semblait en quelque sorte pas décent de sanctifier un art à l’existence ancienne, tel que le modelage de pots, de bols et d’autres ustensiles. Alors, on inventa un terme, celui de «forme utile» (significant form). Il convenait admirablement aux théoriciens amateurs de la nouvelle architecture qui disaient au départ: «L’architecture est par-dessus tout un art, et, en tant que tel seulement, elle produira des formes utiles.» (Le Corbusier.) Le Corbusier et Gropius demandèrent alors l’intégration des arts et de l’architecture et le Bauhaus essaya d’une formation tendant à l’«architecture artistique». On n’äccorda plus d’attention à la qualité des matériaux. Tout fut bon pour exprimer la forme. La ligne qùi 18

sépare les peintres des sculpteurs s’effaça, plus yaste aussi est certainement la et l’architecture leur devint une profes­ construction.

sion idéale, à laquelle emprunter une Le sculpteur devient alors un bâtisseur, base solide pour l’art abstrait dans ses «construisant des formes architectomultiples variations. Cubistes, construc- niques». Il est possible que cette force tionnisfes et élémentivistes dessinèrent qui oblige à l’association explique beaudes «façades architecturales» qui sont coup de ce qui se passe dans l’art modes compositions plates (Mondrian), derne. De fait, l’abstractionnisme pur ne puisant l’origine de leurs dessins dans le peut pas exister; moins encore nourrit-il l’imagination créatrice de l’artiste. L’arlangage de l’architecture moderne.

Cette tendance s’affermit encore sous tiste a besoin de l’association. 11 suffit de l’influence des théories de Cézanne qui- mentionner les abstractionnistes, Braque parlait de construire une peinture et et Picasso au début du siècle, avec leurs appelait «blocs de construction» d’une collages et aujourd’hui le pop art. Dans ces collages interviennent tous les matétoile ses formes géométriques de base.

L’influence sur l’architecture moderne riaux familiers possibles, du journal à était importante. Aucune étude n’a été l’ustensile de cuisine, aux gravats, aux toutefois faite sur la profondeur et la pièces d’une machine, voire aux cuvettes.

nature de cette influence.

Cette association avec des objets de la De telles théories, bien que superficielles, vie quotidienne combine en général provoquèrent ùn chaos absolu dans le gentiment, avec des prétentions artisprocessus de pensée d’une génération, les tiques - et d’art moderne particulièrebrumes et les brouillards de la confusion ment - un rattachement au présent, à la qui ne sont pas encore dissipés.

vie de notre temps et à ses problèmes Au Bauhaus, on doit cette conversioni quotidiens. Mais la philosophie- de l’art des architectes en sculpteurs-construc­ est une philosophie post mortem.

teurs. Au début, l’intégration des arts Cette philosophie est surtout créée dans conduisit à l’élimination de tout orne­ le sillage du développement en une sorte ment ou sculpture, puisque le bâtiment d’analyse de «pourquoi celui qui l’a fait entier était supposé être une sculpture l’a-t-il fait», exécutée non par les artistes parfaite. Se posant en adversaire du eux-mêmes mais par les critiques et les groupe des architectes cherchant le salut penseurs.

dans l’«art utile» (significant art), un de En généralisant, nous pouvons dire que leurs chefs déclare laconiquement qu’«il la philosophie de l’art est l’un des côtés ne reconnaît pas du tout les problèmes faibles de tout philosophe moderne, qu’il de forme» (Mies Van der Rohe).

s’appelle Cassirer, Russell ou autre.

Ici commence la procession de tous les Des artistes militants comme Kandinsky, avant-gard«ismes», que notre intention Klee ou Picasso s’essaient aussi au dén’est pas d’énumérer. (Nous n’excluons veloppement de théories philosophiques.

pas non plus la possibilité de l’apparition Il apparaît évident que ces réflexions, en ou de la disparition de quelque nouvel partie philosophiques, en partie poéti«isme» au moment de l’îfnpression de ques, ne sont pas toujours faites pour cet essai...) être englobées dans la discipliné de la On en trouverait une liste chez Pevsner, philosophie, mais peuvent plus judicieuRuchards Banham ou Collins. Nous por­ sement être rattachées à des disciplines tons plus d’intérêt au nœud gordien qui a telles que les lettres ou la psychologie.

été noué entre l’architecture et les arts, un Nous découvrons ici l’ardente aspiration nœud plus embrouillé et périlleux que de l’artiste qui s’apparente plutôt à une tous ceux qui, au cours de l’Histoire, pensée naïve. Il apparaît donc que l’artiste crée généralement à partir des instruunirent les arts.

Le péril a bien des visages dont le plus ments disponibles, avec une sensibilité sérieux peut-être est la confusion. Le aiguisée par l’environnement et le don bâtiment cesse d’être un abri pour subconscient d’interpréter cet environnel’homme ou ses activités et devient un ment par l’assimilation d’impressions moyen de jouer avec les formes. avides et d’inspirations d’association Citons le professeur Collins: «Unç;cons­ permanente. Il n’y a rien de nouveau truction, simple objet dans l’espace dans ce talent et ces enseignements. Ils plutôt que partie intégrante de l’espace.» ont toujours existé. Velasquez interprétait L’attachement à la peinture et à la sculp­ son milieu, la Cour d’Espagne, en monture devient même plus difficile au début trant le contraste entre le somptueux de la seconde moitié de ce siècle.

costume des infantes et leurs faces dégéLe dessin de la peinture et surtout de la nérées. L’àrtiste moderne fera de même sculpture, plus proche de l’architecture en prenant des débris et en les façonnant au changement de siècle, est mieux com­ en masses amorphes et menaçantes.

pris sur l’arrière-fond de son art abandon­ ‘La multiplication des «ismes» est explinant le figuratif ou le thématique.

quée par le développement de la com11 apparaît qu’un artiste a toujours besoin munication - la mécanisation comprise de quelque association. Dès l’instant où autant que par la surabondance de publiil se détache de tout lien avec l’animal, le cations qui mettent ’ l’artiste belge ou végétal ou le minéral, il retombe inévi­ pakistanais, à la vitesse du jet, en contact tablement sur l’association avec le travail avec les dernières créations d’oqtrede l’homme dont le plus important, le Atlantique.

