Introduction par Michel Seuphor
L’architecture est la clé des arts. Je ne veux pas du tout dire par là qu’il suffit d’être architecte pour être artiste, mais je crois qu’un artiste véritable est toujours un architecte. Le peintre le plus violent doit subir la limite de l’encadrement. Son tourbillon est sommé d’engager le dialogue avec la ligne droite qui lui enseigne « jusqu’où on peut aller trop loin » comme dirait Valéry.
Mais il n’est pas d’art qui ne suppose la connaissance d’une ossature, d’une règle. L’ensemble de rythmes, de mouvements longs et courts, de répétitions, de suspensions, qui forment l’écriture — si semblable au ballet — est ime architecture. Tout comme un concerto de Mozart est une architecture. Les données sont simplement inversées. L’élément espace dans lequel s’écoule le temps devient, dans la musique, l’élément temps dont l’écoulement prend place dans l’espace écoutant.
Tout art se mesure avec une architecture interne sans laquelle ni la molle chair des sensations ni les nerfs aigus des volitions ni l’esprit conquérant des ambitions ne pourraient jamais échafauder une œuvre.
Mais c’est l’architecture proprement dite qui, paradoxalement, est peut-être le moins bien partagé des arts en raison de sa dépendance des nécessités extérieures, parmi lesquelles il en est parfois de corrompues. Wright, Le Corbusier, les architectes hollandais du Stijl ont ouvert la voie par où l’architecture pourra devenir architecture, j’entends pleinement mériter ce noble nom et rejoindre les arts libres.
Car il ne s’agit pas seulement de construire ime «machine à habiter» qui fonctionne plus ou moins bien, mais de fournir à l’homme un souple vêtement qui, à la fois, le protège et l’associe aux autres, qui sauvegarde son intériorité, son besoin de solitude et de silence, et cependant maintienne le contact avec le ciel, le soleil, la végétation, la vie. Encore ne suffit-il pas que l’architecte le veuille : il faut qu’il trouve en l’habitant un collaborateur actif.
Car il est indispensable qu’il y ait dans le for intérieur de l’homme une architecture qui réponde à celle de l’architecte constructeur..
Cette édification mentale doit être le principal soutien de l’édifice : il faut apprendre aux hommes à habiter.
Nos parents ne savaient pas habiter. Ils croyaient qu’habiter est synonyme d’entasser et d’orner. Mais savaient-ils vivre ? savaient-ils être heureux ? savaient-ils respirer seulement ?
Le sens de l’économie ne suffit pas à lui seul, la beauté doit lui être adjointe et le tonique de sa gratuité. C’est pourquoi je conseille de regarder un tableau néo-plastique de Mondrian. Sobriété, mesure, clarté, économie et, pour tout dire, architecture. Pour apprendre à vivre, à être heureux, nous avons maintenant ce squelette, cette connaissance de soi, cet os impossible à réduire.