Elle est expliquée par l’énorme confusion sociale, la «libération», l’«avènement de l’ère de l’universalisme», ou autre chose du genre. En fait, nous avons été submergés, dans ce siècle, par les «ismes» et les «modes» avec une rapidité telle qu’elle ne peut être comparée qu’aux changements dans les modes des vêtements, des coiffures ou des voitures.

Une comparaison meilleure même est obtenue par le rappel fréquent d’un retour des modes, bien que sous un nom différent, à la condition que la répétition ne se produise pas au bout d’un bref intervalle de deux à trois ans mais resurgisse d’une époque plus ancienne.

C’est exactement ce qui se produit en peinture et en sculpture. Exactement comme la robe à crinoline peut devenir le dernier cri de 1970, il peut arriver aussi - et nous en voyons déjà les signes avant-coureurs - que peindre des portraits dans un style réaliste à la Dali ou à la de Vinci soit considéré comme up to date en 1970. Sauf que, dans ce cas, il ne s’agira pas de dernier cri mais d'avantgarde.

Il se peut que ces mots revêtent l’aspect d’une critique destructrice de l’élite de la création actuelle, mais il se peut aussi, d’autre part, qu’il soit légitime d’expliquer des états de faits d’où il est possible de tirer des conclusions à longue portée, pas nécessairement condamnantes. D’ailleurs, ces recherches fiévreuses, maladives, nerveuses sont indispensables à la compréhension de notre temps et de son tourbillon.

Et voici le moment de retourner à l’architecture. Dans ce chaudron où changent les styles, en peinture et en sculpture, l’architecte doit faire quelque chose. Notre union avec les arts plastiques demande que nous aussi dansions les pas modernes qui, pas plus tard qu’hier, ont envahi la salle de bal (pour la quitter demain?).

En architecture cependant, il est difficile de passer avec une telle célérité d’«isme» en «isme», du réalisme à l’impressionnisme, au néo-plasticisme, au... tout ce que l’on sait ou peut imagine!.

Quand nous nous trouverons lassés des «ismes», ils céderont la place à des artistes: des architectes dont le «style» sera proclamé style de la génération pour... deux ou trois ans.

Une hégémonie de quarante à cinquante pour un Le Corbusier ne saurait se concevoir. Un Louis Kahn le remplace pour trois ans. Après lui viennent Kenzo Tonge ou Paul Rudolph. S’il n’y a pas nouveau style, du moins à-t-on trouvé une idole pour un temps et, si cette idole a le sens de la conférence ou sait écrire (des jugements confus voilant l’absence de pensée originale et parfois même de toute pensée sérieuse), c’est d’autant mieux!

Mais la chose importante que les architectes demandent des peintres et des sculpteurs est l’entière liberté de changer de manière tous les quelques mois ou

années. Et aussi la liberté et le courage de révolte contre la tradition et de confrontation du public avec l’inconventionnel, l’audacieux, le monstrueux de créations dont ils proclament que «c’est ça». A cet égard, il est intéressant de lire les arguments de Louis Mamford sur les influences opposées de la peinture sur l’architecture.

La peinture et la sculpture sont profondément mêlées, en ce sens qu’il est intéressant de considérer de niveau les œuvres les plus complexes d’un artiste de talent.

Nous ne nous demandons pas le moins du monde s’il est dérangé (cela pourrait même jouer en sa faveur). La position est toutefois différente en architecture. L’architecte ne désire pas rester en arrière de l’artiste. Il essaie de lui emboîter le pas.

Il commence par la révolte. Il se défait des conventions et de la tradition, ainsi du fardeau du rationalisme en architecture, qui commença, dans les années vingt.

Pourquoi le fonctionnalisme? Qui a dit qu’un bâtiment doit être confortable?

Où est-il écrit qu’une école doit ressembler à une école? Autant de conventions qui, sacro-saintes dans les années vingt, trente et quarante, ont passé au rang d’idoles périmées, bonnes pour le vieux fer.

Nous aussi, nous les architectes sommes capables de choquer l’opinion publique, que ce soit pàr des formes hideuses ou un art antiesthétique, ou par un primadonnisme exprimé dans les structures, les suggestions, les budgets. Si nous construisons une maison difficile à habiter ou dont l’usage est une torture, nous pouvons toujours prétendre qu’ainsi font les peintres et les sculpteurs, que le manque de confort, ou pire,' ne sert qu’à illustrer pour le «consommateur» la nature de notre époque, guerres et bombes atomiques!

Et voici évidente la différence essentielle entre l’architecture et tous les autres arts plastiques. L’architecture n’a pas à exprimer la schizophrénie sociale et la crise de la foi de la même manière que peuvent, mieux, que doivent le faire la peinture et la sculpture, la poésie et la littérature.

L’architecture interprète son époque en tout premier lieu par l’application des connaissances mécanique^ et techniques d’une part, et de l’autre par la création de facilités physiques appropriées aux activités spécifiques de cette époque.

Il est évident que les goûts d’une période, ses besoins esthétiques trouveront aussi leur expression. Et si nous nous rapportons à notre temps, nous pensons que son image esthétique est exprimée, pour le meilleur ou pour le pire, par l'industrial design: l’automobile, le fer et l’aéroplane.

A mon avis, le brutalisme en béton de Le Corbusier, dans toute sa pathétique beauté, ne peut faire avancer l’architecture moderne. Au contraire, il l’entrave et la paralyse. Parce que si nous pouvons obtenir des résultats dans les textures et dans les formes (formes utiles), il n’est pas nécessaire de rechercher des améliorations techniques. Parce que si Picasso a introduit l’art africain dans le cubisme, un Le Corbusier de l’avenir pourrait découvrir, disons, une architecture polynésienne et la modeler en une tendance ultramoderne et légitime du XXIe siècle. C’est l’amère vérité que la technologie de la construction se tient des décennies en arrière de toute’ autre avance industrielle.

Il suffit de dire que la technologie de la construction n’a pas progressé depuis Gropius et le Bauhaus. Il semblerait que nous sòmmes trop profondément accaparés par les formes de manipulation pour nous préoccuper encore des problèmes de méthodes et de matériaux nouveaux.

L’aspect de l’architecture diffère de celui de tout autre art. Citons donc Martin Buber qui dit: «Le principe de l’architecture n’est rien que l’humanisation de l’espace. L’architecture est l’ancêtre de tous les arts plastiques. Elle proclame leur naissance et ils vivent dans son ombre. Ils sont soumis à son autorité au point qu’ils se voient relégués au musée avec le déclin des civilisations. Ils y restent d’ailleurs dans toute leur splendeur mais détachés de leurs racines. Mais les structures dont ils ont été séparés ne partagent pas leur exil.

»De tous les arts plastiques, l’arçhitecture seule se place dans la pleine réalité de la vie humaine. C’est naturel puisque, différente des autres arts qui créent des dessins dans l’espace, l’architecture n’est pas théorique, mais ouvre l’espace même et crée en lui des formes. Regarder un bâtiment est d’ailleurs autre chose que regarder une toile ou une sculpture. Si vous êtes devant une cathédrale, qu’importe qu’il s’agisse de la façade ou de quelque autre partie; vous ne faites pas plus qu’il ne vous est alors possible de faire. Et tout ce que vous obtenez n’est qu’une idée de l’entité de l’édifice. Si vous désirez plus que cette idée, il vous faut visiter l’édifice, dedans et dehors. Il vous faut arpenter toutes les parties qui composent cette majestueuse création jusqu’à ce que vos sens les fondent et reçoivent une vue d’ensemble de la construction dans son essence.

»L’architecture réclame un minutieux examen spécifique. Elle veut une observation qui étreigne et un regard capable de synthèse. » Face à Buber, permettez que nous citions la définition de l’architecture de Moholy Nagy (Bauhaus): «Une priorité de méthodes et de matériaux dans un endroit donné.» C’est une excellente définition, mais, sans doute aucun, non satisfaisante dans le monde actuel, qui est un monde de modes.

Nous conclurons cet essai sur le thème d’ouverture, soit l’essence de la profes19

sion. La formule: architecture — construction, sans les additionnels, n’est-eile pas suffisante?

Les exigences de la maison, le bâtiment, ne se font-ils pas assez clairement comprendre pour répondre à tous ces points d’interrogation?

N’est-il pas suffisant que nous disions de nous-mêmes que nous projetons des

bâtiments adaptés à leur but et confortables, exprimant leur essence fonctionnelle et nous donnant un sentiment de satisfaction. Permettez que nous ajoutions également l’obligation d’exécuter tout cela dans la meilleure des connaissances technologiques actuelles afin d’améliorer l’opération et d’abaisser le coût de la production.

Cette définition sonne absolument prosaïque et réactionnaire. Mais nous pensons que quelques «réactifs» sur le monde pourraient susciter la réelle avant-garde.

Une telle avant-garde mettrait au moins l’architecture à sa vraie place, où ne prédominent ni travestis ni modes mais où la continuité par le progrès est assurée.

être formés en Italie. Ensuite, lors de leur retour dans l’île, ils étaient fort estimés.

Cette époque se termine par l’érection complète de la cité de La Vallette, un exemple unique d’un 'plan d’ensemble aussi bien que de bâtiments individuels de haute qualité.

Durant toute l’occupation des îles par les Chevaliers, des constructions de premier ordre furent érigées, y compris ce superbe exemple d’architecture théâtrale (construit sous le règne du grand maître Manoel de Vilhena), le Théâtre Manoel.

La cité de Medina fut aussi complétée pendant cette période, quoique commencée, comme cité fortifiée, des siècles auparavant par les Arabes, lorsqu’ils occupaient l’île.

Après cette période d’occupation par les Chevaliers, l’île fut offerte aux Anglais en 1814. En comparaison du legs laissé par leurs prédécesseurs, la contribution anglaise échoue misérablement. Quoi qu’il en soit, la plupart des gens ont pris l’habitude de condamner l’entière contribution, ce qai, de l’avis, de l’auteur, est une grossière erreur. Les constructeurs anglais, bâtissant pour la plupart des casernes et des hôpitaux, contribuèrent à une expression architecturale directe et fonctionnelle (dans le sens matériel) qui, cependant, s’harmonise facilement et intelligemment à Malte et à son environnement particulier. L’emploi continuel de la pierre locale, ainsi que les coutumes et tendances locales dé construction, sont évidents; le résultat net, s’il ne produit pas des constructions marquantes, produit au moins des pâtés de maisons s’harmonisant aisément et heureusement avec leur entourage.

A part des bâtiments importants et historiques érigés à Malte au cours des différentes occupations de son histoire, l’île possède un idiome national unique et particulièrement primitif, qui a réussi, dans tous les temps, à s’affranchir de facteurs étrangers et influents.

Ce sentiment hautement individuel se fait fortement sentir depuis les fermes isolées jusqu’à des villages, entiers. Cette expression architecturale indigène et spontanée offre au spectateur une unique forme de base, rude et terre à terre, employée partout: le cube.

Ayant brièvement parlé de l’ensemble du village, nous pouvons maintenant jeter

un coup d’œil à la construction de la ferme locale individuelle qui, se composant de nouveau d’un simple élément cubique prédominant, représente une expression particulière de méditation sincère, claire et rigoureuse.

Le problème était la survivance, ét la solution offerte est directe et heureuse.

Tl y a une fusion si complète et naturelle (comme dans les ' maisons éparses ep grappes) avec le paysage environnant, qu’il semble n’y avoir àucune distinction entre ce qui est naturel et ce qui'est, de fait, fait de main d’homme. Les espaces sont soigneusement articulés, les difficultés de construction surmontées avec une remarquable ingéniosité, les conditions climatiques sont respectées avec une clarté incroyable et le tout met en évidence une façon de penser simple et directe qui est caractéristique de toute l’architecture indigène primitive.

Cet héritage, quoique souvent ignoré, est, sans le moindre doute, de la dernière importance et peut être avant tout considéré comme étant, de toute notre abondante ‘tradition architecturale, le plus typiquement et réellement maltais et indigène.

Nous avons vu, en raccourci, le fond doré que Malte possède, un héritage unique et inoubliable pour tous ceux qui l’ont vu.

Richard England L’architecture des îles de Malte La tradition historique

Avant d’examiner l’un ou l’autre des sous-titres, il semblerait nécessairè d’esquisser brièvement une description du principal matériau de construction de l’ïie: sa pierre locale.

C’est en utilisant ce remarquable matériau que Malte a produit une architecture de tout premier ordre. La pierre, dont tous les édifices sont construits, est une douce pierre calcaire connue sous le nom de globigerina limestone. Elle est facilement extraite, dégrossie et moulue.

Exposée à l’air, elle tend à durcir, mûrir et foncer.

Les plus lointains vestiges architecturaux sur nos îles sont, sans l’ombre d’un doute, les plus beaux. Il a été écrit que «même si Malte n’a rien à montrer que ses temples de l’âge de la pierre, l’île vaudrait la peine d’y faire un voyage».

La précision des œuvres, des sculptures et de l’assemblage des gigantesques dalles doit être vue pour y croire, d’autant plus qu’il faut se rappeler que les constructeurs n’étaient pas familiers avec l’usage du cuivre ou du bronze. Les emplacements de Hagar Qim et Mnajdra, groupés comme emplacements de temples supérieurs et inférieurs, comme dans la plupart des cas, sont le seul groupe que l’on peut étudier par rapport à un paysage étendu. Il n’y a pas de doute que la plus belle réalisation architecturale de cette époque est la Hypogeum souterraine. Ici, une série de grottes taillées dans le roc se combine en un concept spatial presque parfait pour former ce qui doit en effet être défini comme une des plus grandioses œuvres d’art de tous les temps.

Quoique des restes phéniciens et romains existent, aucune de ces époques ne peut, de fait, produire des exemples qui puissent se classer avec l’époque mégalithique ni avec la glorieuse ère qui suivit: l’occupation des îles par les chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean. Une chose curieuse est l’absence presque totale de restes arabes, quoique les îles aient été occupées par eux pendant plusieurs siècles.

Il est intéressant de noter, à quelques exceptions près, que toutes les constructions importantes érigées pendant cette période furent dessinées par des architectes maltais, dont la plupart étaient envoyés, par les Chevaliers mêmes, pour

La situation contemporaine

En moins de trois ou quatre ans, les îles maltaises ont fait l’objet d’une demande presque incroyable parmi les touristes et d’éventuels colons, ce qui pourrait bien, dans l’avenir, atteindre une extension encore plus grande. Cette affluence est la bienvenue à cause de la stabilité économique évidente qu’elle apporte à une jeune nation telle que Malte, son économie entière dépendant de ce développement touristique et résidentiel; du point de vue architectural, cela demande une investigation plus profonde et plus intense. Sans doute, Malte traverse la période de construction la plus importante qu’elle ait jamais connue et le résultat final, visuel et esthétique dépendra de la qualité de l’architecture des bâtiments érigés pendant cette période. Avec un fond architectural et un entourage vivant de premier ordre, la nouvelle architecture devrait promettre beaucoup; toutefois, la nouvelle ère n’a rien produit de notable.

Pourtant, un élément qui est de la plus haute importance est que beaucoup de nouveaux bâtiments reflètent un certain traditionalisme à la fois dans l’utilisation des matériaux ainsi que dans les dessins externes.

Peut-être qu’un entraînement plus spécifique et relatif à notre environnement, se rapportant spécialement à notre vaste et particulière tradition, aidera à produire des architectes qui, à leur tour, dessineront avec plus de sympathie pour notre entourage. Avec la construction de la nouvelle Université, l’école d’architecture va subir de profonds changements. Il est question qu’un personnage éminent de l’architecture en prenne la charge. Cette voie, qui a des affinités probables avec la RIBA, produira des architectes qui pourront être spécifiquement orientés à travailler et à dessiner dans un environnement méditerranéen particulier.

L’auteur de cet article est à la recherche d’une expression architecturale contemporaine valable qui puisse aisément harmoniser avec la tradition maltaise. L’auteur est persuadé que la recherche sera difficile et ardue, mais elle doit surtout être sincère, affranchie d’influences et de clichés étrangers.

D’autre part, lors du développement d’un pays comme Malte, l’adoption .de méthodes avancées est difficile à cause du manque de main-d’œuvre spécialisée.

Nous avons remarqué dans nos bâtiments traditionnels une prédominance presque complète du solide sur le vide - les percées sont petites - ce qui est une tentative pour empêcher la chaleur torride de l’été de pénétrer dans nos demeures ancestrales. Les patios prédominent dans notre pays, procurant un abri fort nécessaire contre le vent et la pluie.

La tendance générale en vogue dans le développement touristique du monde entier est de supprimer la chose essentielle dont on peut tirer avantage dans la création artistique: l’originalité.

L’auteur espère sincèrement que Malte ne suivra pas ces brisées, mais qu’elle assimilera plutôt toute sa glorieuse tradition, ce qui l’aidera à mouler et à formuler une expression moderne et néooriginale, laquelle, quoique englobant les

problèmes et les solutions du traditiona­ La position de l’architecte à Malte, nalisme, sera essentiellement jeune, virile et tion relativement nouvellte essayant de contemporaine.

.prendre pied, est aujourd’hui d’une Les propres œuvres de l’auteur révèlent importance extrême.

une recherche vérifiant cette croyance, en Car l’on peut bien dire que l’architecte établissant un lien avec la tradition et projeteur maltais se trouve aujourd’hui locale et en maintenant un caractère dans la position de détenteur de la clé de méditerranéen, sans renoncer à l’impli­ l’avenir de son pays, non seulement dans cation d’un rationalisme modèrne. Ses le sens architectural mais dans un sens projets pour l’église de Saint-Joseph à beaucoup plus important et total. Car les Manikata, ainsi qu’un dessin de chapelle, architectes créent l’ambiance à la fois du sont inspirés des formes de base des travail et des loisirs. L’environnement temples mégalithiques et aussi des casiers aide l’homme à produire un meilleur à outils primitifs que l’on trouve souvent rendement. Un meilleur rendement prodans le paysage maltais. Elles suivent la duira un niveau de vie plus élevé, qui à situation traditionnelle en plaçant l’église son tour signifie des bienfaits pour tout au plus haut point du village et aussi par le monde.

leurs formes baroques, contrastant avec En tenant compte de cela, il sera réalisé les structures cubiques du village.

une expression architecturale contempoCela ne veut pas dire que Malte n’a pas raine, en complète harmonie avec la ville ses difficultés architecturales. Un rapide si caractéristique et le paysage; ainsi, une coup d’œil à l’île révèle une malheureuse évolution logique et une continuation de tendance à diviser le terrain en de nom­ notre glorieuse tradition sera maintenue breux terrains à bâtir (plus grand en sera et un but beaucoup plus important sera le nombre, plus le spéculateur sera atteint.

heureux), ce qui fera fleurir peut-être des La solution de Malte, selon l’auteur, est constructions monotones en forme de à trouver dans la recherche d’une archiboîtes.

tecture (née de l’intérieur) particulière à Un contrôle plus strict de ce genre de notre pays, une architecture qui, puisdéveloppement doit être exigé, et la qu’elle fut créée en fonction de son enviconstruction de maisons éparses en ronnement particulier, sera nécessairegrappes, laissant de grands espaces ment maltaise, car elle aura été créée pour libres, devrait être encouragée. Quelques- concorder avec une «condition» maluns de nos nouveaux hôtels ont été taise existante.

situés dans de fâcheux emplacements, Le sentiment et la création d'une œuvre gâchant parfois des sites d’un extrême doit évoluer comme une solution partiintérêt historique.

culière du problème de la vie à Malte, Le tableau d’ensemble actuel laisse sup­ dans des conditions très particulaires et poser une demande toujours croissante spécifiques; les besoins matérialistes, les et l’on peut sincèrement espérer que ce limitations structurales, l’emploi de maque Quentin Hughes écrivit dans son tériaux locaux lorsque c’est possible (la livre sur les constructions érigées pendant pierre locale se désagrège près de la mer), la période des Chevaliers se retrouvera les conditions climatiques et les emplaaussi après l’exécution complète des cements forment une combinaison de demandes actuelles. «Il est remarquable réflexion finale qui devrait de nouveau qu’une si petite île, sous l’asservissement être aussi unique et individuelle que le constant d’un gouvernement étranger, problème même. Ainsi l’architecte, dans ait pu produire une architecture essen­ son suprême moment de création, protiellement maltaise en dépit des modes duira une architecture qui, puisqu’elle changeantes.» Plus encore aujourd’hui, fut créée dans des conditions et des l’on espère que - Malte ayant atteint son besoins semblables, appartiendra forcéindépendance - ses architectes poursui­ ment à notre terre et ainsi, aussi, à sa vront leur voie avec fidélité à leur pays tradition de construction poétique, gloet à leur culture ainsi qu’aux efforts de rieuse et incomparable.

leurs ancêtres.

Lp Route de l’amitié La Réunion internationale de sculpteurs mise*sur pied par le comité organisateur des XIXes Jeux olympiques, dans le cadre du programme culturel, a différé radicalement de tous les symposia ou rencontres de sculpteurs organisées jusqu’à ce jour dans d’autres pays.

Pour la première fois, en effet, des artistes appartenant aux cinq continents y ont participé, l’objectif ayant été de réunir, en signe d’entente mondiale, l’élite de l’humanité. Jamais auparavant une rencontre de ce genre n’avait été inspirée par

un concept âussi large et aussi généreux.

L’orientation artistique de cette réunion lui a donné encore un autre aspect fondamental, car dès le début une étroite collaboration a été prévue entre artistes, planificateurs, architectes et ingénieurs.

Le noyau du«vmposium est formé par l’ensemble de travaux où dix-huit sculpteurs provenant de seize pays ont été invités à composer une maquette originale.

A cette fin, chacun d’eux a envoyé le modèle d’une sculpture monumentale (en fer, aluminium, argent, plâtre, bois,

terre cuite ou carton). Ces maquettes furent étudiées par un groupe de coordinateurs et de techniciens mexicains, sous la direction de l’architecte Pedro Ramirez Vâsquez, président du comité organisateur des XIXes Jeux olympiques, et du sculpteur Mathias Gœritz, conseiller artistique du comité organisateur et auteur du projet «La Route de l’amitié».

Le choix du matériau étant limité au béton, cette économie des moyens imposée aux créateurs a répercuté forcément sur le choix des artistes: du fait que seuls rv.

21

» paraissaient indiqués ceux qui avaient quelque expérience dans la manipulation des possibilités du béton, ou dont l’œuvre générale se prêtait, par son style même, à une interprétation dans ce matériau. Le jurÿ, formé de deux groupes et composé d’architectes, de critiques d’art et de représentants du comité organisateur, a été chargé de la sélection finale.

L’échelle monumentale du projet fut jugée la mieux appropriée à la réalisation, étant donné qu’il fallait respecter l’idée originale tendant à créer, au sein d’un vaste paysage ouvert, une «route» de 17 kilomètres environ tout au long du tronçon sud de Panneau périphérique (voie rapide entourant la ville de Mexico), et dont le centre est le village olympique.

Le tronçon de l’autoroute mentionné traverse lé Pedregal (zone de lave où les constructions sont assez clairsemées).

La route a été jalonnée de' monuments, à intervalles variant entre 1 et 1,5 kilomètre, cette distance étant réduite pour les zones' de grand intérêt comme celles, par exemple, proches du village olympique. La hauteur des œuvres varie de 5,70 à 18 mètres, avec une moyenne de 11 mètres.

Les sculpteurs étrangers sont arrivés à Mexico vers le 1er juin 1968. Ils ont trouvé le gros œuvre déjà terminé (bases et plusieurs éléments fondamentaux), calculs et plans ayant été réalisés auparavant.

Plusieurs points du programme ont été définis au cours même dte la Réunion internationale de sculpteurs, comme, par exemple, l’aspect définitif de la route, la finition et la couleur des sculptures, les jardins, l’éclairage, etc. Lors de la séance l

,

;

inaugurale, Mathias Gœritz y a présenté également une proposition visant à créér un Conseil international de planification artistique. Il a dit, entre autres: «Le milieu vital de l’homme moderne devient chaque jour plus chaotique.

L’augmentation de la population, la socialisation graduelle de la vie et le progrès accéléré d’une époque vouée à la technique ont répandu la confusion. Une laideur générale, que ce soit celle de nombreux éléments utilitaires, indispensables à l’existence quotidienne, ou des panneaux publicitaires, écrase les cités, affectant tout spécialement les banlieues et les routes, alors que ces dernières revêtent au siècle de la vitesse et de l’automobile une signification que jamais elles n’eurent auparavant. Il devient urgent, par conséquent, de concevoir une planification artistique résolument tournée vers les réseaux de communication et l’urbanisme contemporain.

»Alors qu’il devrait être appelé à collaborer avec l’urbaniste, l’architecte et l’ingénieur, l’artiste se voit obligé aujourd’hui à travailler pour les minorités qui fréquentent les galeries d’art et les musées.

»La conception d’un art intégré dès le début à l’ensemble urbain revêt une importance fondamentale pour notre époque. Il s’agit de libérer la" création artistique du domaine de «l’art pour l’art», et de la concevoir dans un contexte planifié, pour la mettre à la portée des masses et de faire refléter dans ce même contexte planifié les besoins spirituels fondamentaux de la société contemporaine. »

La liste des sculpteurs participant à la Route de l’amitié a été établie suivant l’emplacement de leurs œuvres sur la route: ♦ 1. Angela Gurrfa Mexique 2. Willi Gutmann Suisse 3. Milos Chlupac Tchécoslovaquie 4. Kioshi Takahashi Japon 5. Pierre Székely Hongrie/France 6. Gonzalo Fonseca Uruguay 7. Costantino Nivela Italie 8. Jacques Moeschal Belgique 9. Todd Williams USA 10. Grzegorz Kowalski Pologne 11. Clement Meadmore Australie 12. Herbert Bayer Autriche/US A 13. Joop J. Beljon Pays-Bas 14. Itzhak Danziger Israël 15. Olivier Séguin France 16. Mohamed Melehi Maroc 17. Helen Escobedo Mexique 18. Jorge Dubón Mexique Hors du cadre de la Route de l’amitié ont été érigées, en plus, trois sculptures de caractère monumental en différents points de Mexico.

Face au Stade Azteca, Alexander Calder, invité d’honneur du comité, a créé un «stabile» d’acier de 24 mètres de haut, intitulé «Le Soleil rouge».

Le sculpteur mexicain German Cueto, également invité d’honneur, a édifié, près du Stadç olympique de la Cité universitaire, une sculpture de bronze de 7 mètres de haut.

Un ensemble de sept colonnes de 15 mètres de haut de béton peint, intitulé «La Grande Ourse», œuvre de Mathias Gæritz, s’est élevé à l’entrée du Palais des sports.

Quels matériaux peut-on utiliser?

L’eau et la lumière seraient-elles là pour s’intégrer à elles?

L’idée de «monumental» avait un arrièregoût des monuments qui encombrent tant de nos villes et des visions de pseudomonumental qui régnent dans l’esprit de ceux qui gouvernent et administrent le peuple. D’autre part, les arts visuels sont aujourd’hui en relation avec l’échelle et l’espace, avec la simplicité et l’audace qui tous sont des éléments tendant à l’expression monumentale. Le fait que tant d’artistes actuels ne sont pas familiarisés avec le concept du monumental peut s’expliquer par la rareté des possibilités d’exécution d’œuvres monumentales.

Dans mon cas, je puis dire que je n’en ai eu aucune.

Dans mon esprit, il appmit clairement qu’il y a une différence entre «grandes dimensions» et «monumental». Un modèle ou un croquis en petit n’aura pas nécessairement la qualité de monumental quand il sera réalisé «grandeur nature».

D’autre part, un petit dessin peut avoir

un caractère monumental qu’il gardera donc une fois ,1’ouvrage exécuté à sa taille. Ce qui donne à une œuvre son caractère monumental est une question de proportions et de rapports dans l’œuvre même et dans sa relation avec l’homme et avec le cadre où elle a été placée.

Toutes mes précédentes œuvres d’art à trois dimensions ont été projetées pour leur environnement spécifique et pour leur mission particulière. C’est pourquoi je les ai considérées comme des modèles d’ambiance.

Pendant ma première visite à MexidfS, les choses se firent plus claires. A ma grande satisfaction, il fut décidé de ne pas installer les sculptures au village olympique.

Il se serait ensuivi, un autre musée en plein air, de formes gigantesques seulement. Le fait qu’elles prendraient finalement place le long de’*'la nouvelle autoroute de Mexico, passé le village olympique en direction du grand stade aztèque et de Xochimilco, ouvrait des vues complètement neuves et soulevait

•. \

Herbert Bayer Réflexions d’un des sculpteurs de la Route de l’amitié J’essaie de résumer les pensées qui me sont venues et les observations que j’ai faites en préparant ma sculpture et tandis que j’assistais à la Réunion internationale de sculpture de Mexico. Ce fut, à tout prendre, une expérience qui marquera mon œuvre future.

Quand le Comité d’organisation des XIXes Jeux plympiques m’invita tout d’abord à participer à la conférence, puis à créer une sculpture représentative de l’Autriche-USA, il avait été projeté de placer les œuvres de dix-huit sculpteurs des cinq continents sur un espace plat entourant les terrains d’entraînement du village olympique. Je reçus ensuite un plan schématique de l’espace proposé, sans autres indications sur la nature de ma sculpture, sinon qu’elle devait être du genre monumental. Plus tard, je posai plusieurs questions, par exemple: Quelles sont les relations de chacune des œuvres entre elles, si l’on en a prévu?

Ne pourra-t-on voir les œuvres que de loin ou sera-t-il possible d’en faire le tour, de les traverser, de passer dessus?

22

des problèmes aussi nouveaux que tion spéciale, avec ses conditions uniques.

De l’analyse de telles restrictions, j’ai été compétitifs.

J’ai longtemps considéré l’autoroute amené à adopter une structure d’exécution comme un débouché digne de l’attention facile avec des méthodes connues dans de l’artiste, au-delà de l’immédiate l’industrie du bâtiment, surtout quand nécessité pour planificateurs, ingénieurs, j’ai vu que toute la période de construcexperts des communications et du trafic, tion se passerait sans possibilité de surarchitectes paysagistes d’étudier ses pro­ veillahce. Ma structure (position 12 sur blèmes en vue de solutions plus satis­ le plan), «paroi articulée», consiste en faisantes et fonctionnelles. Placer dix- trente-trois formes de béton, hautes huit sculptures à des distances d’un demi chacune de huit mètres sur un demià deux kilomètres le long d’une artère à mètre. Elles ont été préfabriquées sur grand trafic est une tentative inédite et place. Une colonne d’acier solidement intéressante d’embellir un parcours de ancrée, aux fondations profondes, est le quelque onze milles. Je le voyais comme noyau central sur lequel les formes une expérience à tenter tôt ou tard. rayonnantes individuelles sont placées Jusque-là, nous n’avions su que la par une grue et disposées l’une sur l’autre manière d’enlaidir une autoroute avec jusqu’à atteindre une hauteur de seize des panneaux publicitaires. Bien que la mètres et demi (environ 55 pieds). Il faut plupart des œuvres soient ainsi placées très peu de temps pour monter la paroi.

afin que l’on puisse s’arrêter êt les consi­ Elle est placée en position nord-sud, dérer de près, le point de vue le plus perpendiculaire à la route pour obtenir fréquent se situe à la distance d’une l’effet maximal de lumière et d’ombre voiture conduite à une vitesse de 25 à en même temps que la plus grande diversité de points de vue. Elle se dresse sur 40 milles.

En projetant ma structure, j’ai admis un une plate-forme de béton gris foncé, au coup d’œil maximal. Ce coup d’œil niveau du trottoir. L’espace d’alentour change radicalement quand on passe est le pedregal (lieu pierreux), un paydirectement. On peut certes objecter que sage de lave noire à végétation basse.

des accidents de la route risquent de sur­ A, cause de son caractère, je préfère venir, si l’attention des conducteurs est donner à mon œuvre le nom de construcplus occupée des sculptures que de la tion plutôt que de sculpture. Le béton, tel route. Mais les affiches et les autres pan­ que je l’ai utilisé pour mon projet du neaux avertisseurs nous ont de longtemps moins, n’est pas un matériau élégamment familiarisés avec de tels dangers. Les fini. Malgré que ce fût violemment oppoéviter à l’avenir devient l’affaire d’un sé à mon sentiment pour l’intégrité de la rapport entre la vitesse du trafic et le matière, j’ai peint la structure entièrejudicieux emplacement d’un objet d’in­ ment en jaune. Mêler une pigmentation en l’incorporant totalement au ciment térêt.

Les œuvres devaient être exécutées en, n’aurait pas, donné la pureté de ton béton. La Route de l’amitié (Ruta de la désirée et aurait pu produire des taches.

Amistad), comme on l’appelle, restera J’avais premièremenropté pour le blanc.

après les Jeux olympiques un tronçon Je me décidai enfin pour la couleur, d’autoroute particulièrement intéressant, beaucoup parce qu’elle n’a pas à être et les sculptures sont destinées à demeurer. exclue d’un ouvrage à trois dimensions et Par ma formation et mon expérience, je aussi à cause de la rareté de l’occasion suis habitué aux problèmes du projet d’en user largement. Le peuple mexicain pour une commission, pour une destina- aime la couleur et le visage de l’entre-

preneur s’éclaira quand je lui dis que ma construction serait jaune. J’avais choisi la forme de la construction de manière qu’elle fondît l’éclat de la couleur et ne se trouvât définie que par des effets de lumière et d’ombre. La «paroi articulée» se dresserait comme un symbole sur l’autoroute.

Il se présenta des difficultés d’exécution pour certaines des sculptures qui étaient, par leur nature, mieux faites pour l’acier ou le bronze, etc. mais devaient forcément être en béton. Vu l’importance des dimensions, il se posa certains problèmes de construction. Il nous fallut reconnaître là une faiblesse: pour avoir été si longtemps éloignés des grandes tâches publiques, rares sont les artistes formés aujourd’hui et entraînés à répondre aux exigences, techniques et artistiques, posées par la commission. Ce fut une bénédiction que n’entrât pas en jeu une autre autorité (architecte, client, etc.). Mathias Gœritz, le directeur du projet, agit en médiateur plein de tact entre artistes, Comité olympique et entrepreneurs.

Bien que n’ayant pas vu le projet entièrement terminé, il m’est impossible de ne pas donner mon idée personnelle. Certaines des structures de la Route de l’amitié sont des œuvres au sens traditionnel de «sculpture» et n’ont pas forcément leur place au bord d’une autoroute. Le fait de leur position, les conditions de vision à longue distance et d’un point en mouvement devaient conduire à des conditions spéciales. Que des objets à trois dimensions posés le long d’une autoroute puissent devenir une entité avec le passage du trafic et ses installations, puis s’élever au rang d’élément nouveau dans l’esthétique du trafic, la question reste ici simplement sans réponse. Mais j’ai cru voir que la somme totale des sculptures de Mexico pouvait conduire à une expression nouvelle, associée à l’idée du mouvement motorisé moderne.

1

Mathias Gœritz Jugement autocritique de l’auteur du projet de la Route de l’amitié L’irhportance de la Route de l’amitié réside surtout dans la pose d’un problème auquel il n’a toutefois pas été possible de donner une solution satisfaisante. Le projet original de placer les sculptures monumentales sur l’autoroute, mais dans un espace qui croise la ville et les faubourgs, ne put être réalisé pour diverses raisons. S’il avait été possible d’inclure les œuvres dans la ville même, les sculpteurs se seraient vus affronter alors une grande tâche, difficile mais combien intéressante, celle de concevoir leurs œuvres en/relation avec les édifices déjà existants; c’est-à-dire de les «intégrer» à l’atmosphère générale à dessein de l’embellir. Nul doute que, de cette

manière, tout eût été dix fois plus coûteux. Les artistes seraient venus plusieurs fois au pays pour former chacun son équipe de travail avec les architectes et les ingénieurs mexicains. Il aurait fallu des monuments beaucoup plus imposants.

De grandes difficultés d’obtention des permis de construction auraient surgi; il eût été également difficile de trouver des artistes qui acceptent volontiers de se soumettre iux conditions de l’ambiance créée par les fabriques, supermarchés, gratte-ciel, maisons particulières, grilles, murs ou huttes et capables en même temps d’obtenir pour la route un caractère visuel harmonieux et homogène.

Tout cela, qui s’unissait à l’idée de

représenter l’amitié entre pays et continents, n’a pas été réalisable.

Ainsi, le projet s’est-il réduit à une décoration plus ou moins réussie d’un tronçon de l’anneau périphérique quasi désert.

Quelques artistes ont fait des sculptures sans se demander comment on les verrait des voitures passant à toute vitesse, sans pensçr non plus au jeu des lumières et des ombres. Ces œuvres auraient été peutêtre mieux placées dans un parc public.

Et pourtant, dès le début, je me suis opposé à l’idée «littéraire» d’un parc.

Non que je veuille esquiver le problème de la «planification artistique des faubourgs», même sachant que mes intentions peuvent avorter.

23

Du point de vue plastique, les éléments esthétiquement les plus heureux et les plus convaincants, la même route les offre avec ses courbes dynamiques, ses montées et ses descentes, ses sorties et ses entrées; elle n’a pourtant pas été construite par des artistes, mais par des ingénieurs civils. Les sculptures placées en bordure se suivent en donnant l’impression d’«œuvres exposées». Il n’existe en elles aucune nécessité urbanistique. Elles auraient pu être mises en valeur si les artistes avaient collaboré dès le début avec les ingénieurs constructeurs de la route.

Moyennant l’emploi d’une couleur uniforme, on aurait pu obtenir beaucoup.

En peignant d’une seule couleur tout un quartier d’une ville ou, à tout le moins, les bords et les édifices le long d’une grande artère (par exemple en bleu violent ou en orange), on pourrait faire disparaître les formes confuses et laides qui se présentent dans la multiplication de petits éléments. Sans doute aucun, la couleur est capable d’unifier et de créer un ensemble (qui peut alterner avec des zones vertes ou quelque autre élément de contraste).

Dans le cas de la Route de l’amitié, on s’est efforcé de changer la diversité en vertu. Les sculptures furent peintes en différentes couleurs vives et lumineuses, avec toutefois dans le changement la recherche d’une production de succession harmonique. Peut-être le résultat aurait-il été plus heureux si l’on avait donné à toutes les œuvres la même couleur. Il ne convenait pas non plus de les laisser sans

peinture puisque le gris du ciment, déprimant et sans intérêt, n’offrait pas la meilleure vision requise dans l’atmosphère opaque de cette région.

Malgré tous les manques, je crois honnêtement que l’expérience était valable.

Elle a servi surtout à tirer l’artiste de l’isolement stérile des galeries commerciales et à mettre en évidence l’un des problèmes urbains les plus urgents: la mise au point esthétique du faubourg et de la route.

Pendant la séance inaugurale de la Réunion internationale des sculpteurs (17 juin 1968), je me suis trouvé parlant d’un rêve dont je rêvais depuis voici presque dix ans: replanifier le pays entier sur la base de «stations» de gigantesques éléments verticaux, tours de 150 à 200 mètres de haut, séparées entre elles approximativement par 150 kilomètres; construites le long des routes, de la frontière nord (USA) jusqu’au Guatemala et de l’Atlantique (Veracruz) au Pacifique (Acapulco), passant par montagnes et déserts, jungles et centres urbains. On ne toucherait pas à ces derniers. Mais, dans les régions architectoniquement «vides» (bien que généralement peuplées) devraient naître des villes nouvelles dont la construction commencerait par un gigantesque ensemble artistique. Les cent millions de dollars nécessaires pour mener à bien ce grand programme (de type «national») rapporteraient d’énormes quantités de capitaux privés.

Dans les vastes zones sous-développées surgiraient les cités nouvelles (au début

hôtels, motels, stations-service, marchés, écoles de capacité) autour des monuments artistiques. Le tourisme, actuellement concentré dans la capitale et à Acapulco, pourrait trouver son intérêt à se répandre dans tout le pays. Le Mexique se convertirait, presque d’un seul coup, en un pays de la renaissance des r . ts du XXe siècle, comparable à la belle Italie des siècles passés. Ainsi seraient attirés de nombreux touristes de toutes les parties du* monde. Le contrôle de la «planification artistique» de chacune des «stations» serait assumé, dans chaque cas, par une équipe (nombreuse mais rigoureusement sélectionnée) formée d’architectes, d’ingénieurs, de sociologues, d’économistes, etc. qui non seulement se chargeraient du grand monument mais encore également de l’évolution homogène de l’accroissement de la ville et de l’entretien de la route qui relie les stations. • Au centre de la grande croix formée par les deux routes, en ce carrefour serait la capitale dans laquelle l’anneau périphérique de VAmitié internationale suivrait la marche du travail au fur et à mesure de la' réalisation, jusqu’à ce qu’il se trouve enfin fermé.

Le fait de me sentir capable de garder ce rêve me remplit de l’espérance que le monde est plus proche de la solution unifiée de ses problèmes ; ou aussi plus proche de la rencontre d’un esprit homogène, et cela malgré le pessimisme qui m’envahit tous les matins à l’ouverture de mon journal.

l’occurrence une situation privilégiée.

Dès le début se détachèrent les dessins du jeune artiste new-yorkais Lance Wyman, chef du département du dessin graphique, qui sortit une vaste série d’études réalisant finalement le logotype de Mexico 68 et l’affiche principale qui servirent de point de départ et d’inspiration dans les domaines les plus divers inclus dans la décoration urbaine. Le pavillon du Mexique à la Triennale de Milan était un exemple de l’union des concepts graphiques et spatiaux.

L’évolution de ces dessins tend à établir un système visuel spécifique aux Jeux olympiques de Mexico. Wyman a aussi conçu et élaboré les timbres-poste, sans doute aucun les meilleurs qui se soient présentés jusqu’ici en Amérique latine.

Dans tous ces travaux se marquent les expériences des tendances de l’art actuel

(op, pop) qui y rencontrent une application digne du plus haut éloge.

Du côté du dessin graphique se marque un intérêt particulier à la création d’un nouveau système de cases d’information, signalisation urbaine, etc. Enfin, le compagnon et associé de Wyman, l’Anglais Peter Murdoch fut invité à entrer dans l’équipe. Murdoch a proposé des éléments variés, créant un dessin industriel de type international tandis que sa femme, Julia Murdoch, s’allie à d’autres dans le dessin de souvenirs et d’uniformes.

Combien en faudrait-il mentionner encore, des membres de l’heureux groupe sélectionné et dirigé par l’architecte Ramirez Vâsquez et qui, sous une forme différente, ont collaboré à la tâche de convertir l’événement sportif en une fête $ florissante, en une éclatante réussite du dessin contemporain?

Ida Rodriguez Prampolini Le dessin graphique et industriel aux XIXCS Jeux olympiques L’équipe de l’arcnitecte Pedro Ramirez Vâsquez En 1966, l’architecte Pedro Ramirez Vâsquez, président du comité organisateur des XIXe8 Jeux olympiques, forma une équipe de dessinateurs pour marquer l’événement sportif d’un sceau de haute qualité, autant dans son aspect publicitaire que décoratif. Sçus sa direction personnelle se réunirent en la ville de Mexico divers jeunes talents chargés de donner à ces Jeux un caractère cohérent et visuellement spectaculaire.

Ramirez Vâsquez désigna comme adjoint artistique le sculpteur Mathias Goeritz.

La coordination des différentes activités relatives au dessin et à son application dans la décoration urbaine fut confiée à l’architecte Eduardo Terrazas, tandis que l’architecte Manuel Villazon était nommé chef du département Diseno de Productos (Product Design). C’est pourtant le dessin graphique qui occupe en

